Si aujourd'hui de nombreuses femmes se libèrent de leur soutien-gorge pendant le confinement, ce sous-vêtement n'a pas toujours été vécu comme une contrainte. À sa création au XIXe siècle, il a même considérablement changé leur quotidien.
Critiqué, rejeté comme symbole d’oppression du corps des femmes, le soutien-gorge a pourtant été inventé par une ouvrière féministe révolutionnaire en 1889.
Un sous-vêtement novateur baptisé "Bien-être"
En 1889, l'Exposition universelle de Paris exhibe les innovations majeures du temps comme la Tour Eiffel. Une ouvrière corsetière française, Herminie Cadolle, y présente son invention : le "corselet-gorge".
Pour l'époque, le sous-vêtement, qui s'apparente à un demi-corset, est absolument novateur. Il maintient la poitrine par les épaules et promet un confort inouï pour les femmes. D’où son nom évocateur : “Bien-être”. Et ce n’est pas un hasard si sa créatrice est une révolutionnaire dans l’âme.
Herminie Cadolle : une ouvrière féministe révolutionnaire
Née en 1842 dans une famille modeste, Herminie Cadolle devient ouvrière dans une usine de fabrication de corsets. Engagée, elle côtoie les figures politiques majeures de son temps et sera détenue six mois en prison à cause de son rôle dans l’insurrection de la Commune de Paris.
Militante, elle rejoint l’un des premiers mouvements féministes français : "l'Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés". Elle y rencontre l’anarchiste Louise Michel et se bat pour les droits des femmes, qui n’ont ni le droit de vote ni le droit d’ouvrir un compte en banque.
Libérer les femmes du corset
En 1887, Herminie Cadolle part à l’autre bout du monde et s’installe à Buenos Aires, en Argentine, où elle continue de concevoir de la lingerie. C’est là que lui vient une idée révolutionnaire pour libérer les femmes du corset, qu’elle considère comme un carcan.
Ce corset, l’encombrement, le poids des vêtements qui viennent par-dessus, les chapeaux, les voilettes, les accessoires, etc. Tout cela réduit la femme à un objet de représentation sociale. Elle va incarner la réussite du mari. Point barre. Catherine Örmen, historienne de la mode.
Le corset provoque alors pour les femmes qui le portent malaises, indigestions, douleurs au dos et aux côtes. Il entrave leur respiration et leurs mouvements les plus simples : marcher, courir, se pencher, s’asseoir.
Avec son idée de “corselet-gorge”, Herminie Cadolle veut libérer bien plus que le corps des femmes : elle veut les émanciper.
Dans son élan féministe, libérer le corps de la femme, c’était aussi libérer le mental, quelque part. À un moment donné, elle a eu l’idée de séparer le corset en deux, de mettre des bretelles et de créer un système en W pour faire tenir l’ensemble. Elle a petit à petit amélioré ce produit, cette lingerie. Et quand elle est revenue en France après son séjour argentin, elle a demandé aux filateurs de Troyes de lui créer des bretelles en caoutchouc. Et là, ça a été extraordinaire parce que le confort était très grand et le produit du soutien-gorge est devenu tout à fait moderne. Il a été assez proche du produit que nous connaissons aujourd’hui. Albine Novarino-Pothier, journaliste.
En 1889, elle rentre en France persuadée que son idée va séduire. Mais les mœurs vont évoluer lentement. À l’époque, le corset accompagne toutes les étapes de la vie des femmes.
Dès 5 ans, des corsets étaient proposés dans les catalogues des grands magasins. Donc le corps de la femme était débile. Physiologiquement, il était déformé. C’est par petites étapes, progressivement, que le corps va se libérer. C’est comme si on vous disait aujourd’hui : ‘Sortez sans culotte !’. Vous voyez ce que ça peut faire comme impression… Catherine Örmen, historienne de la mode.
1898 : le soutien-gorge est breveté
En 1898, Herminie Cadolle dépose le brevet du tout premier soutien-gorge moderne. Son invention se révèle en phase avec un changement sociétal profond car au tournant du XXe siècle, les femmes s’émancipent.
Vers 1905, une nouvelle silhouette se dessine : c’est la silhouette dite “Empire”. Le soutien-gorge va se répandre petit à petit, à mesure que les robes vont être de plus en plus larges et de moins en moins ajustées. Finalement, ce qui va faire disparaître le corset, c’est l’engouement pour le sport. Et c’est surtout, lors de la Première Guerre mondiale, lorsque les femmes vont se mettre à devenir actives. Catherine Örmen, historienne de la mode.
Forte de son succès, Herminie Cadolle se réinstalle en France et ouvre son propre atelier de lingerie à Paris en 1910. De son vivant, elle emploie près de 200 ouvrières et vend même ses créations à des clientes fortunées à l’étranger. Elle donne ainsi naissance à sa marque, toujours en activité aujourd’hui : la Maison Cadolle.
L’invention d’Herminie Cadolle ne cessera d’être améliorée après sa mort en 1924 et s’imposera comme un sous-vêtement incontournable... devenu aujourd'hui à son tour symbole de contrainte sur le corps des femmes.