Au-delà des étoiles : comment l'Observatoire de Paris a inventé la prévision météo et l'horloge parlante
Par Pierre Ropert
L'Antisèche. L'Observatoire de Paris étudie la voûte céleste depuis maintenant plus de trois siècles. Mais en 350 ans d'existence, cette institution ne s'est pas contentée d'observer les étoiles : elle est à l'origine de nombreuses découvertes, des premières cartes de France crédibles à la prévision météo.
La découverte des satellites de Saturne et de l'existence de plusieurs anneaux autour de la planète, la découverte de Neptune, la première carte détaillée des reliefs lunaires ou plus récemment encore des instruments de mesure embarqués à bord de la sonde spatiale Rosetta : les apports de l'Observatoire de Paris, au cours de ses 350 ans d'existence, sont difficiles à dénombrer tant ils sont nombreux. Mais contrairement à ce que laisse supposer son nom, les découvertes de cette institution, si elles ont toujours été liées, d'une certaine manière, à l'astronomie, ne s'en sont pas tenues à ce champ unique : au fil des siècles, la géodésie, la cartographie, ou encore la météorologie y ont souvent pris leurs quartiers.
A écouter : Observatoire de Paris : 350 ans, la tête dans les étoiles
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En marge de l'émission de La Méthode scientifique consacrée à l'Observatoire de Paris, et avec l'aide du médiateur scientifique des lieux, Nicolas Lesté-Lasserre, pointons le télescope sur les réalisations inattendues menées à bien par les astronomes de cette institution tricentenaire.

La Carte de France des Cassini
Fondé en 1667 par Louis XIV et le ministre Jean-Baptiste Colbert, un an après la création de l'Académie royale des sciences, l'Observatoire de Paris a pour premier objectif une mission qui ne semble pas directement liée à son nom : la cartographie. Dans ce but, ils font appel à Jean-Dominique Cassini, premier d'une longue génération de Cassini à diriger l'observatoire : "Si Cassini a été appelé d'Italie, c'est parce qu'il s'agissait du meilleur connaisseur des satellites de Jupiter, raconte Nicolas Lesté-Lasserre. Il avait publié le seul livre de prédiction de ces phénomènes. Il y a un but très pratique en invitant Cassini : c’est de développer la cartographie. [...] Il avait comme adjoint l’Abbé Picard, l'un des fondateurs de l’Académie des sciences, et le grand-père de la cartographie française."
Si Cassini est chargé de cette mission, c'est non seulement parce qu'il s'agit d'un scientifique brillant, mais aussi en raison de sa connaissance des quatre premiers satellites de Jupiter, utilisés pour calculer les longitudes d'un lieu. "Pour calculer la latitude, vous prenez la hauteur du soleil à midi, ou celle de l'étoile polaire, explique Nicolas Lesté-Lasserre. Pour la longitude c'est un peu plus compliqué, puisque la Terre tourne sur elle-même, il faut avoir un repère qui sert d'horloge dans le ciel : on peut prévoir d'observer les éclipses de Lune par exemple, [...] ou utiliser les quatre premiers satellites de Jupiter, qui tournent très régulièrement."
Ensemble, Cassini, Picard et l'astronome Philippe de La Hire tracent le méridien Dunkerque - Paris - Perpignan, qui servira de colonne vertébrale à la cartographie française. En déterminant les longitudes et latitudes des villes du littoral, ils redessinent la carte des côtes de France : achevée en 1682, elle réduit considérablement la taille des côtes françaises (Brest est déplacé de 80 km vers l'est), au point que Louis XIV, en contemplant les résultats aurait eu cette formule ironique :
"Ces chers messieurs de l’Académie, avec leurs grands travaux m’ont coûté une partie de mon royaume et m’ont pris plus de territoire que tous mes ennemis réunis !"

Ce n'est, pourtant, que le début de cette épopée cartographique : trois générations de Cassini poursuivront la réalisation de cette carte, essentiellement par triangulation, maintenant considérée comme la base de la cartographie moderne. Parachevée en 1790, elle est constituée de 175 planches de 65 cm sur 95 cm.
> Ecouter l'émission de La Fabrique de l'Histoire : Les Cassini, carte sur table

