À l’origine de la grossophobie : comment le diktat de la minceur s'est imposé
Par Barbara MartyElles ont été des symboles de puissance, de fécondité et même de bonne santé jusqu’au XVIIe siècle. Voici comment les rondeurs ont été admirées ou rejetées selon les époques.
Le poids n'a pas toujours été une source de préoccupation dans l'histoire. Jusqu’à la Renaissance, on ne se pèse pas.
Au Moyen Âge, les gens n’avaient pas une idée très claire de ce qui était “normal”. Ils ne le quantifiaient et ne le mesuraient pas vraiment. Tout le monde savait ce qu’était un “corps moyen”, c’est-à-dire un corps qui se situe entre deux extrêmes. Tout le monde pouvait identifier les extrêmes mais il était difficile de savoir où l’on se situait.
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Ce que l’on peut dire sur le corps “moyen” et donc sur le corps “préférable” au Moyen Âge, c’était qu’il était assurément plus potelé, plus charnu, qu’aujourd’hui. Christopher E. Forth, historien
Symbole de force pour les hommes, de fécondité pour les femmes
Au Moyen Âge, être gros est une bonne chose. Dans cette période en proie aux famines et aux épidémies, avoir des réserves signifie manger à sa faim et plus encore. Être gros est un symbole masculin de puissance. La grosseur est associée à la force et à la musculature.
Une dimension positive que l’on retrouve jusque dans l’étymologie du mot “embonpoint”. "Être en bon point" veut dire "être en bonne santé”. Pour les femmes, la rondeur symbolise un idéal sensuel et la capacité à concevoir.
Un physique plantureux a presque toujours été un synonyme de féminité. Les corps féminins, depuis l’Antiquité, étaient perçus comme plus doux, plus moelleux et plus sains. Mais pas dans des degrés extrêmes. Christopher E. Forth, historien
Des qualités morales associées au physique
On associe à l’époque des qualités morales au physique. Être gros peut alors évoquer positivement de la vigueur, un désir de vivre. À l'inverse, on dénigre le "glouton" et son absence de retenue.
Il y a eu des rois au Moyen Âge qui étaient assez gros. Leur grosseur était interprétée comme de la grandeur, de l’importance. C'était associé à quelque chose de monumental, d'immobile.
Et il me semble que tant que ces rois réussissent, qu’ils gouvernent leur royaume et repoussent leurs ennemis, leur grosseur n’est pas perçue comme de la grosseur, mais comme une masse. Et pourtant, quand des rois avec des corps similaires échouent, ils finissent par être affublés du sobriquet “Le Gros”. Christopher E. Forth, historien
Fascination pour l'Antiquité classique
À partir du XVIIe siècle, le classicisme et le néo-classicisme s’imposent comme de profonds mouvements esthétiques et font du corps mince et musclé un idéal, même si les corps de l’époque sont en réalité toujours aussi charnus.
Je vois un changement s’effectuer au XVIIIe siècle avec une fascination pour l’Antiquité classique. À cette époque, on associe les fibres musculaires et le contrôle sur les nerfs à la vertu et à la masculinité. En cela, c’est une réaction au style Rococo, qui est beaucoup plus en chair.
Au XVIIe siècle, Rubens, contrairement à ce que l'on croit, n’est pas dans une célébration de la grosseur. En réalité, lui aussi se lamente de ce qu’il appelle “les physiques débiles” de la population de l’époque. Il s'inspire de Sparte comme d'un modèle de ce que les corps devraient être. Christopher E. Forth, historien
D'un idéal esthétique à un diktat de la minceur
Aux XVIIIe et XIXe siècles, les techniques de mesure se répandent en médecine. Le corps se définit pour la première fois en kilogrammes et en centimètres. Les premières courbes statistiques voient le jour. Avec elles naît l’idée qu’à chaque taille correspondrait un poids “normal”.
Progressivement, la minceur prend le dessus et s’impose comme idéal esthétique, surtout pour les femmes blanches.
Je pense que l’Empire est essentiel pour penser la façon dont notre approche à la grosseur est devenue particulièrement forte au XIXe siècle, et comment cela reposait lourdement sur le corps des femmes.
C’était presque comme si le corps de la femme blanche était un emblème de la “civilisation” que les sociétés occidentales ont promue, particulièrement en contradiction avec le continent africain. Christopher E. Forth, historien
Les silhouettes s’affinent entre la seconde moitié du XIXe siècle et l’Entre-deux-guerres. L'obésité est vue comme une maladie et ses traitements se multiplient. Les loisirs et l'activité physique se développent. Le corps mince et athlétique est devenu plus qu’un idéal : il s’est imposé en diktat.