
Le Nobel de littérature 2018 a été remis avec le prix 2019. L'Académie suédoise était en effet en crise en 2018, secouée par une affaire de harcèlement sexuel et de fuites. Deux Nobel pour une seule année, cela s'était déjà vu. Le dernier report datait de 1949, avec Faulkner.
"Le prix Nobel 2018 de littérature sera désigné et annoncé en même temps que le lauréat 2019." En 2018, suite à la compromission de l'époux de l'académicienne Katarina Frostenson dans une affaire de harcèlement sexuel - appuyée par dix-huit témoignages de femmes -, la fondation Nobel a décidé de ne pas décerner de Nobel de littérature au mois de décembre. Le report d'un prix Nobel de littérature à l'année suivante... voilà qui était déjà arrivé à cinq reprises depuis la création des prix Nobel en 1901. Le dernier report date d'il y a soixante dix ans. Le Nobel de littérature 1949, William Faulkner, avait effectivement été désigné en 1950 seulement.
Faulkner, un relatif inconnu, face à Russell, philosophe mondialement connu
En 1949, l'Académie suédoise souhaite remettre la suprême récompense littéraire à William Faulkner, alors relativement peu connu. L'auteur américain du Bruit et la fureur et de Sanctuaire consacre sa plume à la description crue du Sud profond des Etats-Unis - ce qui fera d'ailleurs écrire au New York Times : "L'inceste et le viol sont peut-être des distractions communément répandues dans le Jefferson, Mississipi de Faulkner, mais pas ailleurs." Problème : avec 15 voix sur 18, l'unanimité requise n'est pas obtenue à temps. C'est donc seulement l'année suivante, en 1950, que l'Académie suédoise peut lui décerner son Nobel au titre de l'année 1949. Faulkner le reçoit en même temps que le lauréat 1950, le philosophe britannique Bertrand Russell, universellement réputé. Philosophe... mais aussi mathématicien, homme politique, et auteur de romans et nouvelles.
Comme le rapportait Jean-Pierre Dufreigne dans L'Express en 1998, le report du prix 1949, et peut-être la différence de renommée entre Russell et Faulkner, entraîne un écart entre les dotations des lauréats, en défaveur de l'écrivain américain :
En 1950, [Faulkner obtient le Nobel] au titre de 1949, meilleure année du chassagne-montrachet [un grand vin français, NDR]. Bertrand Russell aussi, qui n'a jamais entendu parler de lui. 31 175 dollars pour Russell, 30 007 seulement pour Faulkner. Ça ne le fait pas rigoler. Aussi sert-il un discours de fin de banquet, torché sans se fouler.
Un Nobel "de rattrapage" qui a changé la vie de Faulkner
Peu importe, puisque finalement, Faulkner n'était pas ravi de recevoir ce prix, comme en témoigne une lettre qu'il écrit à une amie, Joan William, le 22 février 1950. Lettre mentionnée par Libération dans un article de 1997 :
Je ne sais rien pour le Nobel. Des rumeurs circulent depuis environ trois ans, qui m'inquiètent un peu. Ce n'est pas quelque chose qu'on peut refuser : ce serait une insulte gratuite, et pourtant je n'en veux pas. Je préfère être en compagnie de Dreiser et de Sherwood Anderson plutôt que de Sinclair Lewis et de notre Chinoise patentée, Mme Buck.
En mars 1971, le traducteur de William Faulkner, Maurice-Edgar Coindreau, racontait au micro de Christian Giudicelli la manière dont ce prix avait modifié le comportement social de l'écrivain :
Après le prix Nobel il est devenu moins farouchement isolé, et je crois savoir pourquoi : c'était un homme qui avait un sentiment du devoir, et même je pourrais dire un sentiment de l'honneur poussé à un très haut degré. Vous savez dans ses romans il y a quelquefois deux mots français rattachés à quelques personnages qui appartiennent à la grande famille des Sartoris, autrement dit des gens qui ont des principes, qui savent ce qu'est l'honneur d'un gentleman : il y a cette mention "Noblesse oblige." Je suis persuadé qu'après l'obtention du prix Nobel il a considéré que maintenant qu'on lui avait fait cet honneur, il se devait de sortir un peu de cet isolement, c'est pourquoi il a accepté d'aller à l'université de Virginie pour être à la disposition des étudiants qui voudraient lui demander des renseignements ou lui parler de son oeuvre.
Entretien avec Maurice-Edgar Coindreau, traducteur de William Faulkner (1/2)_ 29/03/1971
15 min
Entretien avec Maurice-Edgar Coindreau, traducteur de William Faulkner (2/2)_ 29/03/1971
14 min