
Elle scintille au lointain et va devenir l'un des symboles arlésiens : la tour de Frank Gehry ouvre ce samedi au public. Phare d'un centre d'art de 11 hectares fondé par la mécène suisse Maja Hoffmann, elle fait écho au musée Guggenheim Bilbao, du même architecte, qui avait relancé toute une cité.
Sur la carte de l’art contemporain, Arles est désormais un lieu majeur : à peine plus de 50 000 habitants mais un cadastre enrichi d'un prestigieux bâtiment, signé de l’architecte américano-canadien Frank Gehry, auteur de la fondation Vuitton à Paris ou du musée Guggenheim à Bilbao. Peu de villes peuvent en effet s’enorgueillir de compter un tel monument dessiné par un prix Pritzker, le "Nobel de l’architecture". Et à chacune de ses nouvelles réalisations, la question se pose : y aura-t-il un "effet Bilbao" ? Arles deviendra-t-elle mondialement connue par le truchement d’un seul bâtiment ?
"Arles n’est pas Bilbao" pour le maire
"Je ne fais pas de parallèle avec Bilbao", répond le maire d’Arles Patrick de Carolis. Élu en 2020 pour un premier mandat, l’ex homme de télé (PDG de France Télévisions entre 2005 et 2010 et créateur de l’émission "Des racines et des ailes") refuse la comparaison :
Bilbao n’avait que ça ; nous avons beaucoup d’autres choses. Arles est l’un des berceaux de la romanité avec huit monuments inscrits au patrimoine de l’Unesco, nous avons une histoire, les Rencontres de la photo, des festivals de musique comme les Suds… Nous avons un panel exceptionnel et nous ne sommes pas en manque. En revanche, recevoir un tel apport de la fondation Luma est une chance extraordinaire pour Arles car cela complète la palette : c’est une attractivité de plus pour la ville, qui vient s’ajouter à l’offre culturelle que nous proposons déjà. Mais c’est aussi un immense défi ; il faut concevoir une structure d’accueil en matière d’hôtellerie, de transports… 1,5 million de visiteurs sont reçus chaque année et on parle de centaines de milliers de personnes qui viendraient en plus nous visiter. Il va falloir rénover la voirie, créer des pistes cyclables, des voies douces, des hôtels, des parkings, etc.
Patrick de Carolis, maire d’Arles

Mais à Arles aujourd’hui, comme à Bilbao hier, l’ensemble des habitants n’est pas forcément convaincu : ex-cité industrielle relancée par la culture et le tourisme, la capitale du pays basque pourrait pourtant servir d’exemple à la capitale de la Camargue. Or, Arles est une ville contrastée : berceau des Rencontres de la photographie depuis 1970, siège des éditions Actes Sud depuis 1978 et lieu d’attraction artistique depuis bien plus longtemps ; Van Gogh y peignit certains de ses plus célèbres tableaux dans les années 1880. La ville présente aussi un visage moins clinquant : taux de pauvreté de 24% quand la moyenne nationale est de 14% d’après l’Insee. Et l’arrivée de la fondation Luma, installée à Arles depuis 2013, vient accélérer la hausse des prix de l’immobilier. Une gentryfication qui n’aide pas à faire adopter le nouveau-venu par la population, sans parler de la difficulté de l’art contemporain à s’adresser au grand public.
Bien plus qu’un musée
Et pourtant, beaucoup rappellent que Arles est vernie. La ville bénéficie d’un investissement d’au moins 150 millions d’euros pour ce centre d’art (tour Gehry compris) ; un montant jamais démenti par la fondation Luma, “mais c’est sans doute beaucoup plus”, estime le maire. Maja Hoffmann, 65 ans, dont la fortune est estimée à 6 milliards d’euros par Bloomberg, a voulu s’installer là où elle a été scolarisée quand elle était enfant : à Arles.
Maja Hoffmann raconte l’origine de son projet arlésien
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Le projet de Maja Hoffmann est une utopie concrète : elle cite parfois la communauté de peintres qu’avait voulu constituer Van Gogh à Arles à la fin des années 1880. Un projet qui échoua mais qui se concrétise d’une autre façon en 2021 ; Luma Arles n’étant pas seulement un lieu d’exposition mais aussi de création, avec des résidences d’artistes, des laboratoires.
“La définition du musée est toujours en train d’évoluer : nous voulons exposer mais surtout créer”
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Et concrètement, Luma Arles est installé sur d’anciens ateliers ferroviaires du XIXe siècle où l’on construisait des locomotives. Les bâtiments ont d’ailleurs conservé leur nom d’origine : les forges, la mécanique générale et la chaudronnerie. Un site aujourd’hui totalement rénové et désormais ouvert au public : les expositions sont gratuites et un parc accueille les visiteurs, dessiné par l’un des paysagistes les plus réputés du moment, le Belge Bas Smets. Dans la tour, deux toboggans et un skate park signés de grands créateurs attendent aussi le public : "Ceux qui les utilisent n’auront peut-être pas conscience qu’il s’agit d’œuvres d’art mais ça n’est pas grave", glisse le directeur des lieux Mustapha Bouhayati, "l’idée est de proposer une multiplicité de portes d’entrée".
L’histoire des lieux racontée par le directeur de Luma Arles, Mustapha Bouhayati
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Et la fondation Luma se veut aussi actrice d’un territoire qu’elle souhaite valoriser, à travers l’atelier Luma. Un laboratoire de recherche qui associe scientifiques, ingénieurs, designers, architectes… Le but étant d’utiliser les matières premières de la région afin de les employer dans les productions artistiques et de donner de nouveaux débouchés aux entreprises locales. Sel, algues, tournesols, riz… Tous ces produits ont été utilisés dans la tour Gehry comme matériaux de construction, isolants, etc. Encore une autre façon pour Maja Hoffmann de montrer son amour pour Arles.