Abolition de la peine de mort en 1981 : l’aboutissement de deux siècles de débats parlementaires
Par Rosalie Lafarge
Il y a quarante ans, le 9 octobre 1981, la loi portant abolition de la peine de mort était promulguée par François Mitterrand, après le vote du texte par les députés et les sénateurs. Une question longuement débattue par les parlementaires pendant les deux siècles qui ont précédé cette adoption.
Avant d’être promulguée le 9 octobre 1981, puis publiée au Journal officiel le lendemain, la loi portant abolition de la peine de mort a été adoptée par l’Assemblée nationale le 18 septembre 1981, puis par le Sénat le 30 septembre de la même année. Mais avant ces derniers débats décisifs, la question a suscité de nombreuses et régulières discussions au Parlement. Elles débutent en 1791.
Retour sur les mots des abolitionnistes au fil du temps et sur une peine de mort encore questionnée par certains aujourd'hui en France. Par Rosalie Lafarge.
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1791, l’Assemblée constituante vote le maintien de la peine de mort...
En 1791, l’Assemblée constituante se penche sur un projet de code pénal présenté par le rapporteur du comité de jurisprudence criminelle, Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau. Dans son rapport sur ce projet, le marquis de Saint-Fargeau propose d’abolir la peine de mort dont il dénonce l'inefficacité. "L'effet que produit la peine de mort est immoral sous tous ses rapports. Tantôt il alimente le sentiment de la cruauté, tantôt aussi par la pitié, cette peine va directement contre son objet. C'est un grand malheur lorsque la vue du supplice fait céder le souvenir du crime à l'intérêt qu'inspire le condamné". Pour appuyer ses propos, le marquis de Saint-Fargeau prend également des exemples de pays voisins.
En Angleterre, la peine de mort menace presque tous les vols, et dans nul pays on ne vole plus habituellement qu'en Angleterre. A Rome, jamais les crimes ne furent plus rares que lorsque la peine de mort était bannie du code des Romains libres. Enfin la Toscane, le premier état moderne dont les lois humainement novatrices aient osé tenter l'essai de supprimer la peine de mort (…) les annales criminelles de ce peuple offrent la preuve certaine qu'il y a été commis moins de crimes pendant le cours des années qui ont suivi l'abrogation de la peine de mort, que pendant celles qui l'ont précédée".
Le 30 mai 1791, il précise en ouverture des discussions : "La question la plus importante de cette matière et sur laquelle je crois que l’Assemblée doit d’abord fixer son attention est celle-ci : la peine de mort sera-t-elle ou non conservée ?" Il reçoit alors le soutien de Robespierre qui demande aux parlementaires "d’effacer du code des Français les lois de sang qui commandent des meurtres juridiques", considérant que la peine de mort est "essentiellement injuste" et "multiplie les crimes beaucoup plus qu’elle ne les prévient".
Mais les partisans du maintien de la peine de mort mettent en avant la nécessité de l’exemplarité du châtiment et l’inefficacité de l’emprisonnement. Ainsi, Joseph Prugnon, dans son Opinion sur la peine de mort, prononcée le 31 mai 1791, déclare :
Une des premières attentions du législateur doit être de prévenir les crimes, et il est garant envers la société de tous ceux qu’il n’a pas empêchés lorsqu’il le pouvait. Il doit avoir deux buts : l’un, d’exprimer toute l’horreur qu’inspirent de grands crimes, l’autre, d’effrayer par de grands exemples. Oui, c’est l’exemple, et non l’homme puni, qu’il faut voir dans le supplice. […] Oui, l’appareil du supplice, même vu dans le lointain, effraye les criminels et les arrête. […] Le méchant ne craint pas Dieu, mais il en a peur ; tel est le sentiment qu’éprouve le scélérat à la vue de l’échafaud. Gardez-vous donc de désespérer de l’énergie de ce ressort, très malheureusement nécessaire. Que prétend-on, au reste, lui substituer ? Un supplice lent, un supplice de tous les jours ? […] Mais quelques années sont à peine écoulées, que le sentiment d’horreur qu’inspire le crime s’affaiblit, on ne voit plus que la peine et son éternelle action ; le criminel finit par intéresser, et alors on est bien près d’accuser la loi. […] Est-ce une bonne législation que celle qui fait infailliblement passer la pitié de l’assassiné à l’assassin ?"

