InFiné : "L'énergie des jeunes artistes est un turbo fabuleux"

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InFiné : "L'énergie des jeunes artistes est un turbo fabuleux"

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Le label français fête cette année 10 ans d'expérimentations électroniques. Rencontre avec ses cofondateurs Alexandre Cazac et Yannick Matray + un mix anniversaire de Gordon à découvrir.

Tomorrow sounds better with you  : 10 ans après la création d' InFiné, le slogan historique du label résonne en 2017 comme une promesse de campagne. 10 ans d’avant-garde et d’expérimentation tout-terrain qui ont permis, non sans mal, de faire surgir et briller la musique d’une vingtaine d’artistes parmi lesquels Bachar Mar-Khalifé, Arandel, Aufgang, ou encore Rone. Alors que le label capitalise aujourd’hui sur ses figures de proue, son catalogue continue à s’enrichir de jeunes producteurs et compositeurs auxquels est confiée la rude mission de faire avancer la musique électronique dans la bonne direction.

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A l’occasion de la sortie d’une compilation célébrant la décennie passée, rencontre avec ses cofondateurs Alexandre Cazac et Yannick Matray, directeur artistique et label manager de la petite maison hexagonale.

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La première sortie d’InFiné est un disque de Francesco Tristano reprenant le Strings of Life  de Derrick May. 10 ans plus tard, cette reprise au piano d’un classique techno est-elle toujours une bonne illustration de l’identité du label ?

Alexandre : Absolument. C’est vrai qu’on avait le désir de fonder un label et tout d’un coup, Francesco Tristano et plus encore ce titre a cristallisé ce désir et ce vers quoi on avait envie d’aller, c’est-à-dire des chemins de traverse, des choses surprenantes. Le fait que ce soit un musicien au sens classique, qui maitrise parfaitement son instrument et en même temps qui a une écoute, une culture très large, cela ressemble bien à ce qu’Infine voulait faire et continue à défendre aujourd'hui.

InFiné, c’est une vingtaine d’artistes et pour beaucoup des premiers albums signés par le label : Rone, Aufgang, Francesco Tristano, Bachar Mar-Khalife… Comment faites-vous votre choix ? Qui peut prétendre à être signé sur InFiné ?

Alexandre : J’ai l’impression que le catalogue est émaillé de rencontres soit fortuites, soit de connexions naturelles. Je n'aurais jamais cru qu'InFiné sorte un jour le disque d’un joueur de guitare flamenco et de son fils violoncelliste (nda : Pedro Soler & Gaspar Claus ). Le plus surprenant, c’est que ce soit Rone qui nous ait introduit à ce duo. Pareil avec Carl Craig qui m’a présenté le compositeur Bernard Szajner. Après, il y a toujours la magie des internets et comme on avait découvert Rone via Myspace, on a rencontré notre nouvelle signature Secret of Elements par le biais de Soundcloud.

La suggestion, l'avant-garde sont au cœur des productions du label. Comment placer au bon endroit le curseur entre l’expérimentation et l’accessibilité ?

Alexandre : On a eu le privilège depuis 10 ans de se lancer dans une aventure où le cœur parlait avant la tête et le fil conducteur reste notre curiosité. Il y a une vraie unité dans les différents projets qu’on a sortis, une unité qui n’était d’ailleurs pas comprise par le public au début. Le premier album de Rone n’a pas été un succès : il remplit aujourd’hui une Philharmonie alors qu’on nous envoyait paître pour le faire jouer dans des petits clubs à ses débuts. Même constat avec Bachar Mar-Khalife pour qui il était même difficile de trouver quelqu’un pour lui dénicher des dates à ses débuts. Démonstration est faite que s’engager auprès de choses qui ne sont pas d’une évidence immédiate peut résonner au final, et avoir un succès.

Yannick : On reste des artisans. Parfois, j’ai eu tendance à me dire qu’on devait essayer de faire des choses plus évidentes, pour ensuite revenir au constat de départ qu’on ne saurait pas les faire, ou même qu'on les ferait mal. Au final, j’ai le sentiment qu’on est dans le vrai avec ce que nous sortons aujourd’hui.