Du pendule de Foucault aux premiers télescopes modernes
Si le célèbre pendule de Foucault est maintenant définitivement installé au Panthéon, la première démonstration qui en fut faite devant un parterre d'académiciens eut lieu à l'Observatoire de Paris. "Le physicien Léon Foucault est venu voir François Arago [ndlr : le directeur de l'Observatoire de l'époque], qu'il connaissait pour avoir travaillé avec lui sur la nature de la lumière, et lui a présenté son expérience, raconte Nicolas Lesté-Lasserre. Ce dernier a trouvé ça formidable, au point d'inviter les académiciens à venir voir la démonstration. Ce fut un grand succès auprès des confrères savants et après ça l’expérience eut lieu au Panthéon, devant les officiels de l’Empire. Ce fut la consécration pour Foucault."
L'expérience du pendule a démontré directement, grâce à la force de Coriolis, la rotation de la Terre. Foucault, rendu célèbre par cette démonstration, est embauché par le successeur d'Arago à la direction de l'Observatoire, Urbain Le Verrier, en tant que physicien. C'est une nouveauté, là où ne sont embauchés, traditionnellement, que des astronomes. Foucault va travailler énormément sur l'instrumentation. Il est le premier à remplacer les miroirs des télescopes, traditionnellement en bronze ou en platine, par des miroirs en verre : c'est l'avènement du télescope moderne.

L'Observatoire, ancêtre de Météo-France
Le développement du télégraphe, dans les années 1830, a beaucoup intéressé les astronomes, qui peuvent ainsi échanger des données rapidement et faire des observations simultanées en deux endroits en même temps. Les astronomes se passionnant également pour la météorologie, dans la mesure où leurs observations en sont tributaires : la température de l'air, par exemple, peut influencer l'indice de réfraction de la lumière.

En novembre 1854, une violente tempête, en mer Noire, fait sombrer trente huit navires, dont le vaisseau français Le Henri IV. "On demande alors aux savants de faire quelque chose, et Le Verrier pense à conjuguer l'intérêt des astronomes pour la qualité du ciel et l'utilisation du télégraphe", rappelle Nicolas Lesté-Lasserre.
En étudiant les conditions de la tempête de 1854, Le Verrier découvre qu'il aurait été possible de prévoir la tempête si les informations météorologiques avaient été centralisées. "Le Verrier décide de demander aux différents ports de France d'envoyer par télégraphe leurs données météorologiques pour dresser une carte météo de la France, explique Nicolas Lesté-Lasserre. On a rapidement une série de cartes et on commence à se projeter sur la carte du lendemain : quand on étend ça à l’Europe on voit les perturbations, les dépressions." Rapidement, les météorologues découvrent des modèles récurrents et peuvent se risquer à faire quelques prévisions. Dès 1859, ils commencent à télégraphier leurs prédictions vers les ports. En 1863, l'Observatoire a étendu son réseau d'information : il obtient des données depuis 21 stations française et 46 stations européennes.
Les astronomes s'inquiètent, quant à eux, de la place de plus en plus prépondérante de la météorologie dans les activités de l'Observatoire. En 1878, ce service prend son autonomie et devient l’ancêtre de Météo-France.
Les origines de l'Horloge parlante
Dans leur travail de calcul, pour déterminer les positions des étoiles ou des lieux, les astronomes doivent se doter d'une mesure précise de l'heure. "Un astronome ne peut pas travailler sans horloge", assure ainsi Nicolas Lesté-Lasserre. Et à l'inverse, "les horlogers viennent voir les astronomes pour tester leurs horloges, car ces derniers peuvent dire si, à midi, l'horloge est à l’heure ou non."
A mesure que les horloges deviennent de plus en plus sensibles, il devient nécessaire de les protéger des changements barométriques, des changements de pression ou de température. Les horloges les plus précises sont ainsi placées dans les caves de l'Observatoire de Paris, dans des cloches sous vide. Grâce à l'arrivée du télégraphe, puis de la télégraphie sans fil (les premières transmissions radio), l'Observatoire peut diffuser régulièrement un signal horaire : l'intégralité de la France peut dorénavant se mettre "à l'heure de Paris".
"Dans les années 1930, le téléphone commence à se répandre de plus en plus, rappelle Nicolas Lesté-Lasserre. On pouvait alors appeler le directeur Ernest Esclangon, où au moins son assistant, qui devait en avoir assez de donner l'heure. Tout le monde sait qu’à l’Observatoire il y a les horloges les plus précises. Le directeur Esclangon décide donc de remplacer son secrétaire par une machine : c'est la robotisation."

En 1933, chacun peut composer le numéro "ODEON 84 00" et entendre la formule "Au quatrième top il sera...". L'horloge parlante est un immense succès populaire : le premier jour, 140 000 appels sont passés à l'Observatoire, qui peine à répondre à la demande avec ses 20 lignes téléphoniques. Seulement 20 000 appels sont satisfaits. Depuis, l'Observatoire s'acquitte toujours de ses deux missions : déterminer l'heure et la diffuser. De nos jours, c'est la Syrte (Systèmes de Référence Temps-Espace) qui, au sein de l'institution, continue de calculer le temps.
A découvrir : l'Observatoire de Paris a créé un site anniversaire pour fêter ses 350 ans.