44 intellectuels pour penser le numérique

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44 intellectuels pour penser le numérique

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La carte mère d'un Apple Macintosh II
La carte mère d'un Apple Macintosh II
- Wikimedia Commons

Qui sont les plus importants penseurs d’Internet ? Quels sont les livres majeurs qu’il faut absolument avoir lu pour comprendre le Web ? Tour d'horizon - non exhaustif, forcément !

Making-of – en 2015, Soft Power consacrait une émission aux penseurs du numérique. Quatre ans plus tard, une mise à jour s'imposait tant les débats et réflexions se poursuivent. Voici la sélection de toute l'équipe et de ses chroniqueurs, sans oublier quelques recommandations faites sur les réseaux sociaux. 

Qui sont ces intellectuels, ces historiens, ces chercheurs ou sociologues, mais aussi ces ingénieurs ou ces iconoclastes, qui ont inventé ou décrypté le Web ? Inventaire à la Prévert, me direz-vous, certes, mais occasion aussi pour faire le point sur l’état de la pensée du Web – et mettre en avant quelques grands noms ou idées fortes avec lesquelles nous vivons désormais chaque jour.

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Trois pères fondateurs

– George Orwell. Comment ne pas rendre hommage, pour commencer, à l’écrivain anglais dont le patronyme est lui-même devenu un nom commun : “orwellien” ? L’intellectuel anglais et auteur du roman dystopique phare 1984 est la référence initiale – ou ultime – pour penser la société digitale et ses dérives.

– Marshall McLuhan. L’intellectuel canadien a compris, avant les autres, comment la société pouvait entrer en réseau. Son ouvrage Pour comprendre les médias est incontournable. La formule prophétique, et si célèbre, de McLuhan, celle de l’avènement d’un "village global", fut prémonitoire et reste pertinente. Mais à condition de la comprendre non pas comme un monde entièrement connecté ou comme le signe d’une globalisation uniformisée jusqu’au dernier village, mais au contraire comme la persistance du territoire dans un monde connecté et globalisé.

– Gilles Deleuze. Dans Mille plateaux, le philosophe français Gilles Deleuze a créé le concept de “rhizomes” qui définit de façon prémonitoire l’avènement des réseaux et d’Internet.

Couverture d'une édition du 1984 de George Orwell
Couverture d'une édition du 1984 de George Orwell
© AFP - JUSTIN SULLIVAN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA

Quelques intellectuels

– Zygmunt Bauman. Insuffisamment connu en France, mais star de la sociologie en Italie ou aux États-Unis, le philosophe polonais a introduit le concept de “modernité liquide”. Celui-ci se retrouve dans d’innombrables débats numériques sur la “société liquide” ou la “démocratie liquide”. Son idée est que nous entrons dans une post-modernité fluide (qu’il appelle la “modernité liquide”) où les individus échappent aux positions fixes et dont les trajectoires deviennent “liquides”. Ceux-ci changent de place, de métier, de partenaire affectif, de valeurs. 

Ce qui a beaucoup de conséquences : les protections traditionnelles s’évanouissent ; les valeurs familiales s’estompent ; les engagement s’affaissent. Pour Bauman, les individus vont désormais privilégier le changement, la mutation, la disruption, plutôt que le statu quo. Ce faisant, il entend dépasser l’analyse traditionnelle, et même le concept de “post-modernité”, en utilisant justement cette métaphore de la modernité, hier “solide” et devenue désormais “liquide”.

– Bruno Latour. C’est l’un des penseurs des sciences sociales confrontés aux nouveaux médias. Le sociologue français entend renouveler les méthodes de production de la science et analyse, notamment, comment les données changent les sciences sociales. On est ici à la jonction des sciences dures et des sciences sociales et Latour nous invite à réfléchir à la question de comment donner du sens aux données. En fin de compte, la méthode en sciences sociales est fortement transformée par le numérique. Par ailleurs, Bruno Latour, néo-structuraliste pour une part, s’est intéressé à l’innovation : peut-on prévoir l’innovation ? Pour lui, l’innovation est le produit d’un environnement. Au fond, Bruno Latour pense à nouveaux frais ce qu’on appelle désormais les “humanités numériques”.

Zygmunt Bauman (gauche), aux côtés d'Alain Touraine (droite) lors de la remise du Prix Princesse des Asturies (Communication et Humanités) en 2010
Zygmunt Bauman (gauche), aux côtés d'Alain Touraine (droite) lors de la remise du Prix Princesse des Asturies (Communication et Humanités) en 2010
© AFP - MIGUEL RIOPA

– Norbert Wiener. Mathématicien américain, il est le père fondateur de la cybernétique (avec en particulier la publication de Cybernetics or Control and Communication in the Animal and the Machine).

