Vous ne verrez plus jamais le fameux drapeau pirate du même œil.
Ce drapeau, pour vous, c’est le symbole des pirates ? Et pourtant, il n'a été utilisé par ces derniers que durant une vingtaine d'années...
À la fin du XVIIe, la répression contre les pirates est violente. Pour l'éviter, ces marins
n'affichent tout simplement pas de drapeaux à leur navire et préfèrent tendre de faux pavillons pour semer le trouble.
Le drapeau noir à tête de mort était en fait utilisé dans un seul but : provoquer une peur panique chez l’équipage abordé et le pousser à abandonner le navire sans endommager le butin. Il est décrit pour la première fois en 1700, par le capitaine du navire anglais HMS Poole, après avoir été attaqué au large de Santiago par le pirate français Emmanuel Wynne. Il décrit un pavillon noir avec tête de mort et des tibias croisés.
En 1724, l’ouvrage A General History of the Pyrates surnomme ce drapeau le “Jolly Roger” en référence à l’expression anglaise “Old Roger”, qui signifie le diable. Il apparaît donc très tardivement dans l’histoire de la piraterie, qui débute à l’Antiquité.
Le "Jolly Roger", c'est-à-dire le pavillon noir avec une tête de mort et des tibias qui se croisent, date de 1700. Auparavant, il y a le pavillon rouge que l’on hisse dans la mâture pour signifier que l’on ne fera pas de quartiers. Quand on va en Méditerranée, on a un pavillon vert et l'effet est le même : en général les gens abandonnent le bateau quand il se trouve à proximité de la côte. Ce pavillon rouge a été remplacé, progressivement, au tout début du XVIIIe siècle par un pavillon noir, mais les représentations qui sont sur ces pavillons ont exactement le même but. Philippe Hrodej, spécialiste de l'histoire de la piraterie et maître de conférence à l'Université Bretagne Sud
Crâne, sablier et "memento mori"
Au début du XVIIIe, le “Jolly Roger” est réapproprié par la quasi-totalité des équipages pirates, dans les Caraïbes comme dans l’océan indien. Ils y ajoutent de multiples symboles, comme un sablier, qui témoigne du peu de temps qu’il reste à l’équipage attaqué pour prendre la bonne décision : se rendre.
Mais pour les pirates eux-mêmes, ces pavillons ont une toute autre signification. Ils détournent le thème chrétien du "memento mori", une expression latine qui signifie "souviens-toi que tu vas mourir". Les pirates expriment ainsi leur refus d'une vie honnête et misérable, au profit d'une vie pleine d'aventures et de richesses, même si elle se termine souvent au bout d'une corde.
Beaucoup d'hommes préfèrent avoir une carrière très courte, car évidemment l'espérance de vie d’un pirate s’évalue à quelques petites années et rarement plus, mais profiter du fait que sur un navire corsaire on mange mieux, on travaille moins, on élit son capitaine, qu'on peut même dégrader. On a une certaine liberté et cet espoir aussi de s’enrichir très vite. Le capitaine Tew, sur un petit sloop qui s'appelait l'Amity, a fait une prise qui a permis de donner à ses 60 hommes d'équipage près de 1200 livres sterling, et un marin à l'époque ne touche qu'une livre sterling par mois. Philippe Hrodej
La fin de l'âge d'or de la piraterie
En 1713, le traité d’Utrecht met fin à la guerre de succession d’Espagne, les États européens s’allient pour anéantir la piraterie. Les pirates sont pourchassés sur tous les océans par des flottes désormais lourdement armées. Le simple fait de posséder un Jolly Roger suffisait à condamner quelqu’un pour piraterie. Nassau, dernière ville des Caraïbes contrôlée par les pirates, tombe en 1718. Les pirates s’attachent de plus en plus à la symbolique du pavillon noir, qu’ils brûlent ou jettent à la mer pour qu’il ne soit jamais pris : l’âge d’or de la piraterie est terminé.
Le retour dans l'imaginaire collectif
Mais ces pavillons refont surface dans l’imaginaire populaire à la suite de deux succès littéraires : L’Île au trésor, de Robert Louis Stevenson, publié en 1881 et Peter Pan, de l’Écossais J.M. Barrie, paru en 1902. Ces auteurs s’inspirent du livre A General History of the Pyrates, paru en 1724, qui consacre de nombreux stéréotypes du pirates et notamment, le pavillon noir à tête de mort qui peuple aujourd’hui l'imaginaire collectif.