Au Cambodge, après la catastrophe, l'aide mise en images

Publicité

Au Cambodge, après la catastrophe, l'aide mise en images

Par
Des survivants des inondations assis à côté de l’aide humanitaire envoyée par les autorités cambodgiennes, mercredi 21 octobre dans la province de Bantey Meanchey
Des survivants des inondations assis à côté de l’aide humanitaire envoyée par les autorités cambodgiennes, mercredi 21 octobre dans la province de Bantey Meanchey
© AFP

Le monde dans le viseur. Dans le nord du Cambodge, des tonnes de nourriture et des couvertures ont été envoyées cette semaine aux survivants d’une province qui vient de connaître ses pires inondations depuis 70 ans. Une distribution très organisée, qui ne change rien au problème de fond : le réchauffement climatique.

Ils ont survécu aux inondations ; survivront-ils à la faim ? Sur cette photo, le photographe de l'AFP (l'image n'est pas signée) nous montre un Cambodge, où, ces derniers jours, "les inondations – les pires depuis 70 ans – ont affecté 400 000 personnes", rappelait mercredi 21 octobre le Premier ministre Hun Sen. La catastrophe est passée. Le temps du retour au calme, de la maîtrise de la situation, est venu. "Dès le premier regard, on est frappé par la masse de formes statiques et la multitude de couleurs", explique la photographe Olivia Gay

L’image interpelle parce qu’elle présente une uniformité. Tout est aligné, vertical, les produits comme les humains. Il y a une sensation d’opération de masse où tout se confond. Les femmes et les marchandises sont réunies et regroupées et se ressemblent. Elles sont figées. Tout paraît exceptionnel et banal en même temps.          
Olivia Gay

Publicité
"Ces deux femmes masquées qui regardent dans la même direction à gauche d’un œil inquiet."
"Ces deux femmes masquées qui regardent dans la même direction à gauche d’un œil inquiet."
© AFP

Le premier plan personnalise et désarme. Ces deux femmes masquées qui regardent dans la même direction à gauche d’un œil inquiet, surtout la jeune fille au T-shirt rouge. Elle happe l’attention et donne un souffle de vie silencieux et touchant à la scène.

Elles ont l’air de dire : "Et après, que va-t-on faire ?" Ce sont les femmes qui ont été choisies pour recevoir les aides alimentaires. À chacune, le même lot de deux cartons, un paquet de couvertures, dix boîtes de conserve et une baguette de pain. Un détail qu’a remarqué Olivia Gay : "Au premier plan, les deux baguettes posées sur les cartons sortent du lot des marchandises et donnent au pain une dimension humaine, quotidienne et de bonté."

La taille des femmes est plus petite que celle de l’aide alimentaire, les produits de consommations comme les êtres humains sont colorés des mêmes teintes. "Vous voyez un dégradé de couleurs : bleu, blanc, rose, rouge se retrouvent en même temps sur les gens et à côté d’eux, sur les marchandises, comme pour les fusionner. Le carton blanc et bleu, avec une inscription en cambodgien, a les mêmes couleurs que le masque que porte la femme en rose. La couleur de son chemisier elle aussi se retrouve dans chacun des paquets transparents qui ont été distribués. Tout cela crée une confusion entre une marée humaine et une multitude d’objets. Cela me fait penser aux photos d’Andréas Gursky", explique Olivia Gay. Andréas Gursky combine photo d’actualité et arts plastiques pour illustrer la place de l’homme dans les sociétés de consommation.

"Au premier plan, les deux baguettes posées sur les cartons sortent du lot des marchandises et donnent au pain une dimension humaine, quotidienne et de bonté."
"Au premier plan, les deux baguettes posées sur les cartons sortent du lot des marchandises et donnent au pain une dimension humaine, quotidienne et de bonté."
© AFP

Une mise en scène de l’actualité ?

