Auteurs de BD : "La rémunération des dédicaces, une avancée mais pas la panacée pour sortir de la précarité"
Par Benoît GrossinEntretien. Un accord sur la rémunération des dédicaces commence à être appliquée à l’occasion de la 49e édition du festival d'Angoulême. C’est une impulsion vers une amélioration de la situation d'auteurs sous le seuil de pauvreté pour la plupart, selon Marc-Antoine Boidin, responsable du syndicat SnacBD.
L’annonce a été faite par le ministère de la Culture quelques jours avant l’ouverture du 49e festival d’Angoulême, rendez-vous phare du secteur que le collectif "AAA", "Autrices Auteurs en Action", avait menacé d'un boycott en 2021. Après de longues négociations, le paiement en droits d’auteurs des dédicaces devient une obligation pour une dizaine d'événements du 9e art en France soutenus par l’État : le Festival Quai des Bulles à Saint Malo, le festival Fumetti à Nantes, les Rencontres BD à Bastia ou encore le Festival bd Boum à Blois.
Tous signataires du protocole conclu pour trois ans avec le Centre National du Livre (CNL), le Syndicat national de l’édition, le Syndicat des éditeurs alternatifs et la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (Sofia).
Un forfait de 226 euros par festival sera cofinancé par les structures invitantes, le CNL et la Sofia, administrée à parité par les auteurs et les éditeurs.
Cette "avancée est indéniable" mais il faudrait aussi "rendre le droit d’auteur aux auteurs", aux quelque 1 500 scénaristes et dessinateurs en France dont une majorité vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, selon Marc-Antoine Boidin, auteur notamment avec Yslaire de La Guerre des Sambre et responsable du groupement BD du Snac, syndicat national des auteurs et des compositeurs.
Revendication très ancienne dans le monde de la bande dessinée : la rémunération des dédicaces dans les festivals est-elle une avancée notable pour les auteurs ?
C'est la reconnaissance d’une activité qui existe depuis plusieurs dizaines d'années et qui enfin trouve une légitime rémunération. Elle est donc considérée désormais comme une activité professionnelle. Cela existait déjà, de manière ponctuelle. Il y a eu ces dernières années des initiatives, dans une trentaine de festivals en France, en Suisse ou en Belgique. Je pense notamment au salon parisien SoBD, avec un système différent de celui qui est train d’être mis en place. Mais globalement, la rémunération des dédicaces était loin d’être généralisée. Pour nous, au Snac, cette revendication date de 2017. Cela fait donc plus de cinq ans que nous la portons. Elle a finalement trouvé sa place dans le " Plan Auteurs" mis en œuvre l’an dernier, en pleine pandémie, par la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot et qui découlait de différentes études ou enquêtes et notamment du rapport Racine.
C'est une avancée, indéniablement. Cela va permettre de mettre du beurre dans les épinards, même si ce n'est pas les épinards. Ce qu'il y a d'intéressant aussi et surtout dans cette nouvelle mesure, c'est qu'elle a mis d'accord tous les acteurs concernés par la dédicace : les festivals, les éditeurs, les pouvoirs publics avec le CNL, la Sofia... Cela prouve que nous sommes capables d'avancer ensemble et de trouver des solutions. C'est aussi le fruit de la mobilisation d'autrices et auteurs qui se sont fait entendre, notamment ceux du collectif "AAA" qui avaient brandi la menace d’un boycott du festival d’Angoulême, si rien n'était mis en place.
Tous les acteurs de la chaîne du livre se sont mis autour d’une table. Cela a été un peu long, compliqué. J'ai dû faire une trentaine de réunions sur le sujet et pas qu'au ministère, avec les différents interlocuteurs. Cela a été assez laborieux, mais nous sommes arrivés à quelque chose. Ce n’est pas la panacée, c’est une impulsion, une première qui je l’espère va ouvrir sur beaucoup d’autres issues positives.
Cette rémunération des dédicaces, comment est-elle financée et versée ? Comment cela va se traduire concrètement pour les autrices et auteurs de bande dessinée ?
Elle est financée de manière tripartite. Un tiers est assuré par la "puissance invitante", soit les festivals ou les éditeurs à l’intérieur d’un festival et les deux autres tiers viennent du CNL et de la Sofia, l'organisme de gestion collective pour les droits de prêt. Il s’agit donc d’un financement à la fois public et privé.
