Art contemporain : l'imaginaire colonisé

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Art contemporain : l'imaginaire colonisé

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"The Dreadful project", photo de guerre réalisée en studio, oeuvre d'Eric Baudelaire de 2006
"The Dreadful project", photo de guerre réalisée en studio, oeuvre d'Eric Baudelaire de 2006
© Maxppp - /EFE/Newscom

le fil culture. L'attribution la semaine dernière du plus prestigieux des prix de l'art contemporain, le Prix Marcel Duchamp, a fait émerger une nouvelle polémique, qui fait des collectionneurs et institutions l'un des ressorts majeurs - si ce n'est le seul - de l'inspiration des artistes et des œuvres reconnues.

LA DISPUTE - Le journal de la dispute : problematique artiste et collectionneur

12 min

Retour sur une polémique, ou en tout cas les questions que soulève l’existence du Prix Marcel Duchamp, remis la semaine dernière par l’ADIAF, "Association pour la diffusion internationale de l’art français", à l’artiste contemporain français Eric Baudelaire.

Pour ceux de nos auditeurs qui ne le connaîtraient pas, le Prix Marcel Duchamp fut fondé en l’an 2000 par l’ ADIAF, une association composée de 400 collectionneurs d’art, avec pour objectif de "mettre en lumière la scène française et de faire connaître le foisonnement artistique de ses artistes". Un Prix remis en partenariat avec le Centre Pompidou et dont France Culture se fait le relais médiatique, qui est doté de 35 000 euros pour le lauréat, lequel est choisi chaque année parmi un groupe de quatre artistes présélectionnés par les membres de l’ADIAF, et dont l’autre objectif est de constituer un pendant français aux autres distinctions internationales de renom comme peut l’être le Prix Turner, organisé par la Tate Britain, à Londres.  

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Le Temps du débat
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Comment donc une initiative telle que celle-ci peut-elle susciter des réserves telles que l’on puisse parler cette année d’une polémique concernant la remise du Prix ? 

Tout est parti du site internet Documentations.art, un média participatif qui vise, selon la présentation qu’il propose, à lutter "contre l’hégémonie conservatrice qui gouverne le champs de l’art". 

Dans un papier mis en ligne le 14 octobre et repris depuis par Mediapart intitulé ADIAF : plus de 20 ans de féodalisation de la scène française, les signataires de cette tribune parlent d’une "initiative oligarchique" et déplorent "son influence sur l’écosystème de l’art français". Très concrètement, les auteurs de l’article dénoncent le paternalisme des membres de l’ADIAF vis-à-vis des artistes, mais aussi le conservatisme des idées véhiculées par certains des membres de l’association, en plus de mettre en exergue la dynamique concurrentielle inhérente à l’existence même d’un prix tel que celui créé par l’association, allant jusqu’à parler de rapports de compétition mais surtout, de liens de subordination entre artistes et collectionneurs, faisant du créateur le sujet docile du pouvoir en place. 

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Féodalisation du champ culturel ?

En dehors de certains jugements et partis-pris qui sont ceux des auteurs du papier et qui pêchent parfois par un manque de rigueur factuelle, il reste que cette tribune soulève des questions importantes, alors que l’art contemporain subit depuis quelques années déjà la place grandissante que prennent les considérations financières dans son évolution, impliquant de nous poser la question de savoir si nous ne serions pas en train de vivre une restructuration totale du champ culturel ainsi qu’il fut pensé entre autres par le sociologue Pierre Bourdieu. Si tel que nous le disent les auteurs de ce papier, nous sommes en train d’assister à une dynamique de féodalisation du champ culturel, alors nous devons nous poser la question, et nous demander si ceux qui constituent le gros de ses forces ne seraient plus les artistes et intellectuels d’hier, mais bien plutôt les collectionneurs et galeristes d’aujourd’hui, faisant de facto fusionner le champ culturel avec celui de l’économie. Pire, nous devrions même nous demander, et c’est la question que je vous pose ce soir, si à force d’une emprise croissante sur le champ culturel, les collectionneurs et institutions ne coloniseraient pas aussi et surtout l’imaginaire de nos artistes, jusqu’à faire de leurs œuvres le reflet des désirs de ceux qui les financent. 

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