... mais supprime la torture
Si l’Assemblée constituante rejette alors l’abolition de la peine de mort, elle décide cependant de supprimer la torture, d’uniformiser le mode d’exécution de la peine et de réduire le nombre de cas susceptibles d’entraîner une condamnation à mort de 115 à 32, supprimant par exemple de la liste des crimes capitaux les attentats contre les bonnes mœurs ou les atteintes portées à la propriété des citoyens par dégâts, larcins ou simples vols. La loi du 6 octobre 1791 dispose que "la peine de mort consistera dans la simple privation de la vie, sans qu’il puisse jamais être exercé aucune torture envers les condamnés" et que "tout condamné à mort aura la tête tranchée". Cette dernière disposition restera dans le code pénal français jusqu’en 1981, précisent les archives de l’Assemblée nationale.
Il faut souligner qu’à ce moment-là, en 1791, "cela fait peu de temps que l’on parle de l’abolition", précise Nicolas Picard, professeur agrégé d’histoire au lycée Robert Doisneau de Corbeil-Essonnes et docteur en histoire contemporaine de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, auteur de Le Châtiment suprême, l’application de la peine de mort en France (1906-1981). "Le sujet a véritablement émergé avec Cesare Beccaria et son ouvrage Des délits et des peines en 1764. En 1791, cela ne fait donc que vingt-cinq ans que l’on parle d’abolition de la peine de mort. Lors de la Révolution française, la nécessité de réformer le système pénal s’impose, mais l’abolition de la peine capitale est jugée encore trop prématurée. À quelques exceptions près, le sujet n’apparaît pas dans les cahiers de doléances".
1838-1848, Lamartine et Victor Hugo essaient...
Avant 1838, en 1795, l’abolition de la peine de mort fait son apparition dans le droit français. La Convention nationale abolit la peine capitale, mais elle suspend cette décision à "la conclusion de la paix générale"__, (décret du 14 brumaire An IV). "Or, lorsque Napoléon approche de la paix en 1802, souligne Nicolas Picard, il ne souhaite pas se retrouver sans l’instrument de la peine de mort. L’assemblée croupion qui sert d’assemblée législative se réunit et, fin 1801, un nouveau débat aboutit à la conclusion qu’il faut conserver la peine de mort". Le Code pénal de 1810 choisira de maintenir la peine capitale, et d'en étendre le domaine d'application à plusieurs cas spécifiques, notamment les voleurs qui réunissent cinq circonstances aggravantes, rappelle le rapport sur le sujet de Raymond Forni en 1981.
En 1838, plusieurs pétitions en faveur de l’abolition sont déposées et la Chambre des députés devient le théâtre de nouveaux débats autour de cette question. Le 17 mars 1838, Lamartine marquera les esprits – mais pas encore le marbre législatif – dans un discours pour l’abolition. Il y déclare notamment que la peine de mort "accroît les dangers de la société en entretenant la férocité des mœurs" et que l’abolition dans la loi "serait une intimidation et un exemple plus puissant contre le crime que des gouttes de sang répandues de temps en temps, si stérilement […] devant le peuple, comme pour lui en conserver le goût".
Mais c’est bien l'année 1848 qui est un premier tournant dans le combat des abolitionnistes. En février, la peine capitale en matière politique est abolie par décret du gouvernement provisoire de la IIe République, ce que valide l’Assemblée constituante en septembre. Une étape rendue possible par les "excès révolutionnaires" en matière de condamnation politique, analyse le docteur en histoire contemporaine Nicolas Picard. "La condamnation à mort politique fait l’objet d’un rejet, la population a le sentiment qu’on l’utilise beaucoup trop, et les hommes politiques sont un peu dans l’angoisse".
