26 août 1970 : "C’était la première fois que l’on apparaissait publiquement en tant que féministes"

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26 août 1970 : "C’était la première fois que l’on apparaissait publiquement en tant que féministes"

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Le 26 août 1970, neuf féministes sont arrêtées alors qu'elles veulent déposer une gerbe de fleurs pour la femme du Soldat inconnu sous l'Arc de Triomphe. Cathy Bernheim, que nous avons interrogée, est à droite de la photo.
Le 26 août 1970, neuf féministes sont arrêtées alors qu'elles veulent déposer une gerbe de fleurs pour la femme du Soldat inconnu sous l'Arc de Triomphe. Cathy Bernheim, que nous avons interrogée, est à droite de la photo.
© AFP

Entretien. Le 26 août 1970, un acte symbolique d’une dizaine de féministes a marqué le début du Mouvement de libération des femmes qui a œuvré pour leurs droits. L’écrivaine Cathy Bernheim avait participé à cette action et revient sur quelques grands moments, à l’occasion des 50 ans du MLF.

Le 26 août 1970, neuf femmes (parmi lesquelles les écrivaines Monique Wittig et Christiane Rochefort, ainsi que la sociologue Christine Delphy) sont interpellées par la police alors qu’elles souhaitent déposer une gerbe sous l’Arc de Triomphe pour la femme du Soldat inconnu. Une action symbolique, en écho aux grandes mobilisations aux États-Unis où les Américaines célèbrent les 50 ans de l’obtention du droit de vote des femmes. Pourtant, aussi furtif fut-il, cet acte a marqué le début du Mouvement de libération des femmes qui a par la suite été de tous les combats pour les droits des femmes. Retour sur quelques grands instants de ces cinquante dernières années avec l’une des pionnières de ce mouvement, l’écrivaine Cathy Bernheim, (autrice notamment de "Mémoires des Temps futurs", aux éditions Le chant des voyelles). 

Avec huit autres femmes, le 26 août 1970, vous aviez décidé de déposer une gerbe en hommage à la femme du Soldat inconnu… Pouvez-vous nous raconter ?

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Cette initiative était en soutien à ce qu’il se passait aux États-Unis où de grandes manifestations étaient prévues dans plusieurs villes pour fêter l’amendement qui avait donné le droit de vote aux Américaines en 1920. C’était le 26 août et elles avaient décidé de fêter cela. Nous n’étions pas beaucoup de féministes à l’époque, nous n’avions commencé à nous réunir entre femmes en France qu’à partir de mai 1970 et nous étions en contact avec les Américaines. On échangeait des textes, des idées… On s’est dit qu’on allait les soutenir et rappeler à la France un peu assoupie que les femmes existaient et qu’il fallait faire quelque chose pour bouger la condition des femmes en France. Nous sommes donc arrivées à l’Arc de Triomphe, on a déployé nos banderoles et on a apporté notre gerbe. Mais à peine avions-nous mis le pied dans le cercle de l’Arc de Triomphe que la police est arrivée et nous a empêchées d’avancer vers la flamme, là où nous voulions déposer la gerbe. Nous avions convoqué quelques journalistes, on était le 26 août, il ne se passait pas grand-chose, donc ils sont venus… Mais ce n’était pas très spectaculaire, surtout pour les photographes qui nous disaient "débattez-vous !" Alors moi, je me suis mise à danser, de manière pas très légère ! Puis un policier m’a tordu le bras dans le dos et m’a poussée vers le poste de police avec les autres militantes. Et ils nous ont embarquées pour aller faire des vérifications d’identité au commissariat. 

Ils étaient très perplexes. Pour preuve, l’un d’eux voulait savoir ce que signifiait cette banderole "Un homme sur deux est une femme", il ne comprenait pas du tout ! Cela nous paraissait pourtant clair, on voulait signaler que la moitié de l’humanité était composée de femmes et que les sociétés ne s’en rendaient pas vraiment compte quand il s’agissait de participer. Avec nous, il y avait Christiane Rochefort et Monique Wittig qui étaient déjà des écrivaines reconnues. Ils nous ont donc pris avec des pincettes, pour savoir pourquoi cette dame – Christiane Rochefort - qui était un peu plus âgée que nous, faisait partie de ces énergumènes… Cela a pris un peu de temps. Nous, nous estimions avoir déjà fait un peu de bruit, il y avait eu la presse, puis on a chanté les chansons inventées pour dénoncer l’oppression des femmes… Et finalement, ils nous ont libérées dans la soirée. 

