À l'origine des "mèmes"

Le célèbre mème "woman yelling at cat"
Le célèbre mème "woman yelling at cat"

À l'origine des "mèmes" - #CulturePrime

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À l'origine des "mèmes"

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Sur les réseaux sociaux, les "mèmes" détournent l'actualité et la culture à des fins comiques. Mais derrière leur apparence inoffensive, ils en disent beaucoup sur notre rapport à l'image.

Rappelez-vous du gif de bébé "pixelisé" qui danse. Il s'agit en fait du premier "mème", c'est-à-dire de la première image virale du web, en 1996. Depuis, les mèmes ont inventé la première contre-culture de l'ère internet.

Les mèmes, ce sont ces images détournées que vous voyez sur les réseaux sociaux. Ils moquent l'absurdité de notre époque et tournent tout en dérision.

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Maxime Coulombe, sociologue : "L'origine du terme provient de Richard Dawkins qui dans un ouvrage en 1976, développait l'idée d'un objet culturel, un peu comme un gène qui serait mû d'une volonté de se reproduire. Il y a des origines de ce mème à la radio. Aux États-Unis, il y a des gens qui envoyaient déjà les ancêtres des mèmes à des animateurs de radio, plutôt que de répondre à la question qui leur était posée, ils faisaient jouer un extrait de cette chanson "Never Gonna Give You Up". Mais c'est véritablement à partir du développement de la culture numérique, et la vitesse de Photoshop, dans sa version piratée, que le mème a pu se répandre sur Internet. "

La culture du mème se développe avec les images de "stock". Ces photos aseptisées et neutres que les internautes vont détourner à l'infini.

Maxime Coulombe : "On s'est rendu compte qu'on pouvait faire porter à chacun des personnages une certaine identité ou un rôle. Une des premières versions de ce mème-là, c'était une remarque critique envers Phil Collins qui se serait détourné de la musique progressive pour se laisser séduire par la musique populaire. On la trouve amusante puisqu'elle nous renvoie à une sorte de petit inconscient du rapport amoureux. 

On a déplacé sa signification dans un champ politique musical ou symbolique. Il y a une volonté de s'amuser, il y a aussi une volonté de proposer un contre-modèle esthétique à une esthétique lisse et propre qu'on trouve sur Internet. Le mème permet de parler de soi, mais sans renvoyer à une forme de pathos."

Le mème interroge notre rapport à la culture. Sa force tient aussi à sa capacité de création sans limite, notamment en recyclant des éléments de la culture pop.

Maxime Coulombe : "C'est un objet qui est particulièrement intéressant parce qu'il est un "demi-signe", un signe qui n'est pas complet. On trouve des bases de mèmes partout sur Internet, mais ils ne deviennent véritablement des signes qu'une fois réappropriés, qu'une fois qu'on leur a rajouté du texte ou qu'on les a transformés. Le célèbre mème de John Travolta qui semble chercher quelque chose, il ne devient un mème qu'à partir du moment où on a changé le décor derrière lui."

Le mème montre aussi la capacité d'Internet à fédérer des communautés.

Maxime Coulombe : "C'est aussi un objet culturel intéressant parce qu'il renvoie à une sous-culture. Il y a des mèmes qu'on ne comprend pas nécessairement et c'est voulu, c'est une sorte d'idiome qu'on peut employer pour être capable de communiquer avec des amis pour renvoyer à une blague précise, cette capacité-là est aussi une source de valorisation."

Le mème n'est plus simplement un objet humoristique, c'est aussi un outil de contestation de l'ordre établi, à la fois absurde et iconoclaste, un peu à la manière du mouvement "Dada" au siècle dernier.

Maxime Coulombe : "Il y a cette volonté de proposer une sorte d'effondrement du sens ou une sorte d'approche enfantine où on viserait à déconstruire, une volonté de faire sens, de proposer un message, etc. Il y a vraiment une façon d'interroger la manière dont la culture de masse vise à transmettre un message, à être au premier degré, et là on va être au second degré, au troisième degré voir au huitième degré."

Le mème est désormais un être autonome, capable de s'adapter à son époque.

Maxime Coulombe : "Certains mèmes se sont inscrits dans la culture du "#MeToo", il y a des mèmes qui ont servi à diffuser des images, à prendre à contre-pied des discours, à en montrer l'absurdité. Cette capacité à renverser un discours, à le déplacer d'un champ à un autre pour nous faire apparaître son absurdité, sa singularité, son artificialité, ça a en fait une force politique."

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