L'Arpanet aurait eu 50 ans cette année. Le premier "réseau à transfert de paquets", développé par l'Agence pour les projets de recherche avancée de défense américaine (la DARPA), a crée tous les protocoles qui ont permis la naissance de son héritier : internet.
Le 29 octobre 1969, il y a maintenant 50 ans, le réseau Arpanet effectuait sa première communication. Les trois dernières lettres de ce premier message, le simple mot "login", mettent plusieurs heures avant de parvenir à destination mais qu'importe, le Advanced Research Projects Agency Network, ou ARPAnet, a rempli sa première mission : des paquets de donnée ont transité avec succès entre l'université de Californie à Los Angeles (UCLA) et l'Institut de recherche de Stanford. L'ancêtre d'internet (qui n'est donc pas le minitel) est né ! Et il s'agit d'une collaboration entre militaires et universitaires.
Un projet militaire
En réalité, ce réseau dédié au transfert de paquets de données est envisagé depuis 1966, lorsque la DARPA, l'Agence pour les projets de recherche avancée de défense (Defense Advanced Research Projects Agency), une antenne du département de la Défense des États-Unis finance à hauteur d'un million de dollars un projet visant à relier les universités en contrat avec l'agence à un même réseau, délocalisé, pour transférer des fichiers entre ordinateurs. Le réseau téléphonique n'étant pas adapté, il est décidé d'utiliser la commutation par paquets, qui consiste à découper les données avant de les envoyer d'un point à un autre.
Assez rapidement, l'idée est évoquée de créer non pas un unique ordinateur dédié pour faire transiter les informations, mais un petit réseau d'ordinateurs, les Interfaces Messages Processors (considérés comme les ancêtres des routeurs), qui permettent d'assurer une connexion en réseau.
Créé en pleine guerre froide, le réseau Arpanet a un autre avantage : il offre la possibilité de contrer les dégâts potentiels d'une bombe atomique, puisque l’interconnexion des différents nœuds du réseau permet à l'information de continuer à circuler malgré la destruction d'un ou plusieurs nœuds. Dans l'émission Place de la Toile, diffusée en octobre 2012, la question se posait de savoir si Arpanet était une création strictement militaire. L'historienne des télécommunications Valérie Schaffer rappelait alors qu'il s'agissait d'une imbrication des milieux militaire, scientifique et industriel :
On parle de complexe militaro-scientifico-industriel. Quand on parle des militaires c’est aussi pour rappeler le rapport de la Rand corporation de Paul Baran, qui va poser un principe qui est celui de la “patate chaude” : c’est-à-dire de ces paquets qui circulent dans le réseau. Il n’est pas le seul inventeur de la commutation de paquets mais il y contribue. Il y a un certain nombre d’éléments qui font que nier une origine complètement militaire de l’internet est absurde.
Cette imbrication est "à l'origine de la DARPA puis du projet Arpanet", surenchérissait l'historien des techniques et des médias Benjamin Thierry :
Il y a une logique d’irrigation par des crédits, extrêmement massifs, d’équipes de recherche dont on ne sait pas, quand on commence à les financer, ce qui peut en sortir. Et ça c’est une vision assez typiquement américaine dans les années 60, [des Etats-Unis] qui cherchent à conserver un leadership technologique dans le cadre de conflits futurs, éventuellement, mais également dans un objectif de compétition économique. C’est faire financer des recherches dans des domaines qui sont parfois très différents, et les réseaux en ont fait partie, pour essayer de creuser l’écart. Quand on finance, on n'a pas forcément un objectif militaire au sein de ces projets et le projet Arpa c’est essentiellement un projet de liaison entre universitaires, que les militaires vont ensuite chercher à utiliser. L'origine militaire est à convoquer dans le faisceau des nombreuses origines, universitaires, liées à l’essor des télécommunications de cet ancêtre d’internet qu’est Arpanet.
Qui a inventé Internet ? (Place de la toile, 27/10/2012)
45 min
D'Arpanet à internet
Lancé en 1969, Arpanet se raccorde rapidement à de nouvelles universités : on compte 23 "nœuds" en 1971, puis 111 en 1977. Au vu de la démocratisation du réseau Arpanet, la DARPA se sépare de sa gestion en créant un réseau propre aux forces armées américaines, le Military network, MILNet.
C'est la National Science Foundation qui prend en charge la transition vers une utilisation tout public : l'adoption d'un nouveau protocole, TCP/IP, a permis de faciliter le transfert des données et peu à peu "internet" se substitue à "Arpanet". Il faut cependant attendre les années 80 et l'arrivée du "web", pour que le nombre d'utilisateurs explose, comme le racontait Benjamin Thierry dans Place de la Toile :
L’arrivée de "Monsieur Tout le Monde" est fortement liée aux travaux de Bernard Sly à partir de 89 au CERN puisqu’elle va initier l’entrée dans le web. Si on veut définir rapidement le web c’est Internet avec une interface graphique, qui va permettre une diffusion beaucoup plus large.
En 1994, l'émissio_n Le Temps qui change_ détaillait l'arrivée "anarchique" d'un trop grand nombre d'utilisateurs : "le réseau sature et les scientifiques se plaignent de devoir travailler sur des créneaux horaires impossibles pour obtenir le raccordement". A l'époque Nicolas Pioch, créateur du WebMuseum, donnait une curieuse définition d'internet :
L'internet c'est basé sur deux choses, d'abord un protocole ouvert, c'est-à-dire un protocole non-constructeur, qui n'a pas été fabriqué par IBM ou telle autre compagnie de façon à être totalement verrouillé et uniquement dispensé dans les arcanes du savoir d'IBM ou une autre entreprise. C'est un protocole qui a été mis au point par des chercheurs et a été versé dans le domaine public de façon à ce que tout le monde puisse apprendre la bonne parole et la prêcher à son tour. C'est une sorte d'église. On pourrait comparer cela à une secte. N'importe qui est capable d'adhérer à ce réseau, il suffit pour cela d'inter-communiquer avec les normes existantes.
Réseaux internet (Le Temps qui change, 14/10/1994)
1h 24