À l'origine du Forum de Davos

Publicité

À l'origine du Forum de Davos

Par
Cela fait 47 ans que le Forum économique mondial de Davos existe.
Cela fait 47 ans que le Forum économique mondial de Davos existe.
© AFP - Fabrice Coffrini

C’est LE rendez-vous des élites politiques et économiques : le forum économique mondial de Davos. Chaque année, environ 3 000 participants y débattent : des hauts dirigeants d’Etats et d’entreprises, et des ONG. Retour sur l’histoire de "Davos", comme on l’appelle aujourd’hui.

À 1 560 mètres d’altitude, niché en plein cœur des Alpes suisses, dans le canton des Grisons, à l’est du pays : Davos. Chaque mois de janvier depuis 47 ans, les quelques 11 000 habitants voient affluer les grands dirigeants de ce monde. Politiques et économiques. C’est le World Economic Forum, le forum économique mondial de Davos. Cette année, pour la 48e édition, 70 chefs d’Etat participent, mais aussi des dirigeants des 1 000 plus grandes entreprises de la planète et des ONG, pour quatre jours de débats (jusqu’à ce vendredi). Sur le thème : "Créer un avenir commun dans un monde fracturé". Quand a été créé Davos ? Pourquoi ? Était-ce dès le départ le rendez-vous de l’élite mondiale ? Retour sur l’origine du Forum.

Chaque année, les habitants de Davos voient arriver les plus grands dirigeants politiques et économiques du monde.
Chaque année, les habitants de Davos voient arriver les plus grands dirigeants politiques et économiques du monde.
© AFP - Fabrice Coffrini

"Gens d’en haut"

Davos est d’abord la ville suisse rendue célèbre par Thomas Mann et son livre La montagne magique, publié en 1923, après un séjour dans la commune. L’intrigue se déroule au début du XXe siècle : un ingénieur originaire de Hambourg rend visite à son cousin, en cure à Davos, réputé pour ses sanatoriums, et ses cures luxueuses. Le héros est alors fasciné par les habitants, les "gens d’en haut", qui vivent à leur rythme, profitant d’une douceur de vivre et d’un air pur. Le personnage principal ne redescendra de la Montagne magique que sept ans plus tard.

Publicité

Davos est aussi un lieu de débat philosophique. Le Grand Hôtel est le théâtre d’une dispute historique, en 1929, entre les deux plus grandes figures philosophiques de l’époque : Ernst Cassirer et Martin Heidegger. Dispute lors d’un débat consacré à la "métaphysique de Kant".

C’est cet endroit que Klaus Schwab a choisi pour établir en 1971 le premier Symposium européen du management, qui deviendra quelques années plus tard le Forum économique mondial. Le trentenaire, fils d’industriel allemand, ingénieur diplômé d’universités suisse et allemande, a choisi Davos pour sa localisation : un endroit reculé, où les participants ne pourraient pas être distraits. Même s’il assure que ce choix n’a rien à voir avec le roman de Thomas Mann, l'expression "les gens d’en haut" décrivant les habitants de Davos fait écho aux élites mondiales qui s'y retrouveront quelques années plus tard.

Klaus Schwab veut alors réunir toutes les parties prenantes d’une entreprise, ce qu’il prône dans son livre sorti la même année. Les parties prenantes, à savoir les multi-stakeholders, les clients, les salariés, les citoyens, mais aussi les actionnaires, les shareholders. C’est la "stakeholder management approach", une entreprise a du succès si son dirigeant prend en considération toutes les parties prenantes.

Son idée est également de réfléchir à la manière "dont les entreprises européennes pourraient rattraper les entreprises américaines", indique sa biographie sur le site du Forum économique mondial.

Lors de la première édition, environ 400 personnes, uniquement des chefs d’entreprises, se retrouvent pour débattre.

C’était à l’époque du club de Rome, explique Philippe Crevel, économiste directeur du Cercle de l’Epargne. On commençait à parler de décroissance, à la fin des 30 glorieuses, et avant le premier choc pétrolier. Une période faste où l’on commençait à avoir des interrogations d’ordre éthique sur le capitalisme, l’environnement.

Klaus Schwab est toujours le président du Forum économique mondial, il aura cette année 80 ans.
Klaus Schwab est toujours le président du Forum économique mondial, il aura cette année 80 ans.
© AFP - Fabrice Coffrini

Le tournant de 1973

Pendant deux ans, la "réunion" reste confidentielle. Puis, en 1973, l’économie de marché subit un triple choc : le premier choc pétrolier, l’abandon du système de taux de change fixe de Bretton Woods et la guerre du Kippour. L’occasion pour Klaus Schwab de légitimer un peu plus la réunion de grands acteurs économiques. Il y voit aussi l’opportunité d’inviter des hommes et des femmes du monde politique. Le forum se concentre alors "sur les questions économiques et sociales, les dirigeants politiques sont invités pour la première fois à Davos en janvier 1974", relate le site officiel. Selon l’économiste Philippe Crevel :

Ce qui était au début un échange informel, peu médiatisé, devient un espace de débats et de recherches, et acquiert une vocation institutionnelle, avec l’arrivée des politiques. Il y a davantage de communication, et la personnalisation autour des dirigeants politiques et d’entreprises.

Deux ans plus tard, en 1976, l’organisation veut s’étendre un peu plus, crée des "bases" dans différentes villes et ouvre son forum aux "1 000 principales entreprises du monde", toujours selon le site officiel. Elle "devient ainsi la première institution non gouvernementales à lancer un partenariat avec les commissions de développement économique de la Chine, ce qui a stimulé les réformes économiques du pays". A cela s’ajoutent des réunions régionales, la réunion prend peu à peu une étoffe internationale. L’"esprit de Davos" éclot.

