Ancien de la France libre : "Ce que nous voulions, c'était combattre l'ennemi"

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Ancien de la France libre : "Ce que nous voulions, c'était combattre l'ennemi"

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Michel Starckmann, vétéran du 3e SAS, a participé à des opérations de harcèlement des troupes allemandes sur la Loire en 1944.
Michel Starckmann, vétéran du 3e SAS, a participé à des opérations de harcèlement des troupes allemandes sur la Loire en 1944.
© Radio France - Nathalie Hernandez

Entretien. Michel Starckmann a 17 ans lorsqu’il quitte son pays occupé. Il est prêt à tout pour rejoindre la France libre : il y a 75 ans, en 1944, c’est en libérateur que ce vétéran du 3e SAS sera parachuté en Saône-et-Loire. Retour sur une aventure hors norme.

Début 1943, en Afrique du Nord, la situation militaire des troupes alliées se retourne. L’Afrika Korps du général Rommel se replie sous la pression de la 8e armée du général Montgomery et d'unités de la France libre. Lesquelles défileront à Tunis sous leurs couleurs et marquées de la Croix de Lorraine.

Une publicité incroyable face à des troupes coloniales françaises alors très marquées par la présence vichyste. C’est le début d’une vague de recrutement au sein des troupes alliées qui, côté français, rassemblera des "déserteurs" de l’armée française "régulière", des évadés de France ou encore des engagés au Moyen-Orient ou en Egypte. 

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Le 3e "squadron" des SAS ("Special air service", les forces spéciales britanniques) sera ainsi composé d’une troupe hétéroclite, que seul un objectif unit : la capacité à opérer en petits groupes parfaitement autonomes, derrière les lignes ennemies. C’est ce bataillon que Michel Starckmann parvient à rejoindre en 1943 au terme d’un long et hasardeux périple de deux ans. C’est aussi avec ce bataillon qu’au début d’août 1944, il sera parachuté en Saône-et-Loire pour y mener des opérations de harcèlement des troupes allemandes.

Comment un jeune de 17 ans décide-t-il de rejoindre la France libre ?

Pouvez-vous vous rendre compte de la mentalité d'un jeune en 1940 qui voit les hordes de l'armée française en déroute ? Des soldats dépenaillés qui jettent leur arme par terre... Surtout qu'à l'époque, l'armée est très visible dans les rues, les officiers d'active se baladent en uniforme en 1938, 1939, 1940. Personne n'est alors antimilitaire.

Quand vous voyez une troupe française qui part en débandade... Quand mon oncle est monté au front avec le 61e régiment d'artillerie dans la poche de Sedan, il m'a dit qu'il n'avait pas de balles pour son revolver d'ordonnance, qu'il n'avait que six obus par pièce pour ses canons tiré par les chevaux. En face, les chars sont arrivés. Que vouliez-vous qu'il fasse ?

J'ai essayé de partir une première fois et cela n'a pas fonctionné, parce que, à cette époque-là, à 17 ans, on manquait de maturité. Mais recherché par la police et aidé par un ami militaire, au terme d’un périple de deux ans, qui m’a mené de Dinard à Londres en passant par l’Afrique du Nord, j’ai pu m’engager. Il faut dire que les transports n'étaient alors pas ce qu'ils sont maintenant. Il fallait aussi faire preuve d'attention partout où on mettait les pieds. Pour tous ceux qui essayaient de rejoindre De Gaulle, il y avait pas mal d'embûches tout au long du parcours. On était vraiment à la dure.

A Tripoli, vous vous engagez. Mais vous ne resterez pas en Orient…

C’est à Tripoli que j’ai rejoint les rangs de la France libre. Avec mes camarades, sous les ordres de Stirling, nous pensions être entraînés au Liban. Mais il n’en sera rien. Nous sommes envoyés en Angleterre. A côté de Londres, à Camberley, comme beaucoup de Français engagés. On n'y restera que quelques temps. Ensuite, on nous a montés en Ecosse où nous avons fait tout notre entraînement.

Cela a demandé plusieurs mois. Car il fallait nous dégrossir. Savoir ce qu'il faut faire pour attaquer seul ou à quelques-uns pour avoir des résultats. Nous n'avions pas tout l'armement qu'il y a maintenant. Il fallait une bonne condition physique, une grande résistance, et, surtout, un moral d'acier.

L’action, vous l’attendiez, et vous avez dû l’attendre encore…

Nous pensions que nous partirions tous en groupe, l'unité en une seule fois. Alors quand on a su que nous serions échelonnés en fonction des événements, on a ragé un peu. Ça n'a pas été facile. Tous les soirs, on allait voir le bulletin pour savoir comment ça se passait. Mais nous n’avons pas trop attendu.

Je suis parti avec la deuxième vague, la première quinzaine d'août 1944. Nous étions à peu près à une trentaine. Nous avons rejoint La Vineuse, au-dessus de Cluny, en Saône-et-Loire. Un éperon rocheux qui permettait aux radios d'installer le fil l'antenne dans les arbres, bien camouflé, et d'observer les deux routes nationales qui confluaient plus haut, dans le nord. Donc je pouvais tout de suite signaler à Londres les mouvements de troupes. Ça nous permettait aussi d'aider et d'armer la Résistance, avec qui j'ai pris contact. 

Notre mission consistait aussi à couper la route aux Allemands, les arrêter. Et c’était assez simple. On approchait d'une voie ferrée ou d'une route. On posait nos explosifs et on faisait sauter. Il n'y avait rien d'extraordinaire dans tout ça. Vous apprenez ça à un enfant de 10 ans. Le tout est de savoir comment bien poser la charge.

Mais il ne faut pas prendre un sabotage en lui-même. Il faut prendre l'ensemble de ce qui a été fait en Saône-et-Loire, où la Résistance a été très forte. Mais mes camarades ont quand même mené pas mal d'actions spectaculaires, notamment l'arrêt d'un train blindé. Et le parachutage des SAS dans toute la zone a été important parce qu'il a stoppé les Allemands qui montaient vers le front de l'ouest. Mes camarades ont fait du bon boulot avec la Résistance, qui a permis aux troupes de Normandie de progresser.

Après une telle aventure, quel sentiment la fin de la guerre vous laisse-t-elle ? 

À l'annonce de la fin de la guerre, tout le monde saute de joie. Nous avons le sentiment d’avoir fait notre devoir de Français. Vous savez, avant la guerre, la patrie, c'était quelque chose. Elle était ancrée en chacun de nous. Pour nous, c'était sacré. Nous étions tous volontaires. Nous avons tous quitté quelque chose pour pouvoir défendre la patrie. 

Ce que nous voulions, c'était combattre l'ennemi, combattre le nazisme. Bouter l'Allemand hors de France. Il n'y avait pas autre chose. Et pour y parvenir, rejoindre De Gaulle et combattre sous ses ordres était nécessaire. 

Mais après la fin de la guerre, beaucoup de copains qui n'avaient aucune formation, aucune spécialité, ont peiné pendant très longtemps pour se former, pour trouver un travail. Certains, comme moi, ont poursuivi leurs études. J'ai eu la chance de trouver tout de suite une filière prometteuse, celle de l’administration coloniale. Mais d’autres n’ont pas eu cette chance.