Aux origines radiophoniques d'INDIA SONG (2/2)

A bien des égards, les séances d'enregistrement d'India Song  à la radio, pour France Culture, durant l'automne 1974, sont restées dans la mémoire des participants des instants marquants de leur existence. C'est ainsi que de ces quelques jours date la longue amitié qui liera Viviane Forrester à Michael Lonsdale, fondée sur la mise à nu à laquelle il leur a fallu procéder pour parvenir à la justesse de ton et d'ambiance recherchée par l'auteur et le réalisateur, une recherche conjugée aux conversations que tous deux tissaient entre les prises, hors studio, en attendant leur "tour" d'enregistrement.

Le cri d'amour désespéré du vice-consul dans la pièce radiophonique India Song , puis le souvenir de son enregistrement successivement évoqué par Michaël Lonsdale et Viviane Forrester.

Ecrit et mis en page comme une partition sonore, le texte d'India Song  est en lui-même l'expression d'une polyphonie. soit une superposition de lignes mélodiques. Dans un article de 1975, Marguerite Duras explique, à propos de la séquence de la réception :Je la vois avant tout comme une masse sonore  et ailleurs dans ses notes de tournage de 1974 : India Song Film se bâtira par le SON, et puis par la lumière . En cela, le travail radiophonique qui a précédé le tournage du film a permis à Marguerite Duras d'appréhender la complexité de la fabrication de la bande sonore, comme si la "leçon" de la radio avait été ensuite transposée au cinéma.

Michael Lonsdale révèle comment la bande son de la radio a servi de base au film, puis Marguerite Duras évoque la manière dont elle a travaillé le son des voix, ensuite,au cinéma.

A l'image, les plans successifs d'India song -film suggèrent la chaleur tropicale par la lenteur des déplacements, la sueur des corps, la lassitude des silhouettes, la légèreté des peignoirs, tandis que la voix de Marguerite Duras décrit le rythme lancinant du ventilateur, qui tourne à une lenteur de cauchemar . Mais à la radio...? Comment rendre cette touffeur, cet écrasement caniculaire des journées de mousson ? Là réside l'inventivité du rélisateur et de son équipe technique, là les "trouvailles" sonores peuvent efficacement tenir lieu d'images...

Georges Peyrou, le réalisateur d'India song  pour la radio, rappelle quelles astuces de prises de son ont été employées pour rendre la touffeur tropicale des Indes + extraits.

Episode traumatique d'adolescence pour Marguerite Duras, le récit de la mendiante génitrice d'enfants promis à la mort hante une grande partie de son oeuvre. Il surgit dès 1950 dans Un barrage contre le pacifique , où Duras évoque sa mère, institutrice d'école indigène réputée sauver les enfants de la faim et de la boue des rizières et relate comment une indigente avait fait huit jours de route à pieds pour venir lui confier son enfant malade, lequel était mort au bout de trois mois. Le désespoir et le chant dément de la mendiante traverse de façon récurrente les romans du "cycle indien" comme l'innocente incantation de celle qui traduit le malheur toujours survivant du monde.

Le réalisateur Georges Peyrou évoque l'enregistrement du chant de la mendiante, personnage récurrent dans l'oeuvre de Marguerite Duras, central dans India Song .

Si Viviane Forrester incarne, à la radio, le personnage d'Anne-Marie Stretter, épouse de l'ambassadeur de France, la voix de l'écrivain est également très présente dans la bande sonore du film, où elle joue la "Voix n°1". Dans ses remarques introductives à la première partie d'India Song , , Marguerite Duras indique : Les voix de ces femmes sont atteintes de folie. Leur douleur est pernicieuse. La mémoire qu'elles ont de l'histoire d'amour est illogique, anarchique. (...) On devrait les entendre toujours avec la plus grande clarté mais à des niveaux sonores qui différeront selon leurs propos (...) Et surtout, partager l'épouvante de la voix 2 devant le vertige incessant de la voix 1 de se perdre dans l'histoire d' India Song_, révolue, légendaire : ce MODELE._

Viviane Forrester évoque sa participation aux enregistrements de la bande son du film et revient sur le plaisir qu'elle eût à être la double incarnation d'un texte qu'elle aimait passionnément.