“Ils ont tué des gens toute leur vie. Comment voudraient-ils connaître l’art ?” Depuis la prise de Kaboul par les Talibans, le photographe afghan Morteza Herati a dû fuir son pays.
"J’ai essayé de montrer la vie pendant la guerre, pas la guerre. Ma mission était de capturer l’histoire de la vie, la couleur de la vie, la musique de la vie." C'est avec ces quelques mots que Morteza Herati définit son travail de photographe en Afghanistan, lui qui est aujourd'hui réfugié à Marseille.
Poussé vers la photo par les Talibans eux-mêmes
Avec plus de 50 000 followers sur Instagram et une dizaine d’expositions dont une en France en 2019, Morteza Herati, artiste photographe, ne peut plus exercer son métier en Afghanistan depuis la récente prise de Kaboul par les Talibans.
C’est pourtant dans son pays qu’il a tout appris. En 1997, c’est enfant, dans le studio de son père, qu’il connaît sa première expérience photographique. Sous le règne des Talibans (1996-2001) toute forme d'art est interdite y compris la photographie. Seule exception : les photos d'identité.
Il y avait un problème pour prendre les photos des femmes. C’était haram [interdit] qu’un homme prenne en photo une femme. Donc comme j’étais enfant, je travaillais dans l'atelier photo de mon père et c’était mon job de prendre en photo les femmes et les filles. Morteza Herati, photographe afghan
Après le départ des Talibans il s’entraîne à la photographie d’art avec toujours la volonté de montrer ce qui fait le sel de la vie, malgré la guerre civile et les attentats en série. C’est dans cette démarche qu’il a réalisé la série de photographies Les Garçons du fleuve . Où de jeunes garçons, déjà travailleurs, retrouvent leur innocence pendant quelques instants.
Quand j’ai regardé les photos je me suis dit : “Cette histoire, c’est l’histoire de nos enfants, de notre enfance, la mienne et peut-être celle de mon père aussi.” C’est tellement simple. L’histoire de la joie et de la tristesse réunies. Un simple jeu dans la rivière. Morteza Herati, photographe afghan
La photo comme témoignage
Les œuvres de Morteza Herati, sont aussi un témoignage des changements qu’ont connus les Afghans depuis 2001.
Je sentais des changements, de bons changements, durant les deux dernières décennies, à propos de la démocratie, de l’accroissement des connaissances, des droits de l’homme et des droits des femmes. Nous avions un grand rêve, pour un nouvel Afghanistan, pour la nouvelle génération. Et maintenant, il n'y a plus rien. Morteza Herati, photographe afghan
Malgré ces évolutions, l’art était toujours en danger en Afghanistan ces dernières années. Pas de support public, peu de financement et des pressions persistantes au fur et à mesure que le pouvoir des Talibans grandissait. Morteza Herati, souvent sur les routes, a été confronté à la présence régulière des Talibans hors des villes. Mais il n’a jamais voulu cacher son métier.
Je n’ai jamais mis de côté ou caché [ma profession]. Parce que de toute façon, je suis actif sur les réseaux sociaux depuis une dizaine d’années. Morteza Herati, photographe afghan
Publiquement reconnu comme artiste, lui et ses proches sont menacés par les Talibans. Effrayé pour la vie de ses enfants il est aujourd’hui exilé avec sa famille à Marseille.
C’est impossible d’être un artiste, de faire de l’art en Afghanistan sous le régime taliban. Parce que ce sont des combattants, ils ont tué des gens toute leur vie. Comment pourraient-ils connaître ou ressentir l’art ? La beauté ? Le bonheur ? Peut-on expliquer le bonheur, la joie, les rêves ? Ils ne comprennent rien à cela. Morteza Herati, photographe afghan