Depuis l'épidémie de Covid-19, le racisme anti-asiatique est de plus en plus virulent. Du fantasme du "péril jaune", aux clichés des "bons immigrés modèles", retour aux origines de cette stigmatisation.
Attentat contre des salons de massages asiatiques à Altanta, tags et agressions en France, depuis l’épidémie de Covid, le racisme anti-asiatique est plus virulent. Un rejet ancien, lié au fantasme du “péril jaune” à la fin du XIXe siècle et qui se poursuit au XXe siècle avec les premières vagues d’immigration et les stéréotypes colportés dans la culture populaire.
“On imagine toujours un homme chinois selon le stéréotype qui se présente soit dans la caricature du 'Petit Journal' soit ce qui a été dessiné dans la BD 'Tintin', on imagine un Mandarin de manière très stéréotypé”, décrit Ya-Han Chuang, chercheuse à l’INED sur les questions de migrations et minorités.
Un début d'immigration en 1914
Des étudiants indochinois viennent en France depuis la fin du XIXe siècle mais la première grande vague d’immigration se fait pendant la Première Guerre mondiale.
Des milliers de soldats sont envoyés en Europe en 1914 pour aider sur le front ou dans les usines délaissées par les soldats français. La propagande coloniale leur promet de bonnes paies pour leur engagement. Environ 140 000 personnes arrivent de Chine, 90 000 d’Indochine.
Cette vague a lieu en pleine stigmatisation d’un “péril jaune”. Une formule, datant de 1895, qui matérialise une peur de la domination économique des Chinois et des Japonais.
Ce fantasme se diffuse dans tout l’Occident pendant dix ans et se renforce avec la révolte des Boxers, un mouvement nationaliste chinois armé contestant la domination occidentale et avec la victoire des Japonais contre les Russes en 1905.
“En France, on commence à avoir l’idée du 'péril jaune', c’est-à-dire qu’on imagine la population chinoise comme l’image d’un révolté, d’un émeutier Boxers qui est donc brutal, cruel. C’est une peur récurrente qui revient constamment, d’imaginer les Chinois comme une population cruelle envahissante, agressive…”, explique Ya-Han Chuang.
Une installation en France marginalisée
Environ 2 000 Chinois restent en France en 1918 et s’installent surtout à Paris pour se lancer dans le commerce. Leurs magasins sont surnommés “boutiques de chinoiseries”.
“Certains sont donc restés et ont construit la première diaspora ethnique en France. Le quartier chinois connu était à côté de la Gare de Lyon à Paris, on appelait cela 'l’îlot Chalon'. Il est démoli aujourd’hui. Au niveau résidentiel, ils sont quand même très ségrégés, ils sont dans un quartier presque taudis qui est beaucoup plus précaire par rapport au reste des logements parisiens", raconte Ya-Han Chuang.
Les vagues d’immigration se poursuivent avec la Seconde Guerre mondiale et le fantasme d’un “péril jaune” est moins prégnant. Mais les stéréotypes, eux, ne disparaissent pas et se glissent dans différentes œuvres culturelles :
1955 : La Belle et le Clochard où les chats aux yeux bridés sont représentés comme sournois.
1966 : La chanson Le Chinois de Charles Trenet : “Il a même le teint jaune, cet homme-là, méfie-toi, c’est un Chinois.”
1974 : Le film Les Chinois à Paris de Jean Yanne, où ils sont décrits comme des travailleurs modèles et disciplinés.
“Les stéréotypes vont durer comme dans 'James Bond' où l’Asiatique est souvent le mauvais où encore très récemment dans 'Pirates des Caraïbes' où le méchant est de façon très régulière, un Asiatique. Un racisme latent qui dure tout au long du XXe siècle", développe François Pavé dans une émission de France Culture en 2015.
Une stigmatisation en tant que communauté modèle
La communauté asiatique étant vue comme “modèle, polie, discrète, travailleuse”, ces clichés lui collent à la peau et empêchent une libération de la parole.
"Je pense que les termes discrimination et racisme apparaissent beaucoup plus tardivement dans le passé, c'est-à-dire qu’il y a quarante ans ou dans les années 1980, quand les autres minorités ethno-raciales étaient déjà engagées dans ces luttes contre le racisme, les personnes d'origine asiatique étaient plutôt absentes de ces mouvements anti-racistes. Et même dans l'usage du terme racisme anti-asiatique, pendant très longtemps, il y a des gens qui disent que ça n'existe pas le racisme anti-asiatique, ils sont vraiment considérés comme des minorités modèles, considérés comme de bons immigrés en quelque sorte. Cette forme de racisme bienveillant, je pense que c'est vraiment une sorte de piège pour ces personnes issues de cette population", analyse Simeng Wang, sociologue et chercheuse au CNRS.
Depuis une dizaine d’années, les violences anti-asiatiques sont davantage racontées et une prise de conscience s’opère. Ce tiraillement d’appartenances laisse place à une revendication plus assumée.
Et depuis le début de la pandémie de Covid-19, ils sont de plus en plus nombreux à prendre la parole et à dénoncer ce racisme.
À lire :
Illusions et souffrances : les migrants Chinois à Paris de Simeng Wang, Rue d’ULM, 2017
Une minorité modèle de Ya-Han Chuang, La Découverte, avril 2021