Alexandre Cazac et Yannick Matray, têtes chercheuses du label InFiné.
Alexandre Cazac et Yannick Matray, têtes chercheuses du label InFiné.
© Radio France

Alexandre, vous avez longtemps travaillé avec Warp en France. Quelle filiation artistique y a t-il entre InFiné et le label anglais ?

Alexandre : Warp reste un de nos modèles, comme ECM et Ninja Tune. Ce sont des labels qui ont développé des univers sans s’enfermer dans des niches stylistiques, ce qui est plutôt rare surtout en France. Warp est aussi le label de Tortoise, de Gravenhurst et je pense qu’il y a une complète filiation de ce côté-là avec une exigence qui donne une pérennité à notre projet. J’ai l’impression que lorsqu’on réécoute le premier Francesco Tristano, il n’a pas vieilli. C'est pareil avec Bachar Mar-Khalife parce que justement, on n’est pas enfermés dans une niche.

Yannick : Warp est aussi un partenaire à part entière d'InFiné puisqu’il nous permet également de distribuer nos disques à l’étranger.

Vous avez cofondé InFiné en 2006 avec le producteur lyonnais Agoria. Qu’a t-il apporté au démarrage de l'aventure ?

Yannick : Agoria a apporté beaucoup d’énergie car il était toujours sur la route, en connexion avec plein d’artistes, on l’appelait notre « VIP international ». Il est également très connecté aux autres producteurs, donc ça a été un vrai plus pour obtenir des remixes rapidement.

Alexandre : Il avait déjà une notoriété internationale, il a donc été un accélérateur de croissance. On peut difficilement concilier la nécessaire activité de bureau d’un label et le fait d’être chaque semaine sur les festivals, d’où un partage des tâches assez naturel entre nous trois.

Pourquoi a-t-il choisi de quitter le label en 2011 ?

Alexandre : C’est comme les histoires d’amour, il y a des hauts et des bas, et il y a eu en 2011 un bas un peu plus violent que les autres. On a eu une moitié de vie avec Agoria, une moitié sans. Ça a été difficile, ça a été douloureux mais de façon globale, le label continue à développer aujourd'hui ce qu’il avait à développer.

La musique classique tient une place à part chez InFiné. Après les mélanges d’Aufgang et de Bachar Mar-Khalife, c’est Bruce Brubaker reprenant le pianiste Philipp Glass que l’on découvrait l’an dernier dans votre catalogue.

Alexandre : Comme beaucoup d’histoires chez InFiné, ce sont des connexions qui se font et qui suscitent l’histoire. Je vais voir jouer Francesco Tristano en 2006 grâce à Vanessa Wagner (nda : compagne d’Alexandre Cazac)  et je n’y serais sûrement pas allé spontanément sans elle. Francesco m’a fait rencontrer Ramy Khalife lors d’une reprise live d’un titre de Jeff Mills à Barcelone, et c’est ainsi qu’a démarré l’aventure d’Aufgang. On rencontre ensuite son frère Bachar, qui nous a proposé un premier titre. Bruce Brubaker était quant à lui le professeur de Francesco Tristano à la Julliard School à New-York…

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Le projet de Brubaker est en fait notre premier vrai projet de musique classique, avec un répertoire dit classique, même s'il s'agit de classique contemporain. Pour le prochain, Vanessa Wagner interprète un répertoire classique et Murcof y ajoute ses productions, ce qui n’est pas particulièrement bien vu chez les puristes de la musique classique. Mais c’est cela qui nous intéresse, des projets à contre-courant qui prennent des chemins de traverse.

Rone est l’artiste le plus connu d'InFiné, bien que sa musique est loin d’être mainstream. Son aventure a démarré en 2009 avec un album d’electronica et il remplit désormais les festivals. Qu’avez-vous apporté en tant que label à son travail de producteur ?

