Anne Sylvestre : s'engager pour mieux se "dégager"

Anne Sylvestre en 1965
Anne Sylvestre en 1965

Anne Sylvestre : "une sorcière comme les autres"

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Anne Sylvestre : s'engager pour mieux se "dégager"

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C’est “une sorcière comme les autres”, et l’une des premières autrices compositrices interprètes femme. Surnommée “Brassens en jupons”, Anne Sylvestre a chanté comme personne la liberté des filles, petites et grandes. Voici, en archives, les grands jalons de ses engagements retracés.

Anne Sylvestre le disait déjà en 1969 à Denise Glaser à la télévision : "Mon engagement est net. Mais il est sur le plan humain et beaucoup moins dans les mots et dans l’actualité. Je fais des chansons parce que j’ai le don de le faire. Moi je faisais des chansons de femme au nom d’une femme."  Et le répétait, avec recul, sur France Culture, en 2015 : "Il est certain qu’on doit s’imposer quand même. Pendant très longtemps, il y avait beaucoup de chanteuses, mais elles chantaient des chansons écrites par les hommes, c’est-à-dire qu’elles chantaient ce que les hommes avaient envie d’entendre." Elle, n'a chanté que ce qu'elle voulait, comme elle l'entendait. 

Prendre les enfants au sérieux

Après la guerre, Anne commence à gratter une guitare à l’école de voile des Glénans, puis, timide, elle se lance sur la scène d’un  cabaret parisien en 1957. Amie de Boby Lapointe, en jupe plissée et frange, elle chante ses propres textes sans micro. En 1970 elle chante en duo avecson "prince charmant" Lapointe: "Je ne savais pas qu’un homme c’était aussi déroutant." 

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Par plaisir et pour sa première fille, elle veut donner aux enfants un répertoire à la hauteur. Elle leur raconte des histoires parfois sombres, dans un vocabulaire châtié, un bestiaire fabuleux qui dit les peurs et joies du quotidien. En 1962 paraissent "Les Fabulettes", s’en suivront 17 volumes, chantés dans les écoles de France et du Québec, vendus par millions.

Anne Sylvestre, 1976 : "C’est la petite Josette. Quand ma fille ne voulait pas manger, je lui inventais des petites histoires. La petite Josette, qui était toute petite et assez coquine, aimait bien son grand bol de chocolat le matin. Mais elle se faisait de grandes moustaches. Dans l’escalier, elle rencontrait madame la concierge. Bonjour monsieur ! Bah je suis pas un monsieur ! Ah tiens, j’aurais cru. C’est la petite Josette, qui n’en fait qu’à sa tête… " 

C’est justement par respect des petits qu’elle ne veut pas être exclusivement associée aux enfants, et qu’elle refuse de faire des concerts seulement pour eux. Anne Sylvestre chante pour des “gens”. 

Anne Sylvestre, 1976 : "Je suis un enfant, je ne suis pas une dame qui chante. Alors je ne me vois pas moi, étant leur égale, monter sur une scène pour leur raconter des trucs. Je ne peux pas “interpréter” pour les enfants. C’est pas vrai. J’ai écrit d’abord pour les adultes. Enfin j’ai écrit des chansons !"

Chanter les femmes du dedans

Fille d’un collaborationniste emprisonné après-guerre, Anne se revendique pacifiste, démocrate, et s’engage surtout contre l’oppression des femmes. 

Anne Sylvestre, 1975 : 

“Dis-moi donc Bergère, comment me parle-t-on ?
Monsieur, faut vous y faire, on a changé de ton.
Et mon pied au derrière n’est pas pour mes moutons”

Elle chante la sororité, la maternité, le viol, le corps, le harcèlement, le carcan moral, et deux ans avant la loi Veil, le droit à l’avortement, dans sa célèbre chanson “Non, tu n’as pas de nom”. 

Anne Sylvestre, France Inter, 1974 :  "J'ai écrit cette chanson parce qu'on parle assez souvent des choses par ouï-dire, et on pense assez peu à voir ce que c’est par le dedans, c’est-à-dire le vécu. Et il se trouve que j’ai le don de trouver les mots. Alors ma foi, je m’en sers." 

S'engager pour mieux se "dégager"

Pourtant, aux chansons engagées, elle préfère des chansons “dégagées”. 

Anne Sylvestre, en 1969, déjà : "C’est dégagé, parce qu’il faut bien expliquer quelques fois pourquoi on ne se met pas à chanter les mêmes choses que certains autres, et pourquoi on a envie de chanter ses propres petites chansons en y mettant tout ce qu’on a envie d’y mettre. 

Revendiquant sa liberté d’écrire, Anne tient à son autonomie de production : chanteuse de variété et fière de l’être, elle confirme son indépendance en fondant son propre label en 1973. Anne Sylvestre, France Culture, 2017 : " Pendant longtemps pour moi, c’était il y avait le feu, il y avait urgence. Et qu’est-ce qu’il fallait faire ? Chanter. Et puis écrire. Quand quelque chose n’allait pas, bon bah c’était “bon bah je vais écrire”." 

Anne Sylvestre, chantait encore son amour des gens. A la télévision en 1998, à l'occasion de la célébration de sa longue carrière :  

"J’aime les gens qui doutent mais voudraient qu’on leur foute la paix de temps en temps
et qu’on ne les malmène jamais quand ils promènent leurs automnes au printemps
Qu’on leur dise que l’âme fait de plus belles flammes que tous ces tristes culs
Et qu’on les remercie, qu’on leur dise, qu’on leur crie “Merci d’avoir vécu”
Merci pour la tendresse
et tant pis pour vos fesses
qui ont fait ce qu’elles ont pu."  

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images : INA (recherche : Hervé Evanno), Getty, AF