
Après avoir fui le Japon pour se réfugier au Liban, caché dans un étui d’instrument de musique, Carlos Ghosn donne ce mercredi une conférence de presse à Beyrouth. L’aspect rocambolesque de son évasion rappelle d’autres grandes fuites pour échapper à la justice ou à la vindicte populaire.
Se déguiser en maçon, se cacher dans une corbeille à linge, se grimer en homme ou s’enrouler dans un manteau, tous les moyens sont bons pour déjouer la surveillance et prendre la fuite. Carlos Ghosn, qui donne ce mercredi une conférence de presse à Beyrouth, après avoir fui le Japon en jet privé en se cachant à l'intérieur d'une malle noire, se serait-il inspiré de certaines de ces évasions d'hommes et de femmes de pouvoir qui ont marqué l'histoire ?
"Je n'ai pas fui la justice, je me suis libéré de l'injustice”, Carlos Ghosn
Le 29 décembre 2019, l’ex-patron de Renault-Nissan a fui la justice japonaise en se réfugiant au Liban afin d’échapper, dit-il, à “l’injustice et la persécution politique”. Accusé d’abus de biens sociaux, malversations financières et fraudes fiscales, Carlos Ghosn était assigné à résidence à Tokyo depuis le 25 avril, dans l’attente de son procès.
Comment, alors qu’il était en liberté surveillée, a-t-il pu quitter l’archipel sans que quiconque ne s’en aperçoive ? Il s’agit bien d’une évasion en bonne et due forme. On retrouve, d’une part, une situation d’enfermement strict qui a été déjouée, comme l’a confirmé le procureur du tribunal de Tokyo au quotidien japonais Nikkei : “ses conditions de mise en liberté sous caution concernant l'interdiction de voyager à l'étranger n'ont pas été modifiées”. Son principal avocat, Junichiro Hironaka était d’ailleurs abasourdi d’apprendre la fuite de son client à la télévision. D’autre part, s’ajoutent au récit de sa cavale narrée par les journaux du monde entier tous les éléments romanesques et autres révélations qui font le sel des histoires d’évasion.
Dans un premier temps, la justice japonaise soupçonne Carlos Ghosn d’avoir utilisé une fausse identité pour déjouer les contrôles aux frontières et embarqué au sein d’un jet privé. Mais d’après le Wall Street Journal, pour se faire la malle, l’ex-PDG de Renault a pris l’expression au pied de la lettre. C’est à l’intérieur d’un caisson à roulettes habituellement utilisé pour le transport des instruments de musique que Carlos Ghosn se serait glissé pour passer la frontière. A l’aéroport, il a ainsi pu passer les contrôles non pas en tant que passager... mais en tant que bagage ! Sachant que dans le cadre des vols privés, les valises sont soumises à une vérification moins stricte. Énième rebondissement, Le Monde révélait mardi 7 janvier qu’une société avait bien financé la fuite du Japon de Carlos Ghosn : Al-Nitaq Al-Akhdhar, établie à Dubaï. Elle a réglé le 26 décembre dernier la facture de 175 000 dollars pour la location de l'avion.
Avant même que l’on apprenne son évasion, les producteurs d’Hollywood et de Netflix auraient flairé le potentiel romanesque de l’aventure de Carlos Ghosn. D’après les informations du New York Times, le magnat de l’automobile a sollicité une rencontre avec John Lesher, producteur du film oscarisé Birdman, afin de lui présenter une intrigue autobiographique : “le thème était la rédemption. Les méchants étaient le système judiciaire japonais”, rapporte le New York Times.
Voici cinq autres fantastiques récits d’évasion, piochés dans l’histoire de France et l’histoire européenne, que n'ont pas boudés d’autres réalisateurs en leur temps.
Révolution et linge sale : la fuite du prince de Metternich