Quelques penseurs atypiques

– Lawrence Lessig. L’Américain est l’homme de la culture “libre” et des “Creative Commons”. Professeur de droit à Stanford, et aujourd’hui à Harvard, et activiste, Lessig a plus que nul autre contribué à repenser le copyright à l’âge digital. Pour lui, “free” veut dire libre, et non pas “gratuit”. Il a publié notamment The Future of Ideas ; Free Culture ; Remix

– Nicholas Negroponte. Le fondateur du Media Lab du MIT (Boston) a prédit avant les autres que sur Internet, le monde de l’information, des médias et du divertissement allaient se mêler avec le digital (dans son livre de 1995 Being Digital). Il a, par ailleurs, créé l’association “One Laptop per Child” qui permet de rendre accessible à moins de 100 dollars des dizaines de milliers d’ordinateurs dans des pays en développement.

– Evgeny Morozov. Le penseur sceptique des mutations numériques, biélorusse d’origine, américain d’adoption, Morozov est devenu le principal critique du Web. Au risque d’aller trop loin ? Car son argumentation serait plus juste s’il ne préférait, au modèle américain ou européen, le Venezuela de Chavez (comme il l’a affirmé dans une interview).

– Tim Wu. Le professeur de droit à Harvard est l’inventeur du concept de “neutralité du net”. Il a publié notamment The Master Switch, The Rise and Fall of Information Empires (Vintage Books, 2011).

– William Gibson. L’essayiste et écrivain canadien-américain fut à l’origine du mouvement cyberpunk.

– danah boyd. S’intéressant aux pratiques numériques des adolescents, la professeur du Berkman Center d’Harvard a concentré ses recherches sur les réseaux sociaux.

– Ray Kurzweil. Le futurologue et prospectiviste américain a bâti sa réputation sur une réflexion autour du post-humanisme et du transhumanisme.

Ray Kurzweil à San Francisco (2007) lors d'une conférence sur la Singularité
Ray Kurzweil à San Francisco (2007) lors d'une conférence sur la Singularité
© AFP - GABRIEL BOUYS

– Sherry Turkle. La professeure au MIT a décrit comment les technologies changent notre façon d’agir mais aussi de penser.

– Kate Crawford. Professeure au MIT également, Kate Crawford travaille sur les conséquences du Big Data sur nos vies.

– Malcolm Gladwell. Le journaliste américain a tenté d’analyser les conséquences d’Internet du point de vue des mobilisations politiques. Dans un article célèbre, “Small Changes, Why the revolution will not be tweeted” (New Yorker, octobre 2010), il a défendu l’idée qu’on ne pouvait pas faire une révolution grâce au numérique. Hélas pour lui, les révolutions arabes ont montré, peu après, qu’il n’avait pas forcément raison. La Umbrella Revolution à Hong Kong l’a confirmé depuis.

– Gabriella Coleman. Anthropologue, elle est spécialisée dans la culture hacker et l’activisme en ligne. L’Américaine, qui vit au Canada, est une auteure de référence, notamment sur les Anonymous.

– Benjamin Bratton. Sociologue et théoricien de l’architecture et du design, il envisage internet dans son livre The Stack non plus comme un réseau plat mais comme un empilement (stack en anglais) composé de six strates : la terre, le cloud, la ville, l’adresse, l’interface et l’utilisateur, chaque strate ayant sa souveraineté propre.

– Trebor Scholz. Père du concept de digital labour et enseignant-chercheur à la New York School for Social Research, il est notamment l’auteur de Le coopérativisme de plateforme - 10 principes contre l’ubérisation et le business de l’économie de partage, dans lequel il donne dix règles pour reprendre à notre compte l’économie créée par les géants du numérique, sous le signe de la coopérative et de la propriété.

– Fred Turner. Professeur à l'Université de Stanford, il a publié entre autres Aux sources de l'utopie numérique - De la contre culture à la cyberculture : Stewart Brand, un homme d'influence.

– Jacques Ellul. Penseur difficilement classable dans une catégorie, a abordé les questions technologiques, en particulier avec Le Bluff technologique

Des économistes

– Jérémy Rifkin. L’économiste américain s’intéresse notamment à la mutation du travail à l’âge numérique. Il a notamment publié : The Third Industrial Revolution (2011), The Age of Access (2000) et The End of Work (1995).

– Chris Anderson. Le co-fondateur du magazine Wired a présenté une théorie autour du modèle de “long tail”, qui caractérise par exemple Amazon où l’on vend une grande quantité de produits, des best-sellers, mais aussi de nombreux livres en petite quantité.

– Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee. Ces deux économistes du MIT expliquent dans trois ouvrages remarqués Race Against The Machine, Le deuxième âge de la machine et Des machines, des plateformes et des foules en quoi la technologie est bien, contrairement à ce qu’affirment de nombreux autres économistes, une nouvelle révolution industrielle.