À l’occasion de ce débat, les abolitionnistes plaident pour aller plus loin, jusqu’à l’abolition totale. Les députés Coquerel, Rabuan et Buvignier déposent ainsi des amendements visant à supprimer les mots "en matière politique" de l’article 5 du projet de loi. Pour les soutenir, Victor Hugo, farouche abolitionniste, interviendra le 15 septembre 1848 à l’Assemblée par ces mots :
Qu’est-ce que la peine de mort ? La peine de mort est le signe spécial et éternel de la barbarie. Partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine ; partout où la peine de mort est rare, la civilisation règne. Ce sont là des faits incontestables. L’adoucissement de la pénalité est un grand et sérieux progrès. Le XVIIIe siècle, c’est là une partie de sa gloire, a aboli la torture ; le XIXe abolira certainement la peine de mort. Vous ne l’abolirez pas peut-être aujourd’hui ; mais n’en doutez pas, vous l’abolirez ou vos successeurs l’aboliront demain ! […] Vous avez renversé le trône ; maintenant […] renversez l’échafaud. Je vote l’abolition pure, simple et définitive de la peine de mort".

... mais échouent
Cette année-là, les amendements visant à abolir purement, simplement et définitivement la peine de mort sont rejetés par 498 voix contre 216. Nicolas Picard explique ce rejet par plusieurs raisons. "Il y a eu les ‘journées de juin’, rappelle-t-il en référence à la répression sanglante des ouvriers en juin 1848, et l’assemblée qui a été élue est plutôt conservatrice, beaucoup de députés reconduits sont des anciens de la monarchie de Juillet et de la Restauration, et finalement la IIe République devient rapidement très conservatrice".
Par ailleurs, selon ce spécialiste du sujet, "dans les représentations de l’époque, la ville est assiégée par les bas-fonds. C’est ce qui est mis en scène par exemple dans Les mystères de Paris, d’Eugène Sue. Et dans l’opinion bourgeoise, qui est la plus influente politiquement, il y a cette idée que la pauvreté et le crime assiègent la ville. De plus, on est encore dans un Paris quasiment médiéval, les rues sont petites, et on a l’impression que le crime est partout. On a donc du mal à se dire qu’on peut se passer de la peine de mort. Personne ou presque ne contredit Victor Hugo sur le fait que la France, un jour, abolira la peine de mort, mais c’est trop tôt".
Par la suite, il y aura plusieurs pétitions discutées à la chambre, d’autres propositions abolitionnistes également (comme celles de Pierre-François Savatier-Laroche en 1849 ou celle de Victor Schoelcher en 1851), mais "rien n’aboutira", précise encore Nicolas Picard.

1906-1908, un contexte favorable...
En 1906, le contexte politique paraît bien plus favorable pour les abolitionnistes. "La peine de mort commence à être abolie dans les faits", note Nicolas Picard. Le nouveau président de la République, Armand Fallières, gracie systématiquement tous les condamnés à mort au début de son septennat, la Commission du budget de la Chambre des députés supprime les crédits liés à la rémunération des bourreaux, et le ministre de la Justice, Edmond Guyot-Dessaigne dépose alors un projet de loi portant abolition de la peine de mort. "Le Président est donc abolitionniste, la chambre a une majorité radicale et dans le programme progressiste des radicaux, il y a l’abolition. Le nombre de condamnations chute exceptionnellement, donc on a l’impression que c’est le moment", souligne le professeur agrégé d’histoire.
