Alexandre Mayol : "Pour mieux préserver l’eau, il faudrait déjà savoir ce que l’on consomme"
Par Catherine Petillon
Avec la sécheresse, limiter la consommation d’eau est devenu un enjeu majeur. Quels sont les leviers d'actions pour mieux faire ? Entretien avec l’économiste Alexandre Mayol, maître de conférences à l’Université de Lorraine.
Pour l’économiste Alexandre Mayol, maître de conférences à l’Université de Lorraine, il est nécessaire d’améliorer la mesure de la consommation réelle par les ménages. Et de repenser la construction du prix de l’eau.
Faire payer l’eau en fonction de sa consommation est-il un bon outil pour réduire la consommation ?
La prise de conscience de l'enjeu du prix de l'eau est assez récente. Jusqu’aux années 2000, le prix de l’eau servait uniquement à payer les charges, et donc à assurer l'équilibre économique de la régie ou de la délégation qui gère l'eau. C’est à partir de 2006 que l’on commence à voir dans la loi des évolutions qui demandent à ce que le prix de l'eau soit davantage le reflet de préoccupations de sauvegarde de la ressource, pour faire des économies de consommation, etc.
Le vrai tournant c’est en 2013 : la loi du sénateur Brottes a permis d’aller plus moins et de faire un tarif sur-mesure à l'échelle du foyer, par exemple en fonction de critères sociaux et de la consommation moyenne. Et ça, ça a été une rupture importante.
Ce que la majorité des gens connaissent encore, c'est une tarification à la consommation globale : vous avez consommé tant, vous payez tant.
L'idée d’une tarification éco-solidaire comme l’a mise en place par exemple Dunkerque dès 2012, c’est d’abord de dire que plus vous allez consommer, au-delà de certain seuil, et plus vous allez payer cher le mètre cube d’eau. Parce qu'on estime qu'il y a une consommation qui est “normale” et après qu'il y a une consommation de "confort''. C'est le terme utilisé à Dunkerque par exemple.
Au-delà de ce qui est nécessaire, vous pouvez toujours consommer, mais cela sera un peu plus cher parce que vous êtes au-delà de la moyenne. Ça, c'est la première chose pour inciter les gens à baisser leur consommation.
Le deuxième aspect de cette tarification est la dimension sociale. C'est-à-dire pratiquer pour la première tranche de consommation un tarif vraiment réduit pour certains ménages.
En termes de volume, la tarification progressive comme à Dunkerque fait baisser la consommation globale entre 5 et 10%. C’est important.
Depuis la loi Brottes, à peine une dizaine de services d’eau potable ont proposé ce type de tarification. Pourquoi ?
Cela demande un portage politique fort. Beaucoup d'élus ne sont pas certains du résultat et en plus ils savent qu'à court terme cela peut faire augmenter la facture. Parce qu’il faut communiquer auprès des usagers, accéder aux données fiscales des ménages et les traiter (pour pouvoir proposer un tarif social). Est-on prêt à payer pour cela ?
Il faut aussi installer des compteurs individuels. Car pour faire une tarification sociale et incitative, encore faut-il que l'on connaisse la consommation réelle.
Ce n’est pas toujours le cas ?
La plupart des gens ne savent pas combien ils payent leur eau chaque année. Pour une raison simple, c'est que pour beaucoup de locataires, ce prix est compris dans les charges de l'appartement loué. Or quand on vous dit qu’il y a des problèmes de sécheresse,mais que vous ne savez même pas pas ce que vous consommez vous-même, l'effort est difficile à quantifier.
A mon sens, l’enjeu prioritaire, avant même la tarification progressive, est que tout le monde paye en fonction de sa consommation réelle, et non pas d’estimations. Car dans beaucoup d’immeubles il y a une facture commune et on divise par le nombre de personnes dans chaque appartement. C’est finalement déconnectée de la consommation réelle de chacun.
Il faut aussi qu'à un moment donné le prix reflète la rareté, ce que l’eau coûte réellement et sa disponibilité. Le prix de l'eau doit-il être le même quand nous sommes en période de sécheresse ? Ou ne faut-il pas réfléchir à des tarifications un peu plus subtiles ?
Selon vous, il faut modifier la façon dont est élaboré le prix de l’eau ?
Contrairement à l’électricité, il n’y a de régulateur national pour l’eau potable : chaque élu local est responsable de son contrat. Avec une contrainte importante dans le cas de l'eau, c'est que “l'eau paye l'eau”. C'est-à-dire qu'il ne peut pas y avoir de subventions externes : la tarification doit s'autosuffire en termes de recettes.
Par exemple, dans le cas des tarifs progressifs, ce qui est perdu d'un côté sur les petits consommateurs, qui ont des tarifs préférentiels, est récupéré avec les gros consommateurs. Et la question c'est finalement qui est ce qu'on veut faire payer pour les autres ? Est-ce le gros consommateur qui a une piscine ou une résidence secondaire par exemple ? C’est une question importante. Des stations balnéaires doublent voire triplent leur population en été. Ce qui génère une tension sur le réseau qui en temps normal n'existe pas. Faut-il une tarification spécifique pour les résidences secondaires spécifiques ? Ces questions sont posées aujourd’hui.
Pour vous, il y a un modèle économique à repenser ?
Nous sommes à un moment où se multiplient les innovations. On sort des contrats traditionnels. On voit apparaître des contrats plus incitatifs avec des primes d'objectifs ; mais peut-être faut-il aller plus loin sur l'aspect écologique.
Par ailleurs, on dit aux opérateurs de pousser les gens à moins consommer or cette consommation c’est précisément leurs ressources financières. Donc on a là un problème de logique aussi.
C’est pour y répondre qu'il y a actuellement des travaux sur des contrats qui, par exemple, mettraient des primes à la baisse de la consommation pour compenser la perte de recettes. C’est tout l’écosystème qu’il faut penser
La tarification est-elle l'unique levier pour réduire notre consommation d'eau ?
Pendant longtemps, on a aussi eu une culture de l'acceptation des pertes d’eau, notamment des fuites. Et chaque année, un milliard de mètres cubes d'eau sont perdus en France à cause des fuites. C'est l'équivalent de la consommation de 18 millions d'habitants. C'est considérable.
On sait que les réseaux sont vieillissants parce qu'ils ont été construits dans les années 50, voire même avant. Aujourd'hui, il faut les entretenir. Et la question qui se pose c’est qui finance le renouvellement du réseau, comment, et quel est l'agenda en la matière ?
Pendant longtemps, l'eau était un bien très abondant et dont le coût était assez faible. Dans ce contexte, pourquoi réparer les fuites si finalement, le dommage n'est pas considérable. Alors que casser une chaussée, chercher une fuite et la réparer a un coût bien tangible.
Des systèmes existent par exemple aujourd'hui que l'on appelle les régies intéressées, c'est-à-dire que la rémunération de l'opérateur se fait en fonction de primes, de malus, de bonus, selon les objectifs à atteindre. Cela pourrait aussi être un outil pour inciter des opérateurs à rénover le réseau, à réduire les pertes, etc.