Quelques “techies”

– Lou Montulli. Cet ingénieur chez Netscape a inventé dès 1994 le “cookie” : ce petit mouchard, un mini programme, permet de reconnaître un utilisateur et nourrit désormais la plupart des algorithmes de personnalisation. Ce qui a conduit au “long click” (vous cliquez et likez un contenu et vos données de navigation sont conservées), aux big datas et, depuis, aux mutations de la publicité. Merci à Montulli : la pub ne sera jamais plus la même.

– Tim Berners-Lee, Vinton Cerf et Bob Kahn. Le Britannique et les deux Américains sont considérés comme les pères fondateurs du World Wide Web et du protocole TCP/IP. "Je n’ai fait que prendre le principe d’hypertexte et le relier au principe du TCP et du DNS et alors – boum ! – ce fut le World Wide Web !" a déclaré Berners-Lee.

Tim Berners-Lee lors d'une conférence à Genève (2019)
Tim Berners-Lee lors d'une conférence à Genève (2019)
© AFP - Fabrice COFFRINI

– Ada Lovelace. La fille de Lord Byron, ingénieure de formation, fut l’inventrice du premier algorithme dans les années 1840.

– Alan Turing. L’un des pères de l’informatique qui avait une vision prophétique du réseau.

– Jaron Lanier. Celui qui fut un bon insider de la Silicon Valley est aussi devenu l'un de ses principaux critiques. Déjà, dans Who Owns the Future?, il dénonçait les dérives de la révolution numérique qui a été détournée de ses créateurs par les multinationales du web. Plus récemment, dans Ten Arguments For Deleting Your Social Media Accounts Right Now, il récidive en pointant les dangers des réseaux sociaux. À cause d'eux, nous devenons méchants, accros, malheureux, menteurs et perdons toute empathie ! Et la démocratie est elle-même menacée ! Pour une vie "sociale" saine et une bonne hygiène de vie numérique, autant quitter les réseaux sociaux... tout de suite.

– Kai-Fu Lee. Il est le grand penseur chinois de l’intelligence artificielle. Après avoir travaillé pour Apple, Google et monté la division R&D de Microsoft en Chine, il est aujourd’hui investisseur et blogueur très suivi. Son livre A.I. Superpowers sorti en 2018 et racontant l'affrontement entre la Chine et la Silicon Valley sur le terrain de l'intelligence artificielle est un best-seller. Son postulat : les États-Unis ont déjà perdu la bataille.

Des écrivains 

– David Foster Wallace. Comme Ulysse de Joyce, voici le livre que tous les geeks veulent lire et n’arrivent pas à finir ! L’écrivain américain, né en 1962, est une influence majeure pour les hackers smart et les nerds intellos. Son livre, Infinite Jest (traduit seulement en français en septembre 2015 sous le titre L’Infinie Comédie) est un gros livre touffu, divisé en autant de chapitres denses constitués de petits îlots que l’on peut lire séparément façon sérendipité. David Foster Wallace s’est suicidé en 2008. (Voir aussi les lectures collectives de Infinite Summer).

– Jonathan Franzen. L’écrivain américain n’a pas écrit directement sur la question numérique mais on lui doit un article inspiré sur la “privacy” à l’âge digital ( “Imperial Bedroom”, The New Yorker, 12 octobre 1998). La question digitale est également présente dans son dernier roman Purity.

– Thomas Pynchon. Le formidable écrivain américain a publié ce roman séminal sur nos sujets : Bleeding Edge, 2013 (Fonds perdus en français, 2014).

– Dave Eggers. Dans son roman The Circle, Dave Eggers décrit le fonctionnement de Google et… la réalité dépasse la fiction.

– Aurélien Bellanger. Rare Français de cette liste, Bellanger a raconté dans sa “Théorie de l’information” l’histoire de Xavier Niel, du minitel à Free.

– Joshua Cohen. L’écrivain du New Jersey a publié notamment le remarqué Book of Numbers.

Sans oublier... 

Enfin, comment ne pas citer les noms de quelques personnes décisives qui ont joué un rôle majeur dans l’histoire d’Internet et de ses idées. Les chefs d’entreprise et les ingénieurs n’ont-ils pas, eux aussi, et parfois davantage que les intellectuels, changé l’histoire et la pensée du Web ? Steve Jobs (le fondateur d’Apple), Mark Zuckerberg (le fondateur de Facebook), Jimmy Wales (le fondateur de Wikipédia), Richard Stallman (l’apôtre du logiciel libre), Howard Rheingold (l’homme qui est derrière l’idée des “virtual communities”), ou encore Edward Snowden et ses révélations sur la NSA, qui ont sans conteste transformé notre approche du numérique et la manière dont nous nous en emparons au quotidien. 

Photographie de Steve Jobs
Photographie de Steve Jobs
© AFP - Josh Edelson

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