Analyse. Au lendemain de la condamnation du frère de Mohammed Merah, Florence Sturm, qui a suivi pour la rédaction de France Culture les cinq semaines de procès, synthétise les 4 principaux enseignements du procès pour la justice antiterroriste.
Florence Sturm a suivi pendant cinq semaines le procès du frère de Mohammed Merah, Abdelkader Merah, pour la rédaction de France Culture. En quatre points saillants, elle présente les principales leçons selon elle de ce procès pour la justice antiterroriste.
1/L'intérêt d'une cour d'assises professionnelle
Cette justice a fait l'objet de très nombreuses critiques. Pourtant, au soir du verdict, les différents protagonistes du dossier s'accordaient à dire que la cour d'assises spéciale s'était affranchie de la pression de l'opinion publique. La cour d'assises étant en l'occurrence composée de cinq magistrats professionnels (voir cet entretien sur l'histoire de la justice antiterroriste) pour éviter les menaces sur les jurés populaires, cette composition spéciale semble ainsi légitime aux yeux des différentes parties. On imagine mal un jury populaire pouvoir juger sereinement ce genre d'affaires, quand les policiers eux-mêmes peuvent désormais avoir recours à l'anonymisation et témoigner par visioconférence, visage caché et voix modifiée.
2/ L'importance d'un verdict détaillé
La cour a rendu un verdict qui peut paraître complexe a priori. D'un côté, elle reconnaît Abdelkader Merah coupable d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Elle le condamne à la plus forte peine prévue dans ce cas, 20 ans de réclusion criminelle, assortis d'une peine de sûreté des deux tiers. En revanche, elle l'acquitte pour complicité d'assassinats, en estimant que les éléments matériels probants ne sont pas réunis pour prononcer une condamnation. C'est un verdict qui dit le droit, la cour a rédigé 15 pages de motivations qui expliquent sa décision, notamment le fait que l'association de malfaiteurs constitue bien "une infraction autonome" de la complicité.
3/ Mieux cerner les contours de l'association de malfaiteurs
Les avocats de la défense ont dénoncé dans l'association de malfaiteurs une notion "fourre-tout", permettant en quelque sorte de condamner Abdelkader Merah, alors que la complicité d'assassinat ne pouvait être retenue. Cette incrimination, qui peut être délictuelle ou criminelle, traverse tous les dossiers de terrorisme. Les motivations détaillées de la cour d'assises spéciale de Paris permettent de mieux en cerner les contours. De manière générale, des mises en examen peuvent être prononcées à l'encontre de personnes interpellées même si les projets des terroristes présumés n'ont pas été réalisés. D'où le reproche récurrent contre l'association de malfaiteurs d'instituer en France ce que certains appellent une justice "prédictive".
A lire : notre récent dossier sur la justice face au terrorisme
4/ La difficulté à gérer l'émotion
Ce procès a également mis en lumière la difficulté à gérer les tensions, les douleurs et les émotions. En cour d'assises, le principe de l'oralité des débats, car il est nécessaire pour les témoins de venir s'exprimer à la barre, seul le président connaissant le dossier, les jurés ne le découvrant qu'au fil des témoignages et des dépositions, accentue cette difficulté. Le procès a donné lieu à des moments poignants, des récits parfois insoutenables, parfois à l'impossibilité pour certains proches de victimes de s'exprimer face à la cour. Il préfigure aussi ce que seront d'autres procès à venir, non seulement celui de Salah Abdeslam, pour les attentats du Bataclan et des Terrasses, où les parties civiles se comptent déjà par centaines, mais aussi d'autres audiences, criminelles également mais où les accusés seront seuls. Ce sera le cas notamment pour les dossiers des retours de Syrie, que le parquet a décidé de criminaliser et qui sont ainsi passibles de la cour d'assises et non plus de la simple correctionnelle.