Détail troublant, les dimensions des hommes en arrière-plan à gauche, juste devant une rivière ou un point d’eau (petit retour à la réalité de la source des problèmes) : "Ce groupe semble avoir été rajouté. Il forme une petite masse d’hommes masqués en chemises bleues alignés au fond à gauche de la photo. Et en face d’eux, au fond à droite, une rangée de hauts parleurs. Ensemble, ils témoignent d’une situation exceptionnelle et créent les lignes d’une image propre, bien ordonnée qui vous enferme au centre." Et la photographe de se demander quel point de vue montre le journaliste qui a pris ce cliché. Quelle était sa place ? Était-il contraint à des exigences des autorités de montrer une représentation contrôlée de la situation ? Son angle de vue lui a-t-il été imposé ? 

Détail troublant, les dimensions des hommes en arrière-plan à gauche, juste devant une rivière ou un point d’eau.
Détail troublant, les dimensions des hommes en arrière-plan à gauche, juste devant une rivière ou un point d’eau.
© AFP

Chaque regard qui croisera cette photo appréciera la portée et la finalité du cliché qui, dans tous les cas, rend compte d’une réalité du Cambodge, un pays où plus de 60 % de la population dépend de l’agriculture pour vivre. Ici, la pluie décide de la survie et de la prospérité des régions rurales. De trop faibles pluies et c’est la sécheresse. De trop fortes précipitations et ce sont les inondations.

En tête des pays les plus pauvres et les moins développés d’Asie du Sud-est, le Cambodge subit les aléas climatiques au prix fort. Les catastrophes naturelles à répétition, alimentées par le réchauffement climatique, dégradent les conditions de vie des populations. Selon les projections les plus optimistes, ce phénomène pourrait faire grimper le taux de sous-alimentation en Asie de 50 % d’ici à 2050. 

Aujourd’hui, au Cambodge, environ 10 % des enfants sont sous-alimentés et 32 % souffrent de retard de croissance. Le taux de mortalité infantile (moins de 5 ans) est de 54 % dans le pays et 35 % de la mortalité est due aux maladies liées à la sous-alimentation. Même si, au cours de ces dix dernières années, le Cambodge a lutté contre la pauvreté. Selon la Banque mondiale, environ 1 Cambodgien sur 5 vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté contre 1 sur 2, en 2004.

Le monde au secours du Cambodge

Le prix Nobel de la paix 2020, le Programme alimentaire mondial (PAM), est en première ligne au Cambodge, où il est chargé de fournir une aide d’urgence aux personnes touchées par les inondations. L'agence onusienne et le gouvernement cambodgien ont signé "un plan d’aide de 50 millions de dollars pour améliorer la sécurité alimentaire et la nutrition dans le royaume" sur la période 2019-2023. Bien que le pouvoir de Phnom Penh présente "d’importants progrès de croissance économique", il reconnaît "qu’il existe toujours un déséquilibre qui empêche une certaine catégorie de la population de bénéficier d’une nutrition adéquate". Outre l’aide internationale via le PAM, le Cambodge compte d’autres soutiens directs, comme celui de la Chine ou des États-Unis.

Récemment, en raison des inondations, Washington a, en urgence, accordé 100 000 dollars d’aide humanitaire, en supplément des 56 millions fournis au Cambodge par l’intermédiaire de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID). "La sécurité alimentaire et la nutrition sont les deux problèmes urgents à régler au Cambodge__", a déclaré un porte-parole américain, qui assure que les États-Unis sont activement engagés pour améliorer le sort des communautés rurales.

De nombreuses ONG humanitaires sont également sur place pour trouver des solutions pour venir à bout de la faim chronique. Comme, par exemple, Action contre la faim, qui a facilité la création d’une banque de riz pour protéger les familles de la faim et des dettes accablantes.

Dans le même temps, en matière d’argent, le Cambodge est classé par Transparency International comme l’un des régimes les plus corrompus du monde. Il occupe le 161e rang sur 180.