__________________________________ > Amérique Latine, un état des lieux : les portraits | les lieux

Façade de l'ESMA © M-Pomarède/RF
L'ESMA, l'Ecole Mécanique de la Marine, fut le plus grand site de la Marine de guerre à Buenos Aires. Il était destiné, à l'origine, au logement et à l'instruction technique des sous-officiers de l'armée. Pendant la dictature militaire, l'ESMA constitua un engrenage clé de la machine répressive du terrorisme d'Etat : elle devint l'un des principaux centres clandestins de détention et d'extermination d'Argentine.
Le site de l'ESMA, étendu sur 17 hectares, est situé au nord de Buenos Aires, à 20 minutes du siège du gouvernement, sur l'Avenue Del Liberador, une des principales voies d'accès au centre de la capitale.

Une des salles de torture © M-Pomarède/RF
Centre de torture
Pendant la période dictatoriale, le complexe ESMA fut le centre de l'activité répressive du Groupe d'action 3.3.2, la structure spécialisée dans le terrorisme d'Etat. Ce groupe remplit un rôle central à la fois dans l'élaboration de plans et la mise en place d'actions d'extermination, et dans la production de doctrines et de méthodologies terroristes.
A partir du 24 mars 1976, les officiers et le personnel de l'ESMA participèrent à des opérations répressives ouvertes, organisées par les hauts commandements militaires, comme par exemple, l'occupation de l'étage de la Compagnie d'électricité Italo située dans le port de Buenos Aires le jour même du coup d'Etat. Dans le cadre d'un plan dirigé par les Forces Armées, la Marine commença à structurer son propre appareil clandestin et à pratiquer le terrorisme d'Etat : séquestrations, vols, assassinats, rapts d'enfants et disparitions forcées. L'amiral Emilio Massera, commandant en chef de l'armée et membre de la première junte de la dictature participa en personne à l'action répressive.
Autour de 5000 personnes furent séquestrées dans l'ESMA. Les installations, en plus d'être utilisées par le Groupe d'action 3.3.2, furent mises à disposition d'autres groupes répressifs. Les Commandos de l'aéronautique, la Préfecture nationale maritime, le SIN et d'autres groupes policiers et militaires y séquestrèrent leurs détenus-disparus pour les torturer et les « transférer » dans les « vols de la morts ».

Couloir de l'ESMA ©M-Pomarède/RF
5000 victimes séquestrées
Une maternité clandestine fut mise en service dans le Casino des Officiers de l'ESMA pour les femmes enceintes prisonnières du Groupe d'action 3.3.2 et d'autres centres clandestins. Les femmes étaient séquestrées dans une chambre jusqu'au moment de l'accouchement. Elles étaient alors assistées par des médecins et infirmiers de l'ESMA et par d'autres prisonnières. En cas de complications, elles étaient transportées à l'Hôpital naval. Après l'accouchement, la mère était obligée d'écrire à sa famille à qui était soi-disant remis l'enfant. Peu de temps après, la mère était séparée de son enfant et transférée.Les enfants nés en captivité, dans la plupart des cas, furent adoptés par des marins ou des membres d'autres forces répressives.
Lors des opérations de « transfert », des dizaines de prisonniers étaient chargés dans des camions qui les emportaient jusqu'à l'aérodrome, d'où partaient les « vols de la mort ». Effectués chaque semaine, ou toutes les deux semaines, les transferts étaient accompagnés d'un hélicoptère. De tels déploiements de sécurité ne pouvaient passer inaperçus pour quiconque fréquentait les lieux de l'ESMA et ses environs.
Que ce soit pour une consultation dentaire ou pour travailler comme des esclaves à l'imprimerie ou dans d'autres ateliers, les prisonniers encagoulés était menés sous escorte armée d'un bâtiment à l'autre du site de l'ESMA.
Les élèves de l'Ecole de mécanique et de l'Ecole des sous-officiers, âgés de 17 à 20 ans, étaient employés pour la garde des prisonniers et recevaient un salaire extra pour cette « mission spéciale ». De plus, un grand nombre des officiers qui suivaient des cours à l'Ecole navale entraient comme remplaçants dans le Groupe d'action. Les marins étaient quand à eux chargés de bricoler du matériel de torture.

Hall d'entrée de l'ESMA © M-Pomarède/RF
Lieu de mémoire
Le 24 mars 2004, le président argentin Kirchner prit la décision de déménager les institutions militaires du site de l'ESMA pour le restituer à le Ville de Buenos Aires afin d'y créer l'Espace pour la Mémoire et pour la Promotion et la Défense des Droits de l'Homme.
Cette décision répond à la demande historique des organismes de Droits de l'Homme, des familles de victimes, et des survivants des centres clandestins de détention. Elle constitue une reconnaissance explicite de la responsabilité de l'Etat concernant son activité répressive illégale sur la période de 1976 à 1983. Le 28 décembre 2004, la Commission bipartite, composée de représentants du secrétariat des Droits de l'Homme de la Nation et du Sous-secrétariat aux Droits de l'Homme de la Ville de Buenos Aires prit possession de 4 hectares de terrain, et notamment du Casino des Officiers, qui fut le centre de réclusion des détenus-disparus. Le 15 mars 2006, 5 autres hectares furent cédés. Un troisième secteur devra être cédé avant le 31 décembre 2006 et la dernière partie avant le 30 septembre 2007.
Pendant ce temps, un processus public de discussions et de propositions est mis en place avec pour mission de définir l'étendue et les usages qui seront faits du nouvel espace. Ces décisions seront prises par consensus entre les survivants, les familles de disparus, les organismes de droits de l'homme et de citoyenneté.
Site Internet en espagnol de l'Espacio para la Memoria. Accès aux propositions faites par les organismes de défense des Droits de l'Homme, aux témoignages d'ex-détenus.
Les autres Lieux de Mémoire
> L'ESMA, Argentine > Villa Grimaldi, Chili > Estadio Nacional, Chili > Palais de la Moneda, Chili > Lieux essentiels / Bolivie