Arrivées à saturation, les forêts tropicales vont cesser d'absorber du CO2
Par Pierre RopertEn raison des émissions humaines de CO2, les forêts tropicales arrivent à saturation, selon une étude publiée dans le magazine Nature. Ces dernières absorbaient 17 % de nos émissions de CO2 en 1990, contre seulement 6 % maintenant. A terme, elles risquent même de devenir une source de carbone.
Selon les projections, les forêts tropicales africaine et amazonienne devaient, pour les décennies à venir, continuer d'absorber les émissions de carbone dégagées dans l'atmosphère. Elles sont ainsi de responsables d'environ la moitié des capacités mondiales de séquestration de carbone. Mais leur capacité à absorber les émissions de ces gaz à effet de serre sont en nette diminution, selon une étude publiée merciredi 4 mars dans la revue Nature par les chercheurs du Musée royal de l’Afrique centrale et de l’Université de Leeds. Pire encore, selon les scientifiques, la mécanique pourrait bientôt s'inverser et la forêt amazonienne commencer à émettre plus de CO2 qu'elle n'en capte.
La forêt amazonienne, une source de carbone d'ici 2035
Pour parvenir à ces résultats, les chercheurs ont combiné les données de deux réseaux dédiés à l'étude des forêts et ont étudié, sur 30 ans, la croissance et la mortalité de 300 000 arbres, répartis sur 565 parcelles de forêt disséminées dans la forêt tropicale amazonienne et dans la forêt tropicale subsaharienne. En mesurant le diamètre et en estimant le poids de ces arbres, ils ont pu calculer les quantités de carbone stockées... et ont ainsi constaté que l’absorption de CO2 allait en diminuant, particulièrement dans la forêt amazonienne, qui est exposée à des températures de plus en plus élevées ainsi qu'à des sécheresses régulières.
Les scientifiques ont ainsi pu constater qu'au cours des années 1990, les forêts tropicales absorbaient environ 46 milliards de tonnes de carbone, soit près de l'équivalent de 17 % des émissions de CO2 dues à l'activité humaine. Au cours de la décade 2010-2020, la quantité a dramatiquement chuté : les forêts tropicales n'absorbent plus que 25 milliards de tonnes de CO2, soit seulement près de 6 % des émissions de CO2... qui en parallèle ont continué d'augmenter.
Les données récoltées dans cette étude ont permis aux scientifiques d'extrapoler un modèle pour les années à venir. Et selon eux les nouvelles ne sont pas bonnes : la forêt tropicale africaine va ainsi perdre près de 14 % de sa capacité à absorber du carbone d'ici 2030, tandis que la forêt amazonienne devrait deviendrait incapable de stocker plus de carbone... Pire, la tendance risquerait même de s'inverser.
Des puits de carbone en péril
"Les taux de CO2, la température, la sécheresse et la dynamique interne des forêts sont des facteurs importants, a ainsi précisé le docteur Wannes Hubau, chercheur au Musée royal de l’Afrique centrale et l'un des auteurs de cette étude, à l'AFP. L’augmentation de la concentration en CO2 dans l’atmosphère a boosté la croissance des arbres, mais chaque année, ce phénomène est de plus en plus contrebalancé par les effets néfastes de l’augmentation des températures et des sécheresses, qui ralentissent la croissance des arbres, et peuvent même les tuer ?".
Les forêts sont en effet considérées comme des puits de carbone, c'est-à-dire des réservoirs naturels absorbant le carbone de la biosphère. En mourant, les arbres finissent cependant par relâcher une partie du carbone stocké au cours de leur vie. Dans l'émission La Méthode scientifique, le botaniste et écologue Daniel Sabatier rappelait ainsi que le changement climatique a un effet contre-intuitif : les quantités de CO2 dégagées ont ainsi accéléré la croissances des arbres. Mais contrairement à ce que l'on pourrait croire cela n'a rien de bénéfique : si ces arbres arrivent plus vite à maturité, leur durée de vie est également plus courte. Non seulement ils absorbent moins de CO2, mais en vieillissant, ils se mettent même à en dégager :
Dans certaines régions d'Amazonie on a jusqu'à 300 espèces d'arbres par hectare de forêt ; en Guyane, jusqu'à 200 espèces d'arbres... On appelle cela la communauté d'arbres forestiers... Eh bien elle va être très impactée par cette dynamique forestière, et va notamment changer certains traits fonctionnels globaux de la forêt. La densité des bois moyenne d'une forêt est très reliée à la dynamique forestière... et elle va baisser avec le réchauffement climatique.
A mesure que les sécheresses s'accumulent et que les températures augmentent, les forêts perdent donc leur capacité à absorber du carbone. Cette dynamique risque de transformer ce que l'on considère naturellement comme des puits de carbone, en générateurs de carbone. D'autant que le phénomène est amplifié par la déforestation et les nombreux incendies qui ravagent ces forêts.
Revoir les modèles climatiques avant le point de non-retour
Les scientifiques craignent ainsi que l'on atteigne bientôt un point de non retour. En matière de réchauffement climatique, ce mécanisme est déjà à l'oeuvre avec la fonte des glaces : ainsi plus la banquise fond, plus la surface d'eau exposée est importante, et plus celle-ci absorbe la lumière du soleil... conduisant au réchauffement de l'eau, qui contribue à son tour à la fonte des glaces. La boucle est bouclée.
Un scénario similaire pourrait avoir lieu avec les forêts tropicales : plus celles-ci se détériorent, moins elles sont aptes à résister aux changements climatiques (notamment en générant leurs propres micro-climats). Ainsi, plus elles dégageront de CO2, plus le réchauffement climatique s’accélérera, et plus les forêts se dégraderont.
"Nous avons découvert que l'un des aspects les plus inquiétants du changement climatique a d'ores et déjà débuté, a précise Simon Lewis, l'un des auteurs de l'étude, professeur de géographie à l'université de Leeds. Nous sommes en avance de plusieurs décades sur les modèles climatiques les plus plus pessimistes".
L'étude conclut ainsi sur l'absolue nécessité d'avancer les dates des engagements pris pour limiter les émissions de CO2 :
Au niveau international, étant donné que les forêts tropicales vont probablement séquestrer, dans le futur, moins de carbone que ce que les modèles climatiques de la Terre prédisent, il va falloir avancer la date nécessaire à laquelle il nous faut atteindre le chiffre de 0 émissions de gaz à effet de serre causées par l'être humain, afin de respecter les engagements pris pour limiter le réchauffement climatique de la Terre.
Une antienne devenue désespérée, à l'heure où le cabinet de conseil Carbone 4 a évalué les émissions françaises de CO2 pour l'année 2020 à venir à 450 millions de tonnes... En l'espace de deux mois à peine, la France a en effet émis 80 millions de tonnes de gaz à effet de serre, c'est-à-dire la totalité de l'objectif qu'elle s'est promis d'atteindre en 2050. A ce rythme, elle ne réalisera cette ambition qu'en 2085... D'ici là, la forêt tropicale amazonienne aura cessé, depuis plus de 50 ans, de stocker notre carbone.