Mais ce moment, ajoute Nicolas Picard, est aussi celui de "l’essor de la grande presse populaire tenue par des patrons conservateurs qui font leur beurre sur le fait divers criminel, le sensationnalisme. Et à ce discours sensationnaliste, se greffe un discours de plus en plus politique, sécuritaire, autour, notamment, des Apaches de Paris (ndlr : les bandes criminelles du Paris de la Belle Epoque) désignés comme un danger important. Parallèlement, les jurés se remettent à prononcer des condamnations à mort".
... mais une réalité différente
Et puis, en 1907, un fait-divers sanglant suivi d'une nouvelle grâce présidentielle va venir secouer l’opinion publique. En septembre 1907, Albert Soleilland – surnommé le monstre de la rue de Charonne – est gracié, deux mois après avoir été condamné à mort pour le viol et le meurtre d’une petite fille de 11 ans, Marthe Erbelding, à Paris. La population française est en grande partie scandalisée et la presse populaire réclame justice. "Les journaux, qui avaient déjà installé ce thème dans l’opinion publique, en font des caisses, raconte Nicolas Picard, notamment les grands quotidiens qui tirent à près d’un million d’exemplaires chaque jour comme Le Petit journal, Le Matin ou Le Petit Parisien. Et cela fera fléchir les députés les plus tièdes".
Le Petit Parisien, par exemple, sollicite l'avis de ses lecteurs sur la peine de mort. 1 400 000 personnes répondent et le journal publie les résultats le 5 novembre 1907 : 74% se disent favorables à la peine capitale.
L'année suivante, en 1908, Aristide Briand a pris la suite d’Edmond Guyot-Dessaigne au ministère de la Justice. Le nouveau garde des Sceaux tente à son tour de défendre l’abolition de la peine de mort en insistant notamment sur son effet, selon lui, non dissuasif pour les criminels :
On a dit que bien des malfaiteurs redoutaient la peine de mort et que, si elle n’existait pas, ils commettraient un plus grand nombre de crimes. On l’a affirmé, mais on ne l’a pas prouvé. Je me suis efforcé de démontrer par les chiffres et des faits, que là où la peine de mort a été supprimée, on n’a pas pu constater une recrudescence dans les grands crimes qui étaient antérieurement passibles de cette peine, et je dis que c’est une démonstration. […] Le malfaiteur va à son méfait avec la conviction, avec la certitude, qu’il ne sera pas pris ; voilà la vérité. […] Quand l’opinion publique est excitée comme elle l’est en ce moment, quand elle exige impérieusement du sang, lui obéir, c’est un geste commode. Les responsabilités sont bien plus lourdes quand il s’agit de remonter les courants de l’opinion publique. Il faut plus de courage pour lui résister que pour se laisser dominer par l’aveuglement de la foule".
Jean Jaurès prononcera, lui aussi, des paroles qui ont marqué le combat abolitionniste en 1908. Le 18 novembre, à la Chambre des députés, il explique :
Ce qui m'apparaît surtout, c'est que les partisans de la peine de mort veulent faire peser sur nous, sur notre esprit, un dogme de fatalité. Il y a des individus, nous dit-on, qui sont à ce point tarés, abjects, irrémédiablement perdus, à jamais incapables de tout effort de relèvement moral, qu'il n'y a plus qu'à les retrancher brutalement de la société des vivants, et il y a au fond des sociétés humaines, quoiqu'on fasse, un tel vice irréductible de barbarie, de passions si perverses, si brutales, si réfractaires à tout essai de médication sociale, à toute institution préventive, à toute répression vigoureuse mais humaine, qu'il n'y a plus d'autre ressource, qu'il n'y a plus d'autre espoir d'en empêcher l'explosion, que de créer en permanence l'épouvante de la mort et de maintenir la guillotine. Voilà ce que j'appelle la doctrine de fatalité qu'on nous oppose. Je crois pouvoir dire qu'elle est contraire à ce que l'humanité, depuis deux mille ans, a pensé de plus haut et a rêvé de plus noble. Elle est contraire à la fois à l'esprit du christianisme et à l'esprit de la Révolution".