La somme qui a été définie est de 226 euros par auteur et par festival. Dix festivals pour l’instant sont concernés, dix festivals d’importance tout de même sur le territoire français : le festival d’Angoulême évidemment et les festivals de Saint-Malo, d’Amiens, de Blois, de Lyon, de Bastia, d’Aix-en-Provence... des festivals qui font écho dans le milieu de la bande dessinée. Ils sont tous aidés, subventionnés, par le CNL et la Sofia. Ce qui limite leur nombre pour l’instant. Mais cela devrait s’étendre, nous l’espérons, en 2023.
Cette somme de 226 euros sera reconnue comme étant du droit d'auteur. C’est aussi important, parce que cela reste dans la nature de nos activités. Ce n'est pas un salaire. Nous ne sommes pas du tout dans ce régime-là. Nous avons des contrats de cession de droits, des contrats en droits d'auteur. La multiplication des statuts potentiels pour la rémunération est pour nous à éviter. Ce sera donc effectivement beaucoup plus simple pour les auteurs.
De très nombreux auteurs vivent encore aujourd'hui sous le seuil de pauvreté. Alors que le marché de la BD vient de battre tous ses records, avec près de 900 millions d’euros de chiffre d’affaires et 85 millions d’ouvrages vendus en 2021, comment expliquer cette si forte précarisation ?
Oui, beaucoup vivent sous le seuil de pauvreté, malheureusement. Selon la dernière étude, celle des États Généraux de la Bande Dessinée, il y avait 50% des auteurs sous la barre du SMIC et 36% sous le seuil de pauvreté, en 2015. Or, on a pu aussi observer que 2% de plus allaient chaque année sous le seuil de pauvreté, selon la logique de cette étude. Sans compter les différentes réformes qu'il y a eu depuis et qui ont complexifié encore la situation des auteurs. Résultat des courses, il n'est pas du tout improbable que l'on soit aujourd’hui à plus de la moitié des auteurs sous le seuil de pauvreté.
La pandémie et les longues périodes de confinement ont aggravé les problèmes, en empêchant les auteurs d'avoir certains revenus liés aux ateliers, aux animations dans les classes, aux tables rondes... des revenus non négligeables pour les auteurs. Des titres ont été décalés, des sorties n’ont pas eu lieu, avec des conséquences importantes, puisque nos revenus sont indexés sur les ventes.
Si le marché de la BD affiche une bonne santé, avec 5 000 sorties par an, le public n’est pas extensible. Si les ventes ont été multipliées par cinq depuis 2010, ce n’est pas le cas du public qui a été plutôt multiplié par deux. Autrement dit, les ventes par auteur et par titre baissent automatiquement.
Comment se compose le milieu des auteurs de bande dessinée et de ceux qui sont le plus en difficulté ?
Il y a entre 1 500 et 3 000 auteurs de bande dessinée en France : 1 500 qui se déclarent comme professionnels à part entière et 3 000 par extension, en comptant tous ceux qui n’exercent pas l’activité d’auteur, uniquement comme activité principale.
Certains sont obligés d’abandonner, parce qu’ils ne gagnent pas suffisamment leur vie, des auteurs précaires, mais aussi des auteurs reconnus qui préfèrent arrêter avant de devenir précaires. Je pense notamment à François Schuiten qui a annoncé en 2019 sa décision de mettre fin à sa carrière, parce qu’obligé d’exercer d'autres activités génératrices de revenus pour pouvoir continuer à faire de la bande dessinée. Ses œuvres étaient en quelque sorte “subventionnées” par des travaux annexes.
Il y a évidemment aussi des gens connus qui gagnent leur vie et tant mieux ! J'imagine que Riad Sattouf gagne très bien sa vie et c'est super ! Heureusement qu’il n’y a pas que des précaires dans la bande dessinée. Mais c'est comme à l'échelle de la société, avec 2% qui s'en sortent très, très bien et 98% qui galèrent ou qui gagnent beaucoup moins. Et tous les indicateurs aujourd’hui vont dans le sens d’une augmentation de la paupérisation.