A la chute de Napoléon, le prince de Metternich pense être l’homme le plus puissant d’Europe. Ambassadeur d’Autriche en France puis chancelier et ministre des Affaires étrangères de l’empereur d’Autriche, il se considère comme un garant de la paix en Europe. Mais cet aristocrate opposé à la Révolution française comme à l’Empire de Napoléon n’avait pas anticipé l’insurrection des peuples européens qui se soulevaient contre des institutions séculaires. Tandis que la Galicie refuse de payer l’impôt et que les Italiens provoquent le Risorgimento, à Vienne, les barricades se mettent en place.
Le 13 mars 1848, la foule se masse devant le palais impérial où réside le prince de Metternich. L’armée tire, la manifestation dégénère et des étudiants parviennent à pénétrer dans le palais où réside le prince. Ils découvrent alors le luxueux style de vie de Metternich et exigent la démission de ce chancelier au pouvoir depuis près de 40 ans. Poursuivi et honni par le peuple, Metternich essaye de fuir. Il ne trouve d’autres solutions que de se cacher dans une corbeille à linge de l’empereur qui doit être apportée à la blanchisserie. C’est ainsi, recroquevillé dans un panier à linge sale hissé sur une charrette, qu’il fuit l’Autriche pour trouver refuge en Angleterre puis en Belgique, où il restera à l’écart de la vie politique.
Marie de Médicis, par-dessus le balcon avec fracas

Une mère punie par son propre fils. C’est l’insupportable situation dans laquelle se trouve Marie de Médicis se trouve lorsque, le 24 avril 1617, Louis XIII alors âgé de 16 ans décide de l’envoyer en exil au château de Blois, afin de l’éloigner du pouvoir. La prison est dorée mais le sort reste indigne d’une femme de ce rang, dont les faits et gestes sont en permanence surveillés par le duc Luynes, favori de Louis XIII.
Dans la nuit du 21 février 1619, Marie de Médicis décide de s’évader pour reprendre sa liberté – et peut-être une partie du pouvoir qu’elle exerçait en tant que régente. Tout est prêt : elle passera par la fenêtre pour rejoindre un carrosse qui l’attend au bout d’un pont, au-dessus de la Loire. La reine, accompagnée de sa petite cour - sa servante, deux policiers, deux valets italiens et une naines -, a pris soin de coudre ses précieux bijoux dans une robe qu’elle tient retroussée, pour rejoindre plus aisément son écuyer.
Mais les années de claustration au Château de Bois ne l’ont pas rendue très sportive. Arrivée sur le balcon, essoufflée, la reine est prise de vertige. Aux grands maux les grands remèdes : “Il faut enrouler Marie dans un manteau, l’attacher à la corde pour la descendre et atteindre le talus qui s’achève en pente sur une trentaine de mètres. La fugitive atterrit dans les gravats des travaux d’un mur. Des passants, certains qu’il s’agit d’une fuite d’amoureuse infidèle, lancent des commentaires grivois. Ils réjouissent Marie, enchantée qu’on la prenne pour une bonne dame”, raconte Jean des Cars dans son livre Les Châteaux de la Loire (Perrin, 2018).
Le lendemain, Louis XIII apprend l'évasion de sa mère. Un écuyer lui apporte une lettre en provenance de Blois :
Monsieur mon fils, j’ai laissé opprimer longtemps mon honneur et ma liberté et ai supporté de fortes appréhensions pour ma vie ; ce qui m’étoit plus sensible, c’étoit la privation de votre vue. Etant, à mon grand regret, informée du péril où sont vos affaires, s’il n’est bientôt su et connu de vous, je me suis résolue de me mettre en lieu sûr, afin qu’y étant libre, je vous puisse faire entendre ce qui m’étoit impossible dans la puissance de ceux qui vous le cachent. Je me suis portée à une sortie périlleuse et ai prié mon cousin le duc d’Epernon de me permettre de me retirer dans Angoulême (…). Marie de Médicis
Réfugiée au château de Loches où elle est reçue par l’archevêque de Toulouse au nom du duc d’Epernon, Marie de Médicis obtient l’aide de son principal conseiller, le futur cardinal de Richelieu, afin de « traiter de puissance à puissance avec le conseil de son fils », raconte l’historien Jean-Baptiste Capefigue dans Richelieu, Mazarin, la Fronde et le règne de Louis XIV (Dufey, 1835). Richelieu parvient à négocier un accord de paix ; le roi accepte le retour de la reine-mère à la cour, où elle s’attèle à la construction de son palaisd du Luxembourg.
La trop tranquille fuite à Varennes, un “miracle d’imprudence” (Jules Michelet)

Dans la nuit du 20 au 21 juin 1791, Louis XVI et Marie Antoinette s’enfuient des Tuileries avec la famille royale. Depuis son départ de Versailles, le 6 octobre 1789, Louis XVI se considère comme prisonnier du peuple parisien qui l’avait privé de son pouvoir législatif et exécutif. De plus, la Constitution civile du clergé, en 1790, a été pour lui la goutte faisant déborder le vase. Son objectif ? Rejoