Alaa Al-Aswany : "La dictature, un virus dangereux pour tout le monde !"

Alaa Al-Aswany, une plume et un regard acéré sur le monde
Alaa Al-Aswany, une plume et un regard acéré sur le monde

Alaa Al-Aswany : "Une dictature forme ce que j'appelle 'un bon citoyen'"

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Alaa Al-Aswany : "La dictature, un virus dangereux pour tout le monde !"

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Le célèbre écrivain égyptien publie "Le Syndrome de la dictature". Dans cet essai, l’ancien dentiste du Caire dissèque les rouages des régimes autoritaires. Rencontre à Paris pour évoquer son pays et le régime Al-Sissi, l'Amérique de Trump, les recettes des dictateurs et les leçons de la pandémie.

Avant d’attraper son vol pour New York, Alaa Al-Aswany nous a donné rendez-vous dans les salons de son hôtel parisien. Débonnaire et jovial, il arbore un large sourire et commande des cafés.

L’auteur de "L’Immeuble Yacoubian" vient de publier un nouvel essai intitulé "Le Syndrome de la dictature", aux éditions Actes Sud. Pourquoi un essai ? "Il me faut du temps pour sortir du monde romanesque, confie Alaa Al-Aswany. J’ai besoin d’une pause d’un an, puis j’écris un autre roman."  Son dernier ouvrage "Et j’ai couru vers le Nil", publié en 2018, lui a valu de sérieux ennuis avec la police égyptienne, ainsi que son exil américain.

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"Insulte envers le Président"

Poursuivi pour "insulte envers le Président", l’écrivain risque la prison en cas de retour. Pourtant, Alaa Al-Aswany connaît bien le Président Al-Sissi, qui l’a plusieurs fois invité à prendre un café au club des officiers d’Héliopolis.

"C’est l’homme des services, souligne-t-il_. Il faut faire un effort pour comprendre ce qu’il pense. Il a ce qu’on appelle en anglais une "poker face", le visage du joueur de poker. Il s’exprime de façon très polie, mais c’est quelqu’un qui est totalement fermé."_

Poursuivi pour "insulte envers le président Al-Sisi", Alaa Al-Aswany risque la prison en cas de retour en Égypte.
Poursuivi pour "insulte envers le président Al-Sisi", Alaa Al-Aswany risque la prison en cas de retour en Égypte.
© AFP - Daniel MIHAILESCU / AFP

Alaa Al-Aswany fait partie de celles et ceux qui ont cru que la révolution du Nil de 2011 allait changer le visage de l’Egypte et inaugurer des lendemains démocratiques. Pris en étau entre les militaires et les islamistes, les révolutionnaires de la place Tahrir ont été broyés. Et le "syndrome de la dictature" a cadenassé le pays.

"Pourquoi accepte-t-on une dictature, s’interroge l’ancien dentiste devenu romancier_. Qu’est-ce qu’il y a de commun entre les dictateurs ? Il y a une base que j’appelle les "bons citoyens" qui vivent dans leur bulle, qui ne s’intéressent qu’à leur boulot, à leur famille et au foot !"_

Autant de gens dépolitisés qui ne veulent pas le changement et qui préfèrent la sécurité des régimes autoritaires. Or, "la révolution, ça veut dire quoi ? Ça veut dire détruire un monde pour en construire un autre. C’est trop pour le bon citoyen !"

La figure charismatique du raïs

Dans le monde arabe, les indépendances ont accouché de dictatures militaires avec au sommet la figure charismatique du raïs. "Les gens aimaient Nasser même s’il n’était pas démocratique, explique Alaa Al-Aswany. C’était un grand dictateur mais il distribuait le pain au peuple. Saddam Hussein ou Kadhafi, la même chose. Mais aujourd’hui en Egypte, il n’y a plus de pain. Il ne reste sur la table que le bâton !"

Dans son essai, l’écrivain égyptien constate l’inculture des autocrates et des dictateurs modernes_, "à l’exception de Mussolini, qui était journaliste à la base",_ note-t-il.

Et Alaa Al-Aswany de rapporter cette anecdote d’un journaliste israélien demandant au Président Moubarak s’il avait lu "L’Immeuble Yacoubian". Le raïs de répondre : 

Non, mais on m’a écrit un rapport. Et je pense qu’Al-Aswany a de la chance de ne pas être en prison ! 

Interdit de télévision et de presse écrite dans son pays, le romancier a donc préféré quitter l’Egypte. Direction les Etats-Unis où il dirige un atelier d’écriture à l’Université de Dartmouth. 

"Les gens aimaient Nasser même s’il n’était pas un démocrate", explique Alaa Al-Aswany.
"Les gens aimaient Nasser même s’il n’était pas un démocrate", explique Alaa Al-Aswany.
© AFP - AFP PHOTO FILES / AFP

Les leçons de la pandémie

Quand la pandémie de Covid-19 a ravagé la planète, Alaa Al-Aswany se trouvait à Marseille en résidence d’auteur à Institut d’études avancées de l’université d’Aix-Marseille (Iméra) pour préparer son prochain roman.

"L’histoire se passera dans les années 60 à Alexandrie, à la fin de la période cosmopolite de cette ville méditerranéenne", nous confie le romancier, qui ne veut pas en dire plus. 

Quel regard porte-t-il sur la pandémie et le monde l’après Covid ? 

On a découvert que dans les pays les plus riches du monde, les hôpitaux n’étaient pas équipés ! Les pays occidentaux dépensent des milliards pour fabriquer des armes pour tuer, si on avait dépensé un quart de ce budget pour la santé, on n’aurait jamais été dans une situation pareille.

Dans cette crise sanitaire à l’échelle de la planète, Alaa Al-Aswany pointe du doigt les régimes autoritaires, qui manient le mensonge et la propagande avec dextérité.

Le virus de la dictature

"Les dictatures peuvent être très dangereuses, pas seulement pour leurs peuples mais pour tout le monde ! Est-ce que quelqu’un peut dire vraiment ce qui s’est passé en Chine ? Personne. En Egypte, c’est pareil. En Iran, c’est pareil. Quand vous vivez dans un pays démocratique, même quand vous n’êtes pas contents avec ce que le Président est en train de faire, il ne peut pas cacher la vérité parce qu’il y a les médias, le parlement. Dans les dictatures, on ne sait rien !"

Et l’Amérique de Trump ? Le romancier égyptien ne prend pas de gants et cogne fort : 

Ce qui se passe aux Etats-Unis, est un "turning point", un "point de rupture". Les racistes qui étaient toujours racistes sentent qu’ils sont soutenus, qu’ils ont leur homme à la Maison-Blanche. Trump a toujours utilisé un discours raciste. Pas seulement contre les Arabes, les musulmans, les Mexicains, les Indiens, les Noirs, les Chinois, contre tout le monde !

En tant qu’ancien dentiste, Alaa Al-Aswany ose une métaphore médicale : "Quand il y a un abcès, il faut l’ouvrir. Mais dès qu’on ouvre, il se dégage une mauvaise odeur. Je pense que Trump a ouvert l’abcès du racisme et ça pue !"

Alaa Al-Aswany : "Je pense que Trump a ouvert l’abcès du racisme et ça pue !"
Alaa Al-Aswany : "Je pense que Trump a ouvert l’abcès du racisme et ça pue !"
© AFP - SAUL LOEB / AFP

L’antidote de la justice

Alaa Al-Aswany connaît bien les Etats-Unis où il a étudié la médecine et d’où il a tiré son roman "Chicago". Evidemment, la situation actuelle est une source d’inspiration pour lui. Même s’il reconnaît que les hommes forts ont le vent en poupe en ce moment dans le monde et que la démocratie est menacée, il reste viscéralement optimiste.

D’abord pour les Etats-Unis : "Les institutions démocratiques empêchent Trump de faire ce qu’il veut. Chaque jour, on voit des policiers et des officiers de l’armée qui font des vidéos pour soutenir les manifestants anti racistes. Je pense que Trump aurait été très content de diriger un pays arabe !"

Malgré la désillusion des printemps arabes, le seul antidote au "Syndrome de la dictature" partout dans monde, c’est "la justice", nous dit Alaa Al-Aswany en nous quittant. Car hors d’elle, point de salut pour l’humanité.