Savez-vous à quand remonte la première grève ? Et pourquoi elle a commencé ? En 1229, suite à une bagarre dans une taverne qui a engendré une forte répression, le corps universitaire cesse les cours et quitte Paris... pendant deux ans.
"Ce sont les professeurs d’université qui ont été les premiers à recevoir le droit de grève au sens où on l’entend aujourd’hui, en 1231" explique Nathalie Gorochov, historienne mediéviste et enseignante à l'université Paris-Est Créteil.
L'histoire commence fin février 1229, lorsque des étudiants se bagarrent dans une taverne du faubourg Saint-Marcel, à cause du prix du vin. Certains reviennent le lendemain pour se venger, créant la panique dans le quartier. Les habitants appellent alors les sergents royaux pour ramener le calme.
Il y a eu une répression très violente, terrible, aveugle puisque les sergents royaux sont arrivés dans le quartier, ils ont frappé les étudiants, ils les ont poursuivis, ils les ont battus, ils en ont tués. Un chroniqueur anglais parle de 300 étudiants jetés à la Seine. Cet épisode peut sembler être une petite guerre urbaine dans le Quartier latin.
Nathalie Gorochov
L’université réclame aussitôt justice à la reine et régente, Blanche de Castille. Mais la mère du futur Saint Louis ne veut rien entendre. Les professeurs se réunissent en assemblée.
Ils ont décidé de cesser les cours et de quitter la ville. Au Moyen Âge, les universités n’ont pas de bâtiments, d’édifices spécifiques donc il leur est assez simple de s’en aller ailleurs pour travailler. En ce sens, on a probablement affaire à l’une des premières grèves de l’histoire, c’est-à-dire cette décision collective, prise en assemblée par les professeurs et les étudiants de cesser les cours.
Nathalie Gorochov
Pendant deux ans, les professeurs s’exilent dans les autres universités européennes comme Oxford ou Bologne. Jusqu’à ce que le pape Grégoire IX, intervienne pour régler le conflit.
En 1231, le pape accorde le droit de grève à l’université de Paris dans trois cas principaux :
- Si on ne respecte pas, la taxation des loyers, c’est-à-dire le fait de limiter les loyers des logements pour les étudiants
- Si un professeur ou un étudiant est blessé ou tué et si on ne rend pas justice à cette personne
- En cas d’arrestation abusive ou expéditive par le pouvoir laïc, des étudiants ou des professeurs
Au Moyen Âge, l’université de Paris va de temps en temps user de ce droit de grève, tous les trois ou quatre ans, du XIIIe au XVe siècle.
La grève, appelée “cessatio” à l’époque, n’existe pratiquement pas dans les autres corps de métier. En plus d’instaurer le droit de “cessatio” le texte du pape devient fondateur pour les universités.
Quand Grégoire IX, en avril 1231 s’est adressé à l’université, il s’est d’abord adressé à elle par des mots flatteurs Parens scientiarum, l’université mère des sciences.
C’est très important cette bulle parce qu’elle concerne aussi le contenu des enseignements, par exemple, certains ouvrages du philosophe Aristote étaient interdits. Or, Parens scientiarum libère en quelque sorte les programmes. Elle réglemente les relations entre l'université et le pouvoir royal, entre l’université et le pouvoir ecclésiastique, elle libère l’enseignement et lève les censures précédentes donc de ce point de vue-là, on dit souvent que Parens scientiarum est la charte de fondation de l’université de Paris.
Nathalie Gorochov
À lire : "Naissance de l'université
Les écoles de Paris d'Innocent III à Thomas d'Aquin (1200-1245)"
de Nathalie Gorochov