
Dans une ambiance de fin de campagne très tendue, après une présidence très clivante, les États-Unis entrent dans une nouvelle période politique tout aussi difficile : l'après-scrutin. Donald Trump résiste pour l'instant et vient d'annoncer la saisie de la Cour suprême.
Coup d'éclat de Donald Trump à 8h30 heure de Paris. Le président américain a revendiqué mercredi avoir "gagné" l'élection présidentielle face à son rival démocrate Joe Biden alors que le décompte n'est pas achevé dans nombre d'Etats-clés. "Honnêtement, nous avons gagné l'élection", a-t-il déclaré lors d'une brève allocution depuis les salons de la Maison Blanche, évoquant une "fraude" et une "honte", et assurant qu'il entendait saisir la Cour suprême.
Un candidat doit obtenir une majorité de 270 grands électeurs (sur 538) pour être nommé président. Le record de votes par anticipation pourrait retarder les opérations de dépouillement et accentuer l'incertitude du résultat final.
On se souvient de l'an 2000 et de la victoire de George W. Bush déclarée par la Cour Suprême. Seules 537 voix avaient séparé le candidat républicain et le vice-président sortant démocrate Al Gore, et la Cour suprême avait accordé l'élection au républicain en interrompant le recomptage des bulletins de vote après un mois d'incertitude.
Cet exemple marquant confirme que - contrairement à ce que Donald Trump a commencé à sous-entendre ces derniers jours - rien n'oblige les États-Unis à avoir un président proclamé dès la fermeture des bureaux de vote aux États-Unis le 3 novembre au soir. Ce qui a fait dire à de nombreux analystes qu'il fallait s'attendre à de longues heures d'indécision dans la nuit du 3 au 4 novembre, voire au delà. D'autant que le président américain n'a pas autorité pour arrêter le décompte le 3 novembre au soir. Entre le jour du scrutin et le jour où les grands électeurs doivent voter (cette année, le 14 décembre), les États ont cinq semaines pour compter et recompter les bulletins si besoin. Les recours peuvent être déposés devant les instances judiciaires locales. En bout de course, c'est la Cour Suprême qui a le dernier mot, comme en 2000.
Le vote par correspondance vivement critiqué par Donald Trump
Contrairement à ce qu'affirme Donald Trump depuis des mois, un scrutin par correspondance n'est pas plus sujet à fraude qu'un scrutin en personne. Donald Trump a par exemple tweeté, dès le mois de mai :
Il est IMPOSSIBLE que le vote par correspondance ne soit pas frauduleux. Les boites aux lettres seront volées, les bulletins de vote seront contrefaits, et même imprimés illégalement !
Il a été démontré dans les analyses des scrutins passés que le vote par correspondance est plutôt favorable aux démocrates. Or, cette année, pandémie oblige, de nombreux Etats ont assoupli leurs règles de vote par correspondance. Pas besoin de prouver que l'on sera absent le jour du vote. Certains Etats ont même envoyé à tous leurs électeurs le matériel de vote par correspondance. Et le résultat est là : près de 100 millions d'électeurs avaient déjà voté avant le 3 novembre, soit par correspondance soit physiquement lorsque leur bureau de vote était ouvert.
En 2016, un quart des électeurs ont voté par courrier. Cette année, c'est la moitié. Chaque comté a des bulletins de vote différents de ceux du comté voisin, tout simplement parce que les électeurs de chaque comté sont appelés à voter non seulement pour le président américain (au suffrage indirect, par grands électeurs interposés), mais aussi pour le shérif du comté, ou le procureur, ou encore le maire de leur ville, leur sénateur (un tiers du Sénat est renouvelable cette année). Cela rend la contrefaçon d'autant plus difficile.
Il peut y avoir tout de même des erreurs. Mais en 2016, seulement 1% des bulletins envoyés par courrier avaient finalement été rejetés pour être arrivés trop tard, ou pour absence de signature. Ces problèmes peuvent se retrouver également dans les réserves indiennes où il n'y a pas de noms de rues. Mais en contrepartie, les bulletins par courrier encouragent les électeurs à voter et au final, le jeu en vaut finalement la chandelle.

Déploiement de moyens sans précédent en prévision de procédures judiciaires
Les équipes de campagne se préparent à contester le scrutin. Les deux partis, ainsi que les groupes conservateurs ou les associations de défense du droit de vote lèvent de l'argent depuis plusieurs semaines et déploient des armées d'avocats pour un éventuel recomptage, état par état, voire comté par comté. Des procédures judiciaires sont à attendre.
Les deux équipes ont déployé des moyens sans précédent, même si l'on inclut la présidentielle historiquement contestée de l'an 2000 entre George W. Bush et Al Gore. La raison d'un tel déploiement : les multiples déclarations de Donald Trump et des républicains pour disqualifier les bulletins de vote à la fin d'une campagne des plus "extraordinaires" en raison de la pandémie. Dans de nombreux États, les bulletins qui arriveront par la Poste après le 3 novembre peuvent être comptabilisés. Ils doivent être ouverts à la main, et chaque signature doit être vérifiée. Or, les démocrates craignent que ces délais entrainent de plus en plus de réclamations côté républicains et que ces réclamations aient du succès dans l'opinion publique.
Dans certains États, le résultat s'annonce serré. Par exemple, en Floride. Les avocats républicains et démocrates sur place seront aux côtés des personnels de campagne pour contrôler la sécurité des urnes et pour intenter des actions judiciaires dès qu'il y a possibilité de contester des irrégularités de part et d'autre.
Dans le New York Times, l'un des avocats spécialisés en politique les plus célèbres du pays, Benjamin L. Ginsberg déclare :
Si une juridiction n'a pas terminé de dépouiller ses bulletins au soir de l'élection, parce qu'il y a trop de bulletins, parce que des machines de vote sont cassées ou pour n'importe quelle autre raison, on ne peut pas l'obliger à arrêter son décompte. On ne peut pas priver les gens de leurs droits !
Les républicains sur le qui-vive
A ce jour, le geste judiciaire le plus spectaculaire vient du Texas. Les républicains ont contesté devant la Cour Suprême le vote anticipé de 127 000 personnes dans le comté de Harris (comté à tendance démocrate, abritant notamment la ville de Houston). Ces bureaux de vote étaient selon eux non conformes, car installés sous des tentes. Finalement, un juge de la Cour suprême du Texas a décidé lundi que ces bulletins étaient bel et bien valides. Mais ce même juge a statué que seul une tente sur les dix installées dans ce comté était considérée comme un bâtiment. Cela signifie que les neuf autres ont dû rester fermées pour le 3 novembre. Cette action en justice n'est qu'un exemple des 400 procédures déposées ces dernières semaines.
Les raisons permettant de réclamer un recomptage des bulletins, ou une annulation du vote localement sont multiples : des horaires d'ouverture de bureau de vote non respectés, des machines à voter non opérationnelles ou à moitié cassées.
Selon Reuters, l'équipe de Joe Biden craignait par exemple que Donald Trump annonce sa propre victoire dès le 3 novembre au soir, sans attendre la fin du dépouillement.