Au Soudan, des sites archéologiques sous la menace des chercheurs d'or
Par Benjamin Recouvreur
Au Soudan, troisième producteur d'or en Afrique, les sites archéologiques riches en métaux attirent les orpailleurs. Des dizaines de vestiges ont déjà été endommagés. Les archéologues s'inquiètent face au manque de moyens pour protéger le patrimoine exceptionnel du pays.
C'est presque devenu une habitude au Soudan. Il y a un mois, le site archéologique de Jabal Maragha, au nord de Khartoum, dans le désert de Bayuda, a été complètement détruit par des chercheurs d'or. Avec des pelleteuses, ils ont creusé une tranchée de plus de quinze mètres de profondeur. « Au bout d'un moment, on est comme les médecins, qui face à la mort de leurs patients finissent par s'endurcir. C'est un crève-cœur à chaque fois, mais ça arrive tellement souvent... » déplore Claude Rilly, chercheur au CNRS et directeur de la fouille de Sedeinga dans la région nubienne au nord du pays.
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À Sedeinga, situé au bord du Nil, on trouve un temple égyptien et une immense nécropole, composée de près de cent petites pyramides édifiées entre 700 avant J.-C. et 300 après J.-C. Ce site n'a pas été confronté à de grosses dégradations mais les chercheurs d'or sont tout proches : « Une petite mine d'or s'est carrément installée sur une colline à la frontière du site, explique Claude Rilly. On n'a pas pu vérifier, mais c'est un endroit où il y avait sans doute la possibilité de trouver des sites néolithiques. »
Des chercheurs d'or parfois venus de l'étranger
Les musées soudanais estiment à une centaine le nombre de sites qui auraient été endommagés ou détruits par des pilleurs. Au total, environ un millier de sites archéologiques sont recensés au Soudan. « Les zones du nord-Soudan où je travaille étaient désertées et l'économie de l'orpaillage les a fait revivre », détaille Vincent Francigny, chercheur au CNRS et directeur de la fouille du site de l'île de Saï, sur le Nil, autre immense nécropole de la Nubie soudanaise.
Certaines saisons, on a constaté que des centaines de tombes avaient été ouvertes, le matériel avait été sorti ou volé.
Bien souvent, les tombes endommagées avaient déjà été pillées auparavant. Les gains sont alors minimes par rapport à ces destructions qui, elles, sont irrémédiables.

En général, les chercheurs d'or ne sont pas des grands connaisseurs des zones qu'ils pillent. « Un exemple parlant : sur un temple rupestre égyptien dans le nord du Soudan, il y avait une magnifique stèle rupestre du pharaon Séthi Ier, le père de Ramsès. Les chercheurs d'or ont cru que c'était la porte d'un trésor, et ils l'ont détruite à la pioche », raconte Claude Rilly. Restent les photos et les analyses déjà effectuées sur ces vestiges à la valeur inestimable.
On passe quand même à côté d'informations capitales, et c'est une catastrophe pour les archéologues.
Le Soudan, troisième producteur d'or en Afrique
Depuis sa séparation avec le Soudan du Sud en 2011 et la perte d'une importante manne pétrolière, le régime de Khartoum a relancé l'activité minière, et notamment la recherche d'or. Combiné à l'augmentation importante de son prix, l'attrait pour l'or a aussi développé une activité plus artisanale. Il fait aujourd'hui vivre 1,5 million de personnes. Qui plus est, depuis le mois de juin, le gouvernement a libéralisé l'exploitation de cette ressource. « Ce problème des chercheurs d'or n'est pas nouveau, et des recherches scientifiques françaises ou soudanaises l'ont déjà signalé », explique Marc Maillot, directeur de la Section française de la Direction des antiquités du Soudan (SFDAS).
Face à une économie de l'or de plus en plus puissante, les services des antiquités du Soudan ne font pas toujours le poids. Claude Rilly l'a expérimenté sur son site de Sedeinga : « On a de très mauvaises relations avec eux. Ils connaissent beaucoup de monde à Khartoum, donc on ne peut pas dire grand chose », explique-t-il. « Les musées du Soudan n'ont pas les moyens pour faire respecter leur autorité. Ça passera par une volonté politique, et il faut les accompagner dans cette période de transition », confirme Marc Maillot.
Sensibiliser les populations locales
Depuis la chute du dictateur Omar el-Béchir en avril 2019, le pays est entré dans une phase de transition. Le gouvernement mis sur pied il y a tout juste un an doit gérer une situation complexe dans laquelle l'urgence archéologique ne semble pas être la priorité. « On ne peut pas leur demander de tout gérer en même temps, mais à mesure que l'on attend parce que d'autres priorités se font jour, le patrimoine lui continue d'être détruit », analyse Marc Maillot.
La situation est grave car le patrimoine archéologique du Soudan est très important mais Vincent Francigny croit que les choses peuvent changer à partir du terrain. « Lorsqu'on est confronté à des dégradations, évidemment on pourrait être assez vite découragé, concède-t-il. Mais quand on voit aussi les discussions dans des conférences, dans des écoles, on se rend compte que les communautés locales sont très enthousiastes à l'idée de défendre leur patrimoine. » C'est dans la sensibilisation que se trouve peut-être l'une des solutions. Protéger le patrimoine pour en tirer profit sur le long-terme.
Au-delà de l'or, d'autres menaces sur le patrimoine soudanais
Les chercheurs d'or sont l'un des problèmes auxquels les archéologues doivent faire face, mais ce n'est pas le seul et sans doute pas le plus important. « Il faut ajouter deux problèmes majeurs : d'une part l'extension urbaine des villes moyennes et aussi l'expansion agricole avec des champs qui détruisent les sites archéologiques, qui sont normalement protégés par le cadastre soudanais », analyse Marc Maillot.
L'or est en troisième position dans les inquiétudes.
Le défi est de taille pour le pays. La France finance encore de nombreux chantiers archéologiques au Soudan mais pour Marc Maillot, les autorités doivent prendre leurs responsabilités. « On ne peut pas se substituer aux Soudanais. Il faut qu'ils prennent en charge la protection de leur patrimoine, et pas seulement pour des raisons archéologiques ou scientifiques, aussi pour des raisons de développement économique et touristique. »