En janvier 1983, le Premier ministre danois, des Philippines, le Chancelier allemand, et Raymond Barre, qui lorsqu'il était Vice-Président de la Commission européenne à Bruxelles, a soutenu Klaus Schwab dans son projet en 1971.
En janvier 1983, le Premier ministre danois, des Philippines, le Chancelier allemand, et Raymond Barre, qui lorsqu'il était Vice-Président de la Commission européenne à Bruxelles, a soutenu Klaus Schwab dans son projet en 1971.
- World economic forum

Tribune neutre pour les conflits internationaux

En 1987, le Symposium est rebaptisé : Forum économique mondial, en anglais : World Economic Forum, WEF. "Peu à peu, Klaus Schwab se constitue un réseau, explique Philippe Crevel, et dans ce genre d’événements, c’est la récurrence qui importe, il a réussi à en faire "the place to be", LE lieu où il fallait être, où il faut se montrer."

A la fin des années 1980, le Forum devient une tribune pour résoudre les conflits internationaux, un endroit neutre, considéré par les dirigeants politiques comme une plateforme pour les aider à aplanir leurs différends. La Turquie et la Grèce, prêts à engager une guerre, y signent notamment "la Déclaration de Davos". En 1989, les ministres de la Corée du Nord et la Corée du Sud s’y rencontrent pour la première fois. "Lors de la même réunion, le Premier ministre est-allemand Hans Modrow et le chancelier allemand Helmut Kohl se sont rencontrés pour discuter de la réunification allemande", ajoute le site officiel.

En 1992, le Président sud-africain De Klerk a rencontré Nelson Mandela et le chef zoulou Mangosuthu Buthelezi, marquant ainsi une étape importante dans la transition politique du pays.

En 1994, à Davos, Shimon Peres, Yasser Arafat et Klaus Schwab.
En 1994, à Davos, Shimon Peres, Yasser Arafat et Klaus Schwab.
© Maxppp - Keystone

Deux ans plus tard, à Davos, le ministre israélien des Affaires étrangères Shimon Peres et Yasser Arafat concluent un projet d’accord sur Gaza et Jéricho.

Le Forum aujourd’hui

Le Forum est reconnu officiellement "organisation internationale" en 2015 pour "améliorer l’état du monde". Aujourd’hui, le WEF emploie environ 700 personnes à Genève, mais aussi à Pékin, Tokyo et San Francisco. A 79 ans, Klaus Schwab est toujours à la tête du Forum, et dans les statuts de l’organisation, "le fondateur n’est pas soumis à une limite d’âge ou de mandat", peut-on lire noir sur blanc. Le conseil d’administration est composé de 22 membres, notamment Al Gore, ou encore Christine Lagarde, directrice générale du Fonds monétaire international depuis 2011.

Le budget annuel du Forum ne cesse d’augmenter. Selon le dernier rapport annuel de 2016-2017, il est passé de 159 millions d’euros en 2013, à 239 millions d’euros en 2017. La moitié est utilisé pour organiser le forum à Davos, mais aussi les forums secondaires, qui ont lieu un peu partout dans le monde tout au long de l’année.

Les profils des invités de Davos sont désormais très différents. Il y a bien-sûr les dirigeants des plus grandes multinationales, les dirigeants politiques, mais aussi beaucoup d’acteurs de la société civile, preuve selon les organisateurs qu’ils savent s’adapter aux "changements du monde" : des ONG, des écrivains (notamment Umberto Eco) ou encore des "stars" (Bono, le leader de U2 en 2014). En 2000, l’altermondialiste José Bové a été invité, mais ce dernier a préféré manifester en "marchant sur Davos" et participera l'année d'après au contre-Davos, le Forum social mondial.

Critique du Forum

"Le rendez-vous des maîtres du monde", "un forum où des milliardaires profitent luxueusement de la montagne entre amis", "aréopage des élites", "un entre soi de riches"… Les critiques envers Davos sont nombreuses et ne datent pas d’hier. Le politologue américain Samuel Huntington parlait en 2004 de "Davos man" pour qualifier les participants au Forum, en comparaison avec les investisseurs les plus influents de Wall Street, les "Masters of the Universe". Selon le politologue, les hommes de Davos considèrent les frontières nationales comme inutiles et envahissantes, ils prônent une identité globale et non nationale. Une vision qui n’est pas partagée par la majorité des citoyens lambda. La théorie de Huntington est tout même mise à mal ces dernières années avec, notamment, la participation des Chinois et des Indiens au Forum qui portent une parole nationale.

Pour autant, est-ce à Davos que l’avenir économique du monde se décide ? Difficile à mesurer, selon Jean-Christophe Graz, chercheur suisse. Dans un article intitulé " Qui gouverne ? Le Forum de Davos et le pouvoir informel des clubs des élites transnationales", paru en 2003, il indique que définir le pouvoir des élites réunies à Davos est compliqué : "leur influence sur telle ou telle question de politique internationale repose sur l’usage de canaux informels et diffus". Dans ce réseau célébré pour être "le plus dense au monde", pour l’économiste, "cette densité, ainsi que la centralité et le confinement du réseau, constituent par ailleurs une cible privilégiée de contestation. Le problème d’image associé au décor de forteresse de Davos s’est traduit par une désaffection d’un nombre croissant de personnalités émanant aussi bien du monde des affaires que des hautes sphères de l’État. "Depuis quelques années en effet, les géants du Web, comme Facebook ou Google, ne prennent plus la peine d'y assister, ou y envoient une simple délégation. En revanche, pour les politiques, se montrer à Davos restent important. Cette année, Emmanuel Macron, Angela Merkel ou encore Donald Trump y participent.

Le Billet économique
3 min
L'Économie en questions
29 min