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Et c’était le début du MLF ?

Pour moi et pour nous ainsi que celles qui sont venues après, c’est vraiment l’acte de naissance dans la mesure où jusqu’à présent, il n’y avait pas de revendication de mouvements féministes publics. C’était la première fois que l’on apparaissait publiquement en tant que féministes. Et nous appelions notre mouvement : le Mouvement de libération des femmes.

Et vous, qu’est-ce-qui vous a attirée dans ce mouvement à l’époque ? 

Le mouvement féministe était tout à fait naissant à cette époque. Je l’avais rencontré à Vincennes, en mai 1970, peu de temps après la première réunion non mixte. Les femmes, voyant la mauvaise volonté des hommes à les aider à réfléchir à leur condition et à leurs relations avec elles, ont décidé de se passer d’eux pour discuter. Car à chaque fois que les hommes participaient à une réunion, c’était pour dire "vous devriez faire ceci, ce n’est pas comme cela qu’on fait". Donc les femmes ont décidé de se réunir seules, elles étaient une cinquantaine au début. J’avais 24 ans et j’essayais de faire publier mes livres… Une amie m’avait raconté à quel point c’était bien de voir toutes ces femmes discuter. Donc je suis allée voir et puis rien ne m’a poussée mais tout m’a attirée ! J’avais beaucoup de mal avec le modèle de la femme qu’on nous proposait à l’époque et dans lequel nous étions censés nous couler et devenir des femmes convenables. J’estimais qu’il y avait d’autres façons d’être convenable dans la vie qu’en faisant ce que les femmes faisaient d’habitude : peu d’études afin de ne pas être trop intelligente, trouver l’homme qui aurait la bonté de nous mettre sous son toit pour nous faire travailler…. Toutes ces choses que l’on considérait jusqu’à présent comme la condition féminine, avec d’autres, on avait plutôt l’impression que c’était de l’exploitation masculine ! Quand j’ai rencontré d’autres femmes qui pensaient comme moi, cela paraissait évident de me joindre à elles ! 

Cathy Bernheim (à gauche), Christiane Rochefort, Janine Sert à l’Arc de Triomphe, le 26 août 1970
Cathy Bernheim (à gauche), Christiane Rochefort, Janine Sert à l’Arc de Triomphe, le 26 août 1970

Après cette mobilisation sous l’Arc de Triomphe, que s’est-il passé ?

Je faisais partie d’un groupe de femmes artistes, écrivaines, intellectuelles, on s’était baptisées "Les Petites Marguerites" (en souvenir du film de Vera Chytilova), nous n’étions même pas une trentaine. Puis au retour des vacances, nous avons organisé une assemblée générale à Vincennes et près d’une centaine de femmes sont venues. Il a fallu s’organiser un peu. Entre temps, quelques publications étaient sorties, le Torchon brûle a été lancé. Les cinq numéros de ce journal ont été entièrement collectifs, les personnes qui voulaient écrire envoyaient leur papier. Il y avait des traductions aussi comme cet article venu des États-Unis et intitulé "Le pouvoir du con" qui a failli être interdit ! J’ai aussi écrit pour le Torchon brûle mais je ne signais pas mes articles, ou alors juste Cathy ou mes initiales… Je voulais être écrivaine et je ne voyais pas comment accoler mes exigences d’écriture collective et d’écrivaine. 

Le Mouvement de libération des femmes a mené plusieurs combats, notamment pour l’avortement… Vous aviez signé par exemple le manifeste des 343, participé à la grande manifestation de novembre 1971, la première organisée par le MLF pour la liberté sexuelle et l’avortement ?

