La température a-t-elle atteint 20 degrés en février 2020 en Antarctique ? C'est la question au cœur des Idées Claires, notre programme hebdomadaire produit par France Culture et franceinfo destiné à lutter contre les désordres de l'information, des fake news aux idées reçues.
Il aurait fait plus de 20 degrés dans l'Antarctique en février 2020. Ce chiffre affolant, enregistré par un scientifique sur place a été annoncé à l'AFP. L'information a été reprise par de nombreux médias à travers le monde. Selon eux, le seuil symbolique aurait même été dépassé puisqu'il aurait fait 20, 75 degrés sur l'île Seymour, au nord de la péninsule et au nord du cercle polaire sud, le 9 février 2020.
Problème, cette température, relevée par une mission de terrain n'a pas été homologuée car ce jour-là les capteurs installés avaient été placés trop haut par rapport au sol, invalidant le résultat.
Si l'Antarctique a connu une très importante vague de chaleur en février, les températures officielles n'ont pas dépassé les 15,8 degrés. Le record absolu de température en Antarctique a été enregistré le 30 janvier 1982 avec 19,8 degrés, sur l'île Signy, dans l'archipel des Orcades du Sud.
Pour autant, pas de quoi se réjouir, les températures relevées restent anormalement élevées. Selon les modèles numériques des scientifiques, la hausse des températures est bien liée à l’augmentation des gaz à effets de serre. De nouveaux records pourraient être établis dans les prochaines années.
Pour démêler le vrai du faux, nous avons posé nos questions à Nicolas Jourdain, chercheur à l'Institut des Géosciences de l'Environnement de Grenoble.
La température a-t-elle vraiment atteint 20 degrés dans l’Antarctique ?
Nicolas Jourdain : "La mesure de 20 degrés est sujette à certains doutes, par la façon dont elle a été faite. Ce qui est sûr, c’est qu’on est dans une région qui est habituellement chaude, où il n’est pas rare d’avoir des maximums journaliers à plus de 15 degrés."
Comment a été enregistrée cette température ?
Nicolas Jourdain : "Ça a été rapporté par une équipe de chercheurs brésiliens. C’est un enregistrement qui n’a pas été homologué parce que puisqu’il ne vient pas d’une station météorologique classique mais d’une mission de terrain. Il y a plusieurs choses inconnues, on ne sait pas dans quelles conditions ont été faites les mesures, à quelle hauteur, si le capteur était bien calibré, s’il était protégé des rayonnements.
À proximité de cette mesure, il y avait une autre station météorologique déposée par le service de météorologie argentin. Cette station a donné des enregistrements qui ne dépassaient pas les 16 degrés."
L’Antarctique connaît-il une période anormalement chaude ?
Nicolas Jourdain : "Depuis les années 1950, il y a une augmentation des températures, mais c’est une augmentation progressive. Au-dessus de cette évolution, il y a des fluctuations importantes, comme en Europe où on alterne des périodes chaudes et des périodes froides. Ce qui est troublant, c’est ce record récemment, à la station sur l’île de Seymour. Ce record avait déjà été battu en 2015 et avec le réchauffement climatique on peut s’attendre comme en Europe à battre de plus en plus régulièrement ce genre de températures."
Quel est le record de température “homologué” ?
Nicolas Jourdain : "Le record enregistré à la station d’Esperanza était de 18,4 degrés, c’était le pic dans la journée. Le maximum, là où il est censé avoir fait 20 degrés, c’était en fait entre 15 et 16 degrés. À quel endroit de l’Antarctique ces records sont-ils établis ?
On est vraiment à l’endroit le plus au nord de l’Antarctique, tout au bout de la péninsule et on n’est même pas au-delà du cercle polaire. On a une latitude comparable à celle de la Suède dans l’hémisphère nord et on a des températures en été légèrement au-dessus de 0 degré donc on n’est pas dans un endroit très froid comme au centre de l’Antarctique. On a vu dans la presse que cette température concernait le pôle Sud, alors que le pôle Sud ne dépasse jamais 0 degré."
Le réchauffement climatique affecte-t-il tout l'Antarctique de la même manière ?
Nicolas Jourdain : "Le réchauffement, on l’observe surtout en Antarctique de l’Ouest et sur la péninsule Antarctique. Par contre dans la région de l’Antarctique de l’Est, qui est beaucoup plus haute en altitude, avec une couverture de glace continentale plus élevée, de plusieurs milliers de mètres. Dans cette région de l’Antarctique de l’Est, on n’observe pas de tendance au réchauffement pour le moment."
Doit-on s’inquiéter de voir des icebergs immenses se détacher ?
Nicolas Jourdain : "C’est quelque chose de naturel puisque la glace s’écoule vers l’océan, comme les glaciers dans les Alpes. Au fur et à mesure que la glace s’écoule, elle va se mettre à casser régulièrement au niveau du front du glacier. Normalement la glace qui a été cassée sous forme d’iceberg va être remplacée par de la nouvelle glace au fur et à mesure.
Quand on a des phénomènes de vêlage d’iceberg, on va avoir un front qui reste à la même place. Par contre, en Antarctique de l’Ouest et notamment en mer d’Amundsen, c’est que le front de certains glaciers recule de plus en plus. Quand on forme de grands icebergs comme récemment, ce n’est pas remplacé par de la nouvelle glace et c'est vraiment un signe dans ce coin-là du réchauffement climatique et notamment de l’océan."
Pourquoi appelle-t-on le glacier Thwaites “glacier de la mort” ?
Nicolas Jourdain : "C’est un glacier très important, de même que son voisin le glacier de Pine Island. Il est important pour deux raisons. Premièrement, les températures de l’océan dans cette région sont les plus chaudes de l'Antarctique. Elles sont de 3 ou 4 degrés au-dessus du point de fusion donc ça fait fondre en permanence la glace par en dessous.
L’autre raison, c’est que ces deux glaciers servent de “bouchon” à des écoulements glaciaires très vastes en amont. Ces écoulement glaciaires, si les bouchons venaient à céder pourraient contribuer de façon importante et rapide au niveau des mers."
La banquise en Antarctique est-elle en train de disparaître comme dans l’Arctique ?
Nicolas Jourdain : "Pendant très longtemps, ça a été assez différent et ça a été difficile à comprendre pour les scientifiques. En moyenne, la glace de mer a augmenté en Antarctique sur les dernières décennies alors que les modèles numériques prévoyaient une décroissance de la glace de mer. Ça a été vrai jusqu’au milieu des années 2010, vers 2014.
Après on a eu quelques années avec une diminution très forte de la glace de mer, similaire à ce qu’on observe en Arctique. On a maintenant des tendances nulles voire négatives qui correspondent plus à ce qu’on attend du changement climatique."
Les activités humaines en sont la cause directe ?
Nicolas Jourdain : "C’est quelque chose qui est délicat encore, parce qu’on n’a pas des observations aussi longues que dans les autres régions du globe. Les observations dans l’Antarctique ont commencé dans les années 1950, voire un peu plus tard et on a peu de stations avec des mesures très longues.
Par contre, on observe des tendances et c’est difficile de lier pour sûr ces tendances avec le réchauffement climatique. Mais l’ensemble des modèles numériques suggère que l’augmentation des températures actuelles et à venir en Antarctique est liée à l’augmentation des gaz à effet de serre."
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La température a-t-elle vraiment atteint 20 degrés en Antarctique ?
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