Les plaidoyers d’Aristide Briand, de Jean Jaurès, mais aussi de Paul Deschanel ("Faites que la France ne soit pas la dernière à abattre l'échafaud, ce monument hideux de l'orgueil humain, puisqu'il atteste la croyance naïve de l'homme en son infaillibilité"), ou Joseph Reinach ("On peut dire, et c'est une opinion qui a été soutenue par des esprits scientifiques, qu'il est inutile de conserver à la vie de pareils déchets d'humanité ; ce qu'on ne peut pas dire, c'est que la crainte ni de la peine de mort ni d'aucun supplice, arrêterait, au moment où ils accomplissent leurs forfaits, des brutes de cette espèce. Au temps où la guillotine fonctionnait encore souvent, Soleilland a eu des prédécesseurs, et j'ai vu monter, ou, plus exactement, traîner l'un d'eux à l'échafaud") n’y changeront rien : le 8 décembre 1908, l’Assemblée pourtant majoritairement à gauche, vote le maintien de la peine de mort à 330 voix pour et 201 contre. Et dès 1909, les exécutions reprennent. Le débat abolitionniste, lui, sort du Parlement – à quelques exceptions près mentionnées dans le rapport Forni – pour se jouer plutôt dans la presse d’extrême gauche.
1981, François Mitterrand devient Président...
Le 10 mai 1981, le socialiste François Mitterrand devient le premier président de gauche de la Ve République. Dans son programme, les 110 propositions pour la France, figure l’abolition de la peine de mort. Dans l’émission Cartes sur table, en mars 1981, le candidat, conscient que l’opinion publique est majoritairement favorable au maintien de la peine de mort, redit son opposition à la peine capitale. Et fidèle à sa promesse, le Président élu charge l'éphémère garde des Sceaux Maurice Faure, puis son successeur Robert Badinter, de préparer un projet de loi portant abolition de la peine de mort.
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Le texte est présenté en Conseil des ministres à la fin du mois d’août 1981 et, après son passage en commission à l’Assemblée, est examiné en séance publique en septembre. Le premier des sept articles du projet de loi pose le principe de l’abolition de la peine de mort. Le deuxième remplace la peine de mort par la réclusion ou la détention criminelle à perpétuité. Mais l’idée même de l’abolition va donc à l’encontre de ce que souhaite l’opinion : à l’ouverture des débats, le 17 septembre 1981, un sondage établit que 62% des Français sont alors favorables au maintien de la peine capitale.
Le ministre de la Justice, Robert Badinter, prononce, dans ce contexte, un discours devenu célèbre qui débute ainsi : "J’ai l’honneur, au nom du Gouvernement de la République, de demander à l’Assemblée nationale l’abolition de la peine de mort en France". L’avocat met toute son éloquence pour dénoncer une "justice qui tue" et les "exécutions furtives, à l’aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises". Face aux députés, le garde des Sceaux l’assure, "demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées".

... et le Parlement abolit la peine de mort
Le lendemain, les députés adoptent le texte par 363 voix contre 117 et dix jours plus tard, le Sénat fait de même par 160 voix contre 126. "Le fonctionnement de la Ve République a permis à François Mitterrand d’avoir une majorité confortable à l’Assemblée", souligne en premier lieu le docteur en histoire contemporaine, Nicolas Picard pour expliquer cet aboutissement, avant d’ajouter que, "même sans cela, on peut penser que l’abolition aurait été votée car le Sénat, majoritairement à droite, accepte lui aussi l’abolition". Il est d’ailleurs important de souligner que parmi les 363 députés qui ont dit oui, en 1981, à la suppression de la peine capitale, il n’y avait pas que des élus de gauche. "Parmi ceux qui soutinrent l’abolition, on comptait 31 députés du centre et de la droite", met en avant l'actuel président LREM de l’Assemblée nationale Richard Ferrand. "Il faut rappeler que l’Église catholique de France s’est prononcée pour l’abolition en 1978", précise Nicolas Picard mentionnant également l’influence des démocrates-chrétiens sur cette question.
