Argentine, Brésil, Liban, Iran… quand la crise du Covid-19 s’ajoute à la crise
Par Marie ViennotBulle économique. 102 pays ont fait une demande officielle de prêt au FMI en avril. La pandémie a aggravé un panorama déjà sombre pour les pays émergents dépendants des matières premières, endettés en dollars, déjà en récession, voire en faillite avant la crise du Covid-19.
bulle economique coronavirus emergents
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Manifestation en mode confinement dans toutes les villes du Brésil le 18 mars dernier. Des quartiers chic de Leblon, à Rio de Janeiro, aux cités d’Higienópolis, près de Sao Paulo, à Brasilia, le concert de casseroles n’a pas été donné pour les soignants mais contre Jair Bolsonaro, le Président Brésilien qui s’illustre par son incapacité à reconnaître que le nouveau coronavirus est plus qu’une grippe.
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Bien que les Brésiliens et Brésiliennes se soient auto-confinés eux-mêmes, avec le soutien de certains gouverneurs, le Brésil est le 6e pays le plus touché par la pandémie, juste devant la France. 203 000 cas confirmés de Covid-19 au 15 mai 2020, selon l'institut John Hopkins, et 14 000 morts.
A la crise sanitaire, politique, environnementale (sur les 4 premiers mois de l’année la déforestation de l’Amazonie a fait un bond de 55%), s’ajoute une crise économique et financière.
La crise économique est de même nature que celle que nous connaîtrons en 2020, le Brésil sera en récession.
La crise financière, en revanche, n’a rien à voir. Le Brésil, contrairement à nous, dépend du dollar pour une grande partie de ses emprunts. Emprunts d’Etat, obligations d’entreprises. S’endetter en dollars, plutôt que dans sa devise locale, est le point commun à ce qu’on appelle les pays émergents.
Les économistes qui ont inventé cette formule il y a vingt ans auraient mieux fait de les appeler Pays dépendants plutôt qu’émergents, mais cela aurait été peu engageant.
Ces pays ont besoin de l’extérieur pour fonctionner, c’est leur "péché originel", décrit la Coface dans une étude consacrée à leurs difficultés actuelles. 2020 sera leur pire année depuis des décennies écrit l’agence de notation Standard And Poors.
Ce qui leur arrive depuis mars se nomme : le flight to quality, la fuite vers la qualité.
Devise qui s'effondre, endettement public qui gonfle
Quand tout va bien ou presque, les investisseurs placent leurs dollars dans les pays émergents parce que les taux d’intérêt y sont plus élevés. Le prix du risque en quelque sorte. Mais dès que le risque croît, comme c’est le cas avec la pandémie de coronavirus, ces investisseurs font "ESCAPE ESCAPE", et reviennent aux Etats-Unis, en lieu sûr.
On a déjà vu ça en 2008, mais ce qui se passe en ce moment est sans commune mesure.
Rien que pour 24 pays émergents, les sorties de devises ont été en mars 4 fois plus élevées que pour un trimestre entier fin 2008.
Quand les dollars partent, la monnaie locale se déprécie, la dette est plus chère à rembourser. Or les pays émergents, comme nous, ont besoin d’argent pour contrer les effets du coronavirus. Pour ceux qui dépendent du tourisme ou du pétrole, les devises en dollars ne rentreront pas comme prévues.
Le Brésil est le pays dont la devise s’est le plus effondrée face au dollar. 30% de moins, viennent ensuite l’Afrique du Sud, la Russie, le Mexique puis la Colombie et l’Indonésie.
Le FMI anticipe que le déficit budgétaire des pays émergents et en développement dépassera 9% du PIB cette année. En 2008, ces pays étaient excédentaires. Pour les pays africains, l’endettement est déjà au niveau de ce qu’il était au début des années 2000, avant l’annulation d’une partie de leur dette.
A lire : Covid-19 : une facture économique salée pour le Maghreb
Au 16 avril dernier, 102 pays avaient fait une demande officielle de prêt au FMI qui a accepté pour un grand nombre d’entre eux : Nigeria, Pakistan, Ghana, Tunisie, Sénégal, Albanie….
Pour ces pays, l’aide du FMI est substantielle, estime Julien Marcilly, chef économiste à la Coface. Mais pour les grandes économies comme la Turquie, l’Afrique du Sud ou le Brésil, elle serait insignifiante.
Le FMI pourra-t-il aider tous les pays qui feront appel à lui ? Personne ne peut répondre oui.
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La question se pose donc désormais : le FMI aura-t-il les moyens de servir tous les pays qui se présenteront à lui pour un prêt ? Et quelles réformes pourrait-il bien imposer en ces temps de pandémie en échange de son aide ?
