Ecoutez la voix qu'on croyait perdue du poète érotique Pierre Louÿs, mort en 1925. Il interprète lui-même deux de ses poèmes : "Pour le Tombeau de Jean Second" et "L'Homme de pourpre", enregistrés en 1914 par le linguiste visionnaire Ferdinand Brunot.
Poète sulfureux et facétieux, figure de la Belle Epoque symboliste, Pierre Louÿs est né en 1870, et mort dans la misère, seul et aveugle, à 54 ans, en 1925. On a pourtant retrouvé sa voix, grâce aux Archives de la parole, gardée parmi les trésors de la Bibliothèque nationale de France (BnF).
Un drôle de poète érotique
Ami d'André Gide, Pierre Louÿs fréquente l'avant-garde littéraire de la Belle Epoque, des parnassiens (Heredia ou Leconte de Lisle), aux symbolistes. Adepte de la mystification littéraire et des supercheries sous pseudonyme, il fait passer certains de ses poèmes pour des traductions de la poétesse grecque Sappho, dont il mime la sensualité bucolique. Claude Debussy, charmé, mettra trois poèmes de ce recueil en musique.

Dans ses romans et poésies, Pierre Louÿs alterne érotisme élégant et grivois, et double ses textes sérieux d'une version coquine ou franchement pornographique. De son roman le plus célèbre, La Femme et le pantin, seront tirées plusieurs pièces de théâtre, et une dizaine de films, dont Cet obscur objet du désir de Luis Bunuel, dans les années 1970.

Un linguiste visionnaire
Pierre Louÿs fait partie de la quinzaine de poètes dont la voix est enregistrée par Ferdinand Brunot, éminent grammairien et linguiste précurseur, fondateur des Archives de la parole. Grâce au matériel d'enregistrement prêté par l'industriel Emile Pathé, de 1911 à 1914, Brunot enregistre à la Sorbonne plus de 300 témoignages parlés : Dreyfus, Durkheim, Barrès, politiciens, artistes, anonymes... et 15 poètes symbolistes qui se prêtent volontiers au jeu de la modernité et d'une tentative de poésie orale, une "poésie phonographiste", entre le dit et l'écrit. Apollinaire en fait partie, comme Henri de Régnier, Gustave Kahn ou René Ghil.
L'éditeur et poète Jean Royère, proche de Mallarmé, et le "prince des poètes" Paul Fort sont les deux maîtres d'œuvre d'une "matinée poétique", en mai 1914, audition publique pendant laquelle est diffusée la lecture des poèmes enregistrés les mois précédents. Les poètes et intellectuels réunis défendent une nécessaire valorisation de la langue parlée, "populaire".
Pascal Cordereix, spécialiste du fonds sonore ancien à la Bibliothèque nationale de France, souligne un détail important : "parmi les 300 enregistrements de voix de personnalités faits par Brunot entre 1911 et 1914, Pierre Louÿs est le seul à avoir été fait à son domicile. Tous les autres ont été faits à la Sorbonne. Je ne sais pas pourquoi ce choix du domicile, mais cela a une importance quant au matériel d'enregistrement, car il est évident que l'enregistreur utilisé à la Sorbonne n'a pas pu l'être ici, dans la mesure où il fait plus de 4 mètres de haut. C'est donc probablement avec un lecteur / enregistreur de cylindres que Pathé a procédé à l'enregistrement."
Les Archives de la parole à découvrir sur Gallica
Écoutez cet enregistrement, et celui de la "face B" du disque, avec la lecture du poème "L'Homme pourpre", sur Gallica.fr
Archive : Archive de la parole, conservée à la Bibliothèque nationale de France. Merci au service Son du département de l’Audiovisuel, BnF et au Service de la coopération numérique et de Gallica, BnF. Archives de la Parole, conservation : BnF, Département de l’Audiovisuel, service Son.