Ainsi, Étienne Pinte, député du RPR en 1981, a voté l’abolition de la peine de mort. "Nous étions 16", se souvient-il, "16 députés sur les 88 du groupe parlementaire du RPR, à avoir dit oui__, malgré la volonté largement majoritaire dans ce groupe, de ne pas abolir la peine de mort". Parmi les 16, Jacques Chirac, François Fillon, Michel Barnier et Philippe Séguin notamment. La détermination d’Étienne Pinte à l’époque n’a souffert d’aucune hésitation, assure-t-il encore aujourd’hui, avant tout parce qu’en tant que chrétien, il était "évident" pour lui que la vie était "suffisamment sacrée pour que l’homme ne puisse en prendre possession".
Étienne Pinte, député du RPR en 1981 et qui a voté pour l'abolition, revient sur les tensions à droite à l'époque. Récit de Rosalie Lafarge
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Des collègues des bancs du RPR ont bien tenté de le faire changer d’avis. "Certains me prédisaient ma non-réélection dans ma circonscription des Yvelines et à Versailles, considérée comme une ville très conservatrice", raconte Étienne Pinte, élu et réélu par la suite pendant trente ans député puis maire de Versailles.
Sur les bancs de la gauche à l'Assemblée en 1981, l’actuel sénateur LREM François Patriat, se souvient encore de sa "chair de poule" au moment du vote, mais également de la "violence des propos des adversaires de l’abolition" dans l’hémicycle et en dehors. "Quand je revenais dans ma circonscription en Bourgogne, je me faisais insulter, on me disait aussi de ne pas venir me plaindre si mes enfants se faisaient assassiner, il y avait un climat de haine, de violence et de défiance", note François Patriat. Ce que confirme le spécialiste Nicolas Picard : "Le caractère offensif des partisans de la guillotine est plus affirmé depuis 1906-1908. L’idée selon laquelle les partisans de l’abolition sont des complices des criminels, qui en plus bafouent la volonté du peuple, s’impose dans une partie de l’opinion et le soutien à la peine de mort est en effet plus vindicatif dans les débats du XXe siècle que dans ceux du XIXe".

Mais le 18 septembre 1981, l’Assemblée nationale adopte donc par 363 voix contre 117 le projet de loi portant abolition de la peine de mort. "C’est grâce à vous, Robert Badinter, à la volonté politique du Président de l’époque, François Mitterrand, et à tous ceux qui, le 18 septembre 1981, ont voté la loi portant abolition de la peine de mort, que notre démocratie a parachevé le projet de grande nation qu’elle portait en elle depuis des siècles. Avec cette loi, vous avez affirmé que la vie n’a pas de prix et que personne, pas même l’État, moins encore l’État, ne peut retirer la vie d’un homme, fut-il un criminel", a salué en septembre 2021, devant Robert Badinter, l’actuel garde des Sceaux.
Le 15 septembre dernier, presque quarante ans après son célèbre discours à l'Assemblée, Robert Badinter livrait un nouveau plaidoyer contre la peine de mort. Reportage de Rosalie Lafarge.
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Pour Éric Dupond-Moretti, "abolir la peine capitale était en effet la dernière pierre de l’édifice démocratique que notre pays a mis des siècles à construire. La France était en retard, terriblement en retard, ce fut l’une des dernières démocraties occidentales à abolir la peine capitale. Le chemin fut long, mais il fut sans retour". Le ministre de la Justice a par ailleurs salué l’inscription dans la Constitution en 2007, à l’initiative de Jacques Chirac, de l’article 66-1 qui dispose que "nul ne peut être condamné à la peine de mort".