Le Liban officiellement en faillite depuis mars
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Nous sommes au Liban, le 17 avril dernier. Des militaires dégagent quelques manifestants et manifestantes qui bloquaient une autoroute proche de Beyrouth. Six mois après le vaste soulèvement populaire qui a conduit à la démission du gouvernement, la pauvreté touche quasiment la moitié de la population.
A lire : Sybille Rizk : au Liban, plus de la moitié de la population est passée sous le seuil de pauvreté
La crise économique était là avant les manifestations d’octobre, encore là après. Le Liban a fait défaut sur sa dette publique pour la première fois de son Histoire pendant le confinement, qui n’a bien sûr rien arrangé. Pas de chômage partiel ou d’aides publiques là bas, une banque centrale inopérante, et notoirement corrompue. Ici un exposé plus large de la corruption au Liban.
Au souk, des prix en hausse de 50% et à l’assemblée, des députés qui mettront des semaines avant de s’entendre sur un plan de relance. Depuis le 1er mai, le pays a fait officiellement appel au FMI. Les négociations viennent de démarrer.
Ce que je peux vous dire, en outre, c'est qu'une équipe du FMI entamera, la semaine prochaine, des discussions avec les autorités libanaises, avec le gouvernement, sur les détails de leurs plans de réforme économique. C’est là que nous en sommes au Liban. Gerry Rice du département de la Communication au FMI, le 7 mai 2020
Prêtera, prêtera pas, 10 milliards de dollars comme l’espèrent les autorités libanaises. Et à quelles conditions ? Le parlement les acceptera-t-il ou se divisera-t-il encore ? Seule certitude : la dette du Liban est l’une des plus élevées au monde : 175% de son PIB. Et la colère des Libanais et Libanaises couve… prête à resurgir à tout moment.
Argentine : vers une neuvième faillite de l'Etat
De l’autre côté de l’Atlantique, il y a un pays où la faillite de l’Etat et l’inflation n’ont rien d’exceptionnel : l’Argentine.
A écouter : "Grand Reportage" d'une heure : Argentine : vivre avec 50% d'inflation
Contrairement au Brésil voisin, l’Argentine n’a pas beaucoup de cas de Covid-19, moins de 400 morts ont été rapportés. Mais comme partout, l’Argentine a confiné son économie, et c’est en plein confinement qu’elle a cessé de rembourser ses échéances de dettes.
Comme pour le Liban, le coronavirus n’est pas la cause de ce défaut, on s’y attendait avant. Mais comme pour les autres émergents, la fuite vers la qualité, et la chute de l'activité ont plongé les finances publiques dans le rouge. Le ministre des finances argentin, Martin Guzman, l'a dit mi-avril très clairement.
L’Argentine ne peut plus rien payer. Martin Guzman, ministre des finances argentin.
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Pour la 9e fois de son Histoire, l’Argentine demande à voir annulée une partie de sa dette et de ses intérêts. Elle veut un moratoire de trois ans pour repartir d’un bon pied. Les négociations aussi sont en cours, et devront avoir abouti le 22 mai, sans quoi, le pays sera officiellement en défaut sur sa dette publique.
Il y a moins de trois ans, l’Argentine arrivait à emprunter sur 100 ans.
A lire/ écouter : L'Argentine emprunte sur 100 ans... 100 ans !
Les investisseurs qui lui ont prêté gagneront moins qu’espéré, mais vu les taux offerts par le pays, 8% sur 100 ans, les Argentins ne sortiront pas gagnants.
Au moins peuvent-ils aujourd’hui négocier, espérer un soutien du FMI, et comme les autres émergents, un peu de mansuétude de la part du Club de Paris, qui réunit les principaux créanciers des pays développés.
Iran et Venezuela : laissés à leur triste sort
Ce qui n’est pas le cas, de l’Iran et du Venezuela. Les Présidents des deux pays ont eux aussi sollicité l’aide du FMI pour faire face à la pandémie. Aussi bien pour Hassan Rohani, que pour Nicolas Maduro, ce geste a dû coûter.
L’Iran n’avait rien demandé au FMI depuis sa révolution en 1979, il est aujourd’hui le 10e pays le plus touché au monde par la pandémie, mais il n’a pas encore reçu de réponse.
Le FMI a en revanche déjà rejeté la demande du Venezuela en arguant qu’il n’y avait je cite le Financial Times : "Aucune clarté sur qui gouverne le pays".
Pour la gouvernance du FMI, c’est en revanche très clair. Avec 16,5% des droits de vote, les Etats Unis détiennent une minorité de blocage pour toutes les décisions importantes. Le pompier FMI dans son aide aux pays émergents et au-delà, ne pourra pas décider en toute impartialité. De ce côté-là, pas la peine d’espérer un nouveau monde après.