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Quand un lecteur achète un album de bande dessinée, il donne 15 euros au libraire, par exemple, et peut se dire : "C’est bien, l'auteur va toucher 14 euros". Eh bien, pas du tout ! Un auteur de BD touche entre 8 et 12% du produit des ventes de l'album, soit environ un euro pour un album vendu 10 euros... Il faut donc en cumuler avant de parvenir à des revenus conséquents.
Comme tous les auteurs de BD, j’ai dans mon entourage plein d'amis ou de connaissances qui, en avance de droits d’auteur, touchent 10 000 à 15 000 euros pour la création d'un album qui réclame de deux à quatre ans de travail. Si vous faites le calcul, cela ne représente pas beaucoup par an. Et ils ne peuvent pas faire autre chose à côté, parce que réaliser un album de 250 ou 400 pages, c’est beaucoup de temps et beaucoup de travail. Difficile dans ces conditions de réussir à joindre les deux bouts. Cela touche tout le monde. Mais les gens connus ont l’avantage de pouvoir négocier plus facilement, en disposant d’un poids économique dans leur maison d’édition.
Comment obtenir une juste rémunération des auteurs ? Les festivals sont importants pour le dialogue, pour des négociations dans le secteur ?
Il y a à la fois le statut social et le statut fiscal qu’il faudrait simplifier et tout l’aspect contractuel avec nos éditeurs à améliorer. Je vais résumer cela en une phrase : il faudrait rendre le droit d'auteur aux auteurs. Les éditeurs s'arrogent beaucoup de droits, de l'impression papier, de représentation ou de marchandising. Même s’il y a bien sûr une compensation financière, cela pose problème, parce que nous cédons ces droits et ils ne sont forcément exploités. Les auteurs pourraient les exploiter eux-mêmes. Mais c’est sûr que le nerf de la guerre, ce serait déjà de faire en sorte que la création des œuvres soit bien valorisée, avec une augmentation importante du pourcentage de droits d’auteur, qu’ils soient supérieurs à 10% et remplacer l’avance de droits d’auteurs lors de la création d’un album par un "fixe", de manière à ce que l’auteur soit rémunéré dès le premier exemplaire vendu, alors qu’aujourd’hui l’éditeur récupère d’abord l’avance faite pour la réalisation de cet album.
La question du partage des valeurs est une question cruciale. Elle fait l’objet particulièrement en ce moment d'une discussion entre les instances syndicales représentatives des éditeurs et des auteurs.
Les festivals créent du lien. C’est là où nous rencontrons nos éditeurs. C’est là où on va discuter. C’est là où on va présenter nos projets ou en parler. C’est là aussi où les pratiques entre les auteurs vont circuler. Nous échangeons en demandant par exemple : "Tu as été payé combien pour cet album ?" Voilà comment cela fonctionne. Cela n’a rien d’officiel, mais c’est évidemment important, parce que cela participe à la dynamique de notre secteur et de toutes les interactions professionnelles.
Au festival d’Angoulême, nous allons ouvrir avec le Snac des discussions dans le cadre d'une journée professionnelle autour des relations entre les auteurs et les éditeurs, en vue de fluidifier une communication mise à mal en raison de la pandémie, pendant les périodes de confinement notamment, sans festivals. Ces relations quelquefois très tendues, voire toxiques, dans les deux sens, sont inhérentes au fait que les revenus des auteurs ne sont pas suffisants.
Un revenu garanti, un statut protecteur ou la création d’un régime spécifique pour les artistes-auteurs sont des propositions de plusieurs candidats de gauche à la présidentielle. Quelle est votre position à ce sujet ?
Attendons les propositions concrètes parce que, pour l'instant, cela me semble un peu flou. Mais c’est ce que nous demandons en tous cas, des améliorations et des simplifications pour les auteurs, dans le sens aussi de consolider le tissu créatif de notre pays. Qu’est-ce qu’un statut protecteur ? Qu'est-ce que cela veut dire ? Avoir un contrat de travail ? Avoir un contrat éditorial pour une meilleure rémunération des auteurs ? Cela reste à préciser.
Pour nous, la question contractuelle est essentielle. Sur l’amélioration des revenus et une moindre cession des droits, il faut qu’on puisse en discuter ouvertement, pour éviter que tout se délite en termes de créativité. La bande dessinée, par ses adaptations au cinéma, crée une dynamique dans les industries créatives, mais elle est aussi une des composantes de la culture, pilier de notre société.