Je l’ai signé… Mais en fait il y avait beaucoup plus de 343 femmes qui ont signé le texte et revendiqué le fait d’avoir avorté dans un pays où l’avortement était puni de prison. Et puis quand on avortait en France à cette époque, cela se faisait clandestinement et on risquait vraiment de tomber sur des bouchers plutôt que des médecins. J’étais aussi à cette manifestation en 1971. Carole Roussopoulos (réalisatrice féministe de plus de 120 documentaires, ndlr) m’avait prêté une caméra et j’ai suivi le cortège… Notamment dans l’église où une femme et un homme étaient en train de se marier et nous sommes entrés en chahutant un peu leur mariage, ils n’ont pas du l’oublier ! En revanche, j’avais oublié de mettre le son en filmant alors mes images étaient absolument inutilisables ! Mais j’avais quand même été aux premières loges. Après le combat pour l’avortement, il y a eu celui sur le viol (le viol n’a été reconnu comme un crime en France qu’en 1980, ndlr). On a mené des petites actions dans des tribunaux lors de procès précis. Il y avait peu de soutien pour ce genre de lutte. Lorsque nous évoquions notre volonté de traîner un violeur devant un tribunal, on nous accusait de vouloir y traîner des immigrés… Mais il n’y a pas que les immigrés qui violent et on voulait faire savoir que cela arrivait dans toutes les couches de la société ! Il était difficile de trouver des alliés parmi nos soi-disant alliés de gauche...   

On a aussi toujours travaillé sur la question de la sexualité et des rapports entre les sexes. On remettait en question ce qui paraissait aller de soi pour tout le monde et qui n’allait pas forcément de soi pour les femmes. J’ai beaucoup travaillé dans une rubrique qu’on avait créée avec Simone de Beauvoir dans la revue "Les Temps modernes" et qui s’appelait "Le Sexisme ordinaire". D’ailleurs le terme "sexisme" n’existait pas en France, c’est nous qui l’avions introduit. On se disait à l’époque que ce n’est pas parce qu’il y aurait une loi contre le sexisme que cela changerait quelque chose. Je pensais qu’il fallait vraiment changer les mentalités et je ne pensais pas qu’une loi pouvait le faire. Donc je n’étais pas forcément favorable à la loi sur la parité par exemple. Mais j’ai eu tort car cela fonctionne un peu. C’est une petite victoire mais je regrette qu’après cela, on n’arrive toujours pas à obtenir l’égalité dans le travail et qu’on soit encore obligé de se battre contre le harcèlement au travail. Pour moi, les actions mettent un projecteur sur un problème et c’est à la société tout entière de s’en emparer.

Nous avons fait un petit bond dans le temps avec la loi sur la parité votée dans les années 2000, le MLF s’est beaucoup mobilisé dans les années 1970-1980 mais dans les années 1990, ce mouvement s’étiole…

Oui, j’ai de mon côté arrêté de militer en 1981 quand il s’est agi de faire de la politique, cela ne me concernait pas et j’avais très envie de commencer à écrire mes livres. Et je n’ai repris le militantisme qu’aux 40 ans de Mai 68 ! Les fameux camarades de Mai 68 n’avaient toujours pas pensé à la lutte des femmes et à ce qu’il s’était passé pour les femmes dans la société française en 40 ans. C’est-à-dire qu’en 40 ans, aucun message ne pensait à parler de la libération des femmes qui avait eu lieu et de manière concrète mais invisible dans la société. Les femmes s’étaient emparées de leurs combats les unes avec les autres, en s’aidant, en inventant des manières d’agir ensemble mais cela n’apparaissait pas pour tout le monde, surtout pour les hommes. Donc en 2010, on a créé, avec quelques amies qui étaient toujours là, un groupe baptisé "40 ans de mouvement" pour rappeler que le mouvement des femmes était toujours là et qu’il avait de plus en plus de choses à dire. On s’est alors aperçues qu’il y avait des petits groupes de féministes un peu partout mais qu’ils ne recevaient aucun écho de la société. C’était un peu comme d’habitude. Quand les femmes font quelque chose, à un moment donné, elles disparaissent quand même, même si elles font des choses !   

Le Magazine de la rédaction
55 min

Quand vous regardez ces 50 dernières années de lutte, vous vous dites qu’il y a encore beaucoup de chemin ?

50 ans, cela fait quand même un bail ! Mais au regard de l’histoire, ce n’est rien ! En 1946 quand je suis née, les femmes avaient le droit de vote depuis deux ans ! Cela fait 76 ans que les femmes peuvent voter, ce n’est quand même pas énorme au regard de l’histoire. Donc oui, il y a encore du chemin à parcourir car on n’a pas encore l’égalité entre femmes et hommes dans nos sociétés. Donc tant que ce n’est pas le cas, il faut continuer à avancer et à faire céder sur tous les terrains où l’inégalité, l’oppression de la société des hommes se fait sentir sur les femmes.

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