Affirmations péremptoires sur le futur de la radio (mauvaise foi incluse)
Par Thomas Baumgartner
L'Ecole normale supérieure de Lyon organisait jeudi, sous l'égide de l'association TrENSistor, une journée de rencontres autour de la radio. Le documentaire et la création y ont eu leur place, l'histoire des radios libres, des témoignages sur la matinale... J'ai eu le plaisir d'y intervenir au début de la matinée sur la question du futur de la radio, vaste sujet qui pousse volontiers à la prévision approximative. Alors quitte à risquer la pacorabanisation, ou l'élisabethtessierité, je reprends ci-dessous mes notes préparatoires, dont le ton péremptoire, l'absence de nuance et de conditionnel, et, le cas échéant, la mauvaise foi sont totalement assumés. Sinon, c'est moins drôle.

Ainsi, le futur de la radio répondra aux caractéristiques suivantes : mobilité, relief, parole.> Il n'y aura plus de podcast. Le futur de la radio se fera sans plus de podcast. La culture de l'accumulation, et parfois de la collection, qui s'est développée depuis 2006 et l'utilisation de plus en plus massive de l'abonnement au téléchargement des émissions va se perdre.Le podcast va disparaître au profit de l'écoute AOD ("Audio on demand", l'écoute à la demande), mobile ou non. On peut déjà écouter, avec certaines applications mobiles, de nombreuses émissions sans avoir à les télécharger. Une fois affinées ces applications (notamment le pause/ play, la navigation dans le son), tout indique que le podcast perdra du terrain. Et le son reviendra dans le "cloud", comme une multitude de fichiers, services, informations.> La musique va disparaître des antennes. Les nouveautés musicales seront de plus en plus difficilement diffusées. Les majors préfèreront tendanciellement d'autres canaux que la radio pour promouvoir leurs titres, notamment les réseaux sociaux musicaux et les applications musicales des grands réseaux sociaux généralistes, parce que plus directement marchands. Cette prévision sera surtout vraie pour les radios jeunes musicales, dont le public est plus sensible aux nouveaux usages d'écoute.> La radio sera "en relief". Les recherches sur le son multicanal (notamment 5.1 : cinq sources sonores + un caisson de basse) arrivent à maturité au moment où le marché des Home cinémas (et leurs installations son ad hoc) gagnent du terrain et dépassent le stade de la niche. Bientôt la radio "en relief" (du son tout autour de vous, y compris derrière, une expérience d'écoute inédite) sera une chose accessible. Mieux encore, la traduction de ce son multicanal en son "binaural", à écouter au casque, permettra plus rapidement encore à cette nouvelle radio de se répandre, via les écoutes mobiles (qui se font la plupart du temps au casque). Et par conséquent...> ... "L'écriture" radio va exploser . Le passage de la production mono à la production stéréo (années 60) a apporté des subtilités d'écriture radio, des effets de réel, des finesses de composition qui paraissent aujourd'hui évidentes. Mais avoir le sentiment du passage devant soi d'une calèche de gauche à droite ( une des premières expériences grand public de la stéréo) a fait un effet plus fort encore que le passage à la couleur au cinéma. Une écriture nouvelle était alors possible et nécessaire. Aujourd'hui, elle est acquise, évidente, parce que les usages sont ceux de la stéréo depuis plus de 40 ans. Le passage au multicanal/ binaural promet une révolution du même ordre en ce qui concerne la grammaire radio. Défi pour ceux qui la pratique ! Quand le son peut provenir de derrière vous, d'au-dessus de vous, quand le mouvement ou la proximité deviennent des éléments fondamentaux, alors on n'enregistre plus de la même manière, on ne monte ni ne mixe comme avant. On doit imaginer différemment. **> La mobilité restera la force essentielle de la radio. ** Via le podcast ou ses successeurs (cf. premier point), comme via les formes plus anciennes mais toujours valables (autoradios, postes portables), la mobilité assurera la pérennité de la radio. La radio nous accompagne sans s'imposer, elle nous permet de poursuivre une activité annexe (le déplacement en est un), et lui donne un avantage que le développement des nouveaux médias et des nouveaux usages ne réduit pas. > La radio sera flux et fragment en même temps. ** C'est la quadrature du cercle de la composition d'une grille des programmes : trouver une cohérence globale, un équilibre, un rythme, des variations, un lien de chaque émission avec l'horaire de diffusion... La quadrature du cercle sera de maintenir cette cohérence avec l'écoute à l'unité, délinéarisée, "hors contexte", forcément encouragée, de plus en plus pratiquée. Une grille devra, de plus en plus, être continue et découpée en même temps. Cette quadrature-là se double de l'incompatibilité (apparente) d'une radio émettant de haut en bas, limitant les moyens d'interaction (on allume/ on éteint), face à une pratique nouveaux médias qui va vers l'éclatement, les communautés éphémères, les multitudes plastiques.> La radio écoutera la création sonore extra-radiophonique. ** Dès aujourd'hui, l'ébullition sonore créative déborde la radio, qui en a longtemps eu le monopole (c'est là que le travail sur le son a été inventé, c'est là que longtemps demeuraient le matériel nécessaire et le savoir qui allait avec). La radio poursuivra sa part, mais devra aussi rendre compte de cette ébullition, en avoir le coeur net, en tirer humblement certaines informations (qui fait quoi ? comment ? quels talents tirer de cette ébullition non strictement radiophonique ?).
Maintenant que ces quelques affirmations définitives sont gravées sur le blog, il ne reste plus qu'à observer les ondes...
Post-scriptum qui a un peu à voir : cette journée lyonnaise fut l'occasion de rencontrer quelques responsables d'universités lyonnaises, dans le cadre du projet "Grantanfi". Ce projet va commencer prochainement à pointer son nez, à travers un blog et des comptes sociaux (http://twitter.com/grantanfi & http://facebook.com/grantanfi). On y reviendra ici.