La Reine des neiges est la princesse préférée des jeunes générations. Une femme forte, libérée, délivrée. Mais ce film Disney puise ses origines dans un conte beaucoup plus sombre, écrit en 1844, par Andersen.
"Il y a vraiment chez Disney une volonté de phagocyter l’héritage littéraire de la jeunesse." C'est l'analyse de Christian Chelebourg, chercheur en littérature et spécialiste de la culture de masse. La Reine des neiges est la princesse préférée des jeunes générations. Une femme forte, libérée, délivrée. Mais ce film Disney puise ses origines dans un conte beaucoup plus sombre écrit en 1844 par Andersen. Ce conteur danois a également écrit La Petite sirène, La Princesse au petit pois et Le Vilain petit canard. Dans l’œuvre classique, une vilaine Reine des neiges tient en capture un jeune garçon et son amie d’enfance va chercher à la retrouver. Walt avait déjà une adaptation en tête depuis les années 1940, mais faire apparaître de la neige à l’écran était trop technique.
"Une des grandes marques de fabrique de la Walt Disney Company c’est de s’inspirer de textes littéraires. Ils font le pari, en quelque sorte, de jouer sur des œuvres qui ont été des succès de librairie pour la plupart et de rebondir là-dessus. Ou bien on peut dire également que d’une certaine manière ils constituent la pléiade de la littérature de jeunesse. C’est-à-dire que le privilège est accordé à l’histoire et non pas au support livresque. Alors, les littéraires qui s’offusquent régulièrement de ce que Disney, en quelque sorte fait concurrence à la littérature, pourraient aussi bien leur savoir gré de maintenir, de perpétuer une véritable tradition littéraire et le prestige d’un certain nombre d’œuvres importantes", analyse Christian Chelebourg.
"Ré imagination"
Depuis le premier film Disney, Blanche-Neige en 1937, tous les longs-métrages se fondent sur un conte ou une histoire déjà existante (à part Rebelle en 2012). C’est ce qu’on peut appeler la “ré imagination”. Ils gardent des bases du conte comme ici le personnage de la Reine des neiges, son cœur brisé et ses pouvoir de geler ce qui se trouve autour d’elle. Mais ils veulent lui faire prendre une autre direction, plus actuelle, liée aux envies des téléspectateurs, aux changement de la société. Plus de personnages forts, moins d’histoires d’amour. C’est pour ça qu’ils prennent d’autres inspirations. Les scénaristes de la Reine des neiges se sont inspirés d’un autre célèbre conte : le magicien d’Oz.
"Quand on voit le générique américain, le zoom se termine sur le mot “Oz” qui évidemment, pour un Américain, renvoie directement à l’œuvre de Baum. Et l'une des grandes questions, c’était quel rapport en quelque sorte avec le Magicien d’Oz. Quand on prend cette entrée-là on s’aperçoit que les rapports sont extrêmement nombreux. D’abord Elsa est elle-même une reine sans cœur, comme le Tin Man, l’homme de fer blanc du conte de Baum. Ensuite, le personnage d’Olaf n’a pas de cervelle, comme l’épouvantail de Baum. Reste le personnage d’Anna, elle on ne peut pas dire qu’elle manque de courage contrairement au lion peureux, elle n’a pas peur. Elle dit très clairement : “tout le monde me dit d’avoir du courage et j’essaye”, et effectivement on a là une jeune fille qui est vraiment courageuse mais qui, exactement comme le personnage du Magicien d’Oz va acquérir, en quelque sorte, son courage par l’action."
Influence de Nietzsche
Les princesses d’hier n’ont plus grand chose à voir avec celles de demain. Elsa prône la sororité et l’acceptation de soi. Devenue une icône LGBT, de nombreux fans espèrent qu’elle sera la première princesse avec une petite-amie. Pour complexifier les princesses, les rendre plus fortes, les scénaristes sont allés puiser dans les écrits d’un célèbre philosophe : Nietzsche.
"Ce personnage est un personnage profondément Nietzschéen. Cette fameuse chanson qui a enflammé tous les esprits, les mères n’en pouvaient plus, les petites filles étaient folles de joie. Si on prend la version anglaise “Let it go”, il y a quelque chose de tout à fait particulier, c’est qu’elle va mettre le personnage d’Elsa dans la position du philosophe à la fin de “Par-delà le bien et le mal” de Nietzsche", poursuit le chercheur.

"Elsa est un personnage qui se place d’elle-même par-delà le bien et le mal, elle le chante d’ailleurs : “Pas de bien, pas de mal pour moi, pas de lois.” Donc il y a ça chez elle, cette volonté d’être à elle-même la mesure de son comportement, à elle-même la mesure de ses valeurs. Nietzsche parle à un moment d’un lutteur qui a trop longtemps dû lutter contre lui-même, évidemment c’est le cas d’Elsa. Il parle également de fantômes qui habitent les glaces, c’est évidemment le cas d’Elsa à ce moment-là. Ça donne une grande profondeur, à la fois psychologique et également philosophique à l’attitude du personnage", conclut Christian Chelebourg.