Agoria : "Je suis un enfant des rave parties"

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Agoria : "Je suis un enfant des rave parties"

Par
Sebastien Devaux aka Agoria
Sebastien Devaux aka Agoria
- Tiphaine Meignen (Kidding Aside)

Rencontre à Rennes avec le producteur électronique lyonnais qui dévoilait cette année une mystérieuse création live aux Trans Musicales.

Agoria croit au futur. Celui des biotechnologies, de l’intelligence artificielle, et surtout du Web3, cette nouvelle version d’un Internet décentralisé dont les NFT et les crypto-monnaies sont les illustrations les plus connues du grand public. Le compositeur lyonnais souhaite ainsi faire progresser la musique électronique en l’hybridant au maximum et en remettant le public au centre du jeu. Rencontre à Rennes avec cet apôtre de la blockchain avant qu’il ne prenne les commandes de son étrange création live baptisée {One Life Two Bodies} dévoilée  aux dernières Trans Musicales.

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Vous êtes de retour aux Trans Musicales cette année avec un concert un peu particulier… Que va-t-il se passer ce soir ?

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Quand j'ai commencé à mixer ou quand j’étais moi-même teufeur, on ne regardait pas l'artiste sur scène mais plutôt les enceintes. Il n'y avait pas une sorte de Pygmalion sur scène à l’image d’un dieu vivant. Je trouve toujours aujourd'hui que c'est bien plus intéressant lorsque c’est l'expérience elle-même qui est au centre du show et pas l’artiste lui-même. Dans cette création, on ne me voit donc pas beaucoup mais je vous propose en revanche des choses tout à fait différentes. Le public va pouvoir visualiser des QR codes et les scanner durant le concert, et je leur enverrai ainsi parfois des choses sur leurs téléphones. Parfois, on va aussi récupérer les films directement dans les téléphones connectés et on pourra ainsi mettre sur le grand écran de la scène ce que vous êtes en train de filmer.

On va aussi proposer ce qui s'appelle le liveminting, c'est un procédé très nouveau et je pense qu’on est les premiers à le mettre en œuvre en France. Le principe, c’est qu’on va blockchainiser vos souvenirs et on va minter (NdA : c'est à dire le transformer en un actif numérique) ce que vous vivez visuellement en termes de son. C’est une idée poétique, proche du film de vacances, c’est se dire que vous allez repartir avec quelque chose via votre adresse e-mail. Vous aurez ainsi votre moment à vous du concert, le moment que vous aurez choisi.

Agoria au coeur de sa blockchain le 08 décembre 2022 aux Trans Musicales de Rennes.
Agoria au coeur de sa blockchain le 08 décembre 2022 aux Trans Musicales de Rennes.
© Radio France - Ghislain Chantepie

D’autres artistes électroniques ont souhaité repenser la place de l’artiste face au public, comme James Murphy et 2 Many DJ's avec leur Despacio Sound System… Pourquoi cette question est-elle importante selon vous ?

La musique électronique a toujours été un peu avant-gardiste en général. On a été les premiers à utiliser la dématérialisation du son par exemple, avec des sites web comme Beatport bien avant iTunes ou Spotify. Aujourd’hui, j’ai 45 ans et cela fait environ 25 ans que je tourne, donc je pense que c'est normal que l’innovation puisse venir d'artistes de ma génération. James Murphy et 2 Many DJ's sont aussi déjà des artistes accomplis lorsqu’ils proposent ça. Or si j'avais 25 ans, je pense que je n'aurais pas ce discours car à cet âge-là, on a un côté orgueilleux, on sort un disque, on veut prendre le pouvoir, je l’ai vécu moi-même.

Pourtant, on ne fait pas de la musique pour prouver qu'on est brillant, on ne devient pas artiste pour ça. Bien sûr que c’est génial si quelqu'un achète ton disque. Mais on ne doit pas être dans une démarche de prouver qu'on est le roi du monde, on n'est pas des boxeurs. On parle beaucoup du virtuel, notamment du metaverse, du Web3, des NFT en disant que c’est virtuel et que ce n'est pas réel. C'est totalement réel au contraire, c'est beaucoup plus réel que ce qu'on voit sur les réseaux sociaux. On est dans la vérité alors que sur Instagram on est beaucoup plus dans un schéma de vendeur de saucisson (rires).

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Le Web3 ne ressemble-t-il pas davantage au Web 1.0 qu’au Web 2.0 sur ce plan, avec un focus sur la technologie davantage que sur l’ego et les interactions sociales ?

C'est très vrai. Avec quand même ce côté très décentralisé qui n’existait pas avant, et qui est pour moi capital. Il n’y a plus une seule personne qui est maître du monde. On est tous associés dans une utopie, tout en espérant que cette utopie ne soit pas gangrenée. L'utopie du Web3, c'est de dire qu’on est libre d'être autonome, souverain et de partager un système qui est viable et commun. C’est pour ça que je propose un liveminting où on va offrir au public cette possibilité. Je suis très heureux de pouvoir le faire car ce qui est important, c’est la perspective que ça donne, c'est le fait de rentrer dans une nouvelle ère. Je ne suis pas là pour évangéliser les gens, mais je crois beaucoup à la décentralisation. Je suis un enfant des rave parties et, pour moi, le Web3 est vraiment le dernier espace de liberté depuis cette époque.

