Il y a 100 ans, le 23 avril 1919, la France réduisait le temps de travail d'après cette célèbre maxime "8 heures de travail, 8 heures de loisir, 8 heures de repos". Il aura fallu un siècle entre l'émergence de l'idée même de la journée de travail de 8 heures et son application dans la loi.
Si plusieurs facteurs ont permis la réduction du temps de travail, au départ l'idée même d'une journée de travail de 8 heures vient... d'un patron.
Les entrepreneurs socialistes
Robert Owen est un entrepreneur anglais, père du mouvement coopératif. En 1817, il crée le célèbre slogan, repris par des millions d’ouvriers à travers le monde : “8 heures de travail, 8 heures de loisir, 8 heures de repos”. Il applique ce principe dans ses usines alors que depuis la révolution industrielle, les journées de travail ne cessent de s'allonger.
Avant 1848, on considère la journée de 13 heures comme courte, celle de 14 heures comme courante et celle de 15 heures comme non exceptionnelle
Jean Bruhat, 1978
En France, il faut attendre 1890 pour qu’un patron socialiste fasse de même. Jean-Baptiste Godin ira même jusqu’à léguer son usine à ses salariés.
Les revendications syndicales
En 1866, la Première Internationale reprend le slogan "8 heures de travail, 8 heures de loisir, 8 heures de repos". La réduction du temps de travail devient une revendication au cœur de la lutte sociale.
En 1889, à l’occasion de l’Exposition universelle à Paris, syndicats et socialistes décident de faire de tous les 1er mai une journée de lutte pour les 8 heures. La date est choisie en hommage aux ouvriers de Chicago, arrêtés lors d’une manifestation.
À partir de 1904, la revendication des 8 heures est perçue comme un premier pas vers la révolution permettant de partager le travail et de parfaire l’éducation politique des ouvriers. Elle devient le symbole de l’émancipation ouvrière.
Les députés
En Australie, le gouvernement met en place la journée de 8 heures dès 1856 dans certains secteurs. Mais en France, il faut plusieurs tentatives des députés. Des pétitions sont régulièrement envoyées à l’Assemblée nationale pour réclamer une réduction du temps de travail.
Des députés socialistes proposent une loi en ce sens en 1879, 1894 et en 1906 sans succès. Cette revendication apparaît à l’époque comme un mot d’ordre révolutionnaire. Elle divise les socialistes entre les révolutionnaires en faveur de la journée de 8 heures et les réformistes, favorables à la journée de 10 heures.
La guerre de 14-18 va bouleverser le rapport au travail
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le contexte est plus que jamais favorable à l’instauration des 8 heures.
Outre le fait que la nation doit bien un peu de reconnaissance aux rescapés de la boucherie de 14-18, il faut revenir au contexte international. Au moment où l’on prépare la paix, on envisage aussi une organisation internationale du travail (...) et la France victorieuse se doit de tenir son rang, or, elle est à la traîne côté protection des travailleurs. L’Allemagne a institué les 8 heures dès novembre 1918, la Pologne a fait de même puis le Luxembourg, l’Autriche et la Tchécoslovaquie. Bref, l’argument traditionnel du patronat et des libéraux sur la concurrence internationale ne tient plus vraiment la route. Et puis surtout il faut calmer au plus vite les ardeurs révolutionnaires qui risquent de se propager chez les ouvriers français à l’instar des spartakistes allemands et des bolchéviques russes.
Extrait sonore de La Fabrique de l'Histoire du 25 mars 2016
Chronique «Un saut dans la loi» d’Amélie Meffre
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La loi est votée à l’unanimité au Parlement et au Sénat mais des députés proches des organisations patronales incluent une série de dérogations notamment en cas de la reconstruction du pays ou de risque de guerre.
Les secteurs de la métallurgie, de la sidérurgie, des mines, qui concentrent le plus d’ouvriers ne sont toujours pas aux 8 heures. C’est le Front populaire en 1936 qui en réduisant la semaine de travail à 48 heures imposera de fait la journée de 8 heures... sans dérogation.
À lire
"Les Rythmes du labeur"
Livre à paraître de Corinne Maitte et Didier Terrier