Yannick : On était convaincus dès le début que cet artiste avait du talent, on était touchés par sa musique. On l’a accompagné en le poussant à faire son premier live, ses premiers clips, avec souvent des artistes très doués issus de son entourage. Le travail s’est fait ensuite au fil du temps, avec des dates, avec un second album au fort retentissement, et un troisième qui a enfoncé le clou. C’est aussi le premier artiste pour lequel nous avons été chassés par de grandes maisons de disques, et on s’est rendus compte alors du travail de défrichage qu’on faisait, on a pris conscience qu’on était là pour planter les graines.

Alexandre : Rone est un bonheur d’artiste, c’est quelqu’un avec qui on a beaucoup d’échanges. Parfois c’est un peu contraignant parce qu’il est stressé, qu'il est dans le doute, mais en même temps c’est génial car la notion d’échange et la qualité de cet échange nous permettent d’avancer. C’est un développement dans le sens le plus complet du terme.

Des figures qui marchent comme Rone sont-elles indispensables pour assurer l’économie du label ?

Yannick : Rone est en effet un succès mais on investit beaucoup aussi sur cet artiste, sur les clips notamment. Son succès participe à plein de choses, mais grosso-modo, l’ensemble de nos artistes a progressé ces dernières années.

Alexandre : Rone n’est pas le plus grand vendeur de disques, sa réussite et son succès en live ne sont pas liés à la vente sur supports. Paradoxalement, Bachar Mar-Khalife réussit mieux sur la vente physique alors que c’est Bruce Brubaker qui a le plus de succès en streaming. Ce qui nous permet d’aller de l’avant, c’est un subtil équilibre entre ces différents types de réussites qu’on essaie sans arrêt d’optimiser. On savait bien lorsqu’on a démarré il y a 10 ans que le CD était bientôt fini, on est donc devenus aussi éditeurs de nos artistes pour accompagner leurs projets sur tous les registres, et c’est aussi là la clef de notre survie.

Alors que Laurent Garnier reçoit la Légion d’honneur, un cap a-t-il été franchi ? La musique électronique fait-elle désormais partie de l’establishment ?

Yannick : Laurent Garnier méritait complètement cette Légion d’honneur. Il n’a pas changé, il défend la musique électronique à travers le monde, c’est un militant. Il a un peu arreté ses activités de producteur mais il s’occupe désormais aussi d’un festival. Il écoute une centaine de morceaux par jour aujourd’hui, c’est quelqu’un qui n’arrêtera jamais.

Alexandre : C’est un peu plus facile de diffuser de la musique électronique aujourd’hui que ça ne pouvait l’être il y a 10 ans. Je suis très fier pour Laurent Garnier car s’il y a un artiste qui méritait cette décoration, c’est bien lui. Il est complètement intègre et il est clair qu'il poursuit un vrai sacerdoce. Ce qui est clair aussi, c’est que la difficulté aujourd’hui n'est pas de développer de la musique électronique mais de cultiver la diversité. L’innovation et la diversité il y a quelques années reposaient sur la musique électronique. Peut-être qu'à l'avenir, ce sera un peu moins le cas, mais c’est justement pour cela qu'il faut rester militant et combatif.

Justement, comment voyez-vous le futur d'InFiné ?

Alexandre : 2017 est l'année des 10 ans du label mais c’est aussi une année riche en sorties : un album de Bruce Brubaker qui va mêler des œuvres méconnues, un album attendu depuis 9 ans de Carl Craig avec un orchestre, un nouvel Arandel… Beaucoup d’EP sont prévus avec Gordon, Almeeva, Secret Of Elements. Des fois il y a des moments difficiles, mais quand on considère l’énergie de tous ces jeunes qui sont en train de mûrir, d’avancer, de créer de nouvelles choses, c’est un boost, un turbo fabuleux.

Tomorrow Sounds Better With You, compilation anniversaire du label InFiné est sortie le 06 janvier 2017. Le label a lancé une campagne de financement participatif pour la création d'une édition vinyle à cette adresse.

Sous les jupes de Fip
2h 07