Vous injectez vous-même d’autres disciplines dans votre musique, l’art digital, l’intelligence artificielle, la biologie… L’hybridation semble désormais un moteur de votre création ?

On est souvent catégorisé dans un champ ou dans un autre, ce que je trouve vraiment pénible. C’est compliqué de s’entendre dire qu’on est telle chose et qu’il faut se concentrer uniquement là-dessus. Mais pourquoi, en fait ? Je pense qu'on peut avoir le temps, l’énergie, et les envies pour défricher plein de choses. Je suis très heureux d'avoir fait de la photo, par exemple. Je suis très heureux aussi de faire beaucoup d'œuvres aujourd'hui avec des intelligences artificielles, même si je ne suis pas un apôtre de l'intelligence artificielle car il existe des risques. Cela étant, c'est un sublime outil pour les artistes et pour la première fois, on peut faire des œuvres qui ne sont plus statiques et qui prennent vie.

Agoria au coeur de sa blockchain le 08 décembre 2022 aux Trans Musicales de Rennes.
Agoria au coeur de sa blockchain le 08 décembre 2022 aux Trans Musicales de Rennes.
© Radio France

On a ainsi conçu un player d’intelligence artificielle sur mon site agoria.dev où l’on peut jouer une nouvelle version d’un morceau à chaque lecture. Et c’est magique. J’écoute parfois des versions et je me dis « wow elle était bien celle-là ». Je trouve que c’est un vrai fil pour nos imaginaires. J’ai rencontré le biophysicien Nicolas Desprat avec qui j’ai recherché des micro-organismes dans un champ de chanvre, on les a filmés et on a découvert en labo des choses incroyables. C’est génial qu’un projet artistique devienne quasiment une publication scientifique. Je me dis que le vivant est vraiment le système collectif le plus intelligent et qu’il ne pourra être remplacé, même si je cherche moi-même dans mes travaux cette immanence entre le vivant et l’algorithme.

Quelle différence faites-vous entre un compositeur et un chercheur ?

Je n’ai malheureusement pas du tout le bagage technique des chercheurs avec qui je travaille, notamment Alice Meunier avec qui j'ai fait un projet NFT qui permet de voir ce qui se passe dans notre cerveau avant de prendre une décision. J’apprends beaucoup auprès d’eux. Ce nouveau show {One Life Two Bodies} montre essentiellement des images liées à ces recherches réalisées avec Nicolas Desprat, Alice Meunier, ou Yohan Lescure. Ce sont bien ces chercheurs qui sont à l’origine du projet.

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L'Américain Jeff Mills travaille aujourd’hui également à la croisée de disciplines différentes… Quel regard portez-vous sur son parcours ?

Je suis fan de Jeff Mills depuis le début. C’est lui qui m’a donné envie d’être DJ, je le voyais mixer avec trois platines, ses boites à rythmes, tel un félin qui enchaîne les disques hyper vite. On dirait qu’il vient d’une autre planète, et ce n’est pas lui manquer de respect que de dire cela, c’est une identité vraiment forte. Dans ma génération, on est beaucoup à tous avoir fait le tour et on se dit qu’il y a beaucoup de choses différentes à faire aujourd’hui. Richie Hawtin fait des choses nouvelles, Jimmy Edgar aussi, et ça c’est hyper excitant.

Le rapport à la machine est également un élément important chez le compositeur électronique, qui aime souvent les montrer en live… Irène Drésel, au contraire, nous confiait récemment préférer les cacher avec ses fleurs, qu’en pensez-vous ?

On a tous nos instruments fétiches, nos machines fétiches, et même nos softs fétiches. Mais je suis très heureux qu’Irène Drésel ait caché ses machines avec des fleurs. C’est très beau et c’est très poétique. J’aime ces démarches parce qu’on sent qu’on est face à un artiste, on sent qu’on a quelqu’un qui n’est pas là uniquement pour briller. J’ai, je crois, un décalage de plus en plus important par rapport à ça.

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Vous avez beaucoup composé en studio, vous avez beaucoup joué et mixé en live aussi… Quel exercice préférez-vous ?

Si l’exercice de ce soir fonctionne bien, je pense que cela deviendra mon exercice préféré. Car je pourrai vraiment mêler tout ce qui me plaît. Je mêle ma musique à des œuvres visuelles, mon travail avec des chercheurs, mon travail avec des codeurs, avec la technologie. Et en embarquant le public là-dedans, ça coche quand même beaucoup de cases. Ensuite, on va répéter cet exercice dans un metaverse sur sandbox, on va faire un lien entre le metaverse, la vie réelle, les galeries, les musées, tout va être lié dans une sorte de jeu de piste. Je suis heureux de faire face à différentes réalités. Je ne crois pas du tout à la réalité unique, qu’on nous vend en permanence.

Quels sont les dernières musiques qui vous ont surpris ?

Je ne vais pas parler musique mais de NFT (rires). Je vous renvoie sur ma plateforme objkt.com où vous pourrez voir les œuvres que je collectionne. C’est une sorte de playlist Spotify mais en version NFT, avec des œuvres incroyables autour de l’art génératif, des trucs vraiment cool. Il y a quelques sites de cette facture comme fxhash.xyz ou SuperRare qui sont très inspirants. Et la musique prend une part de plus en plus grande là-dedans, donc je suis très optimiste pour la suite.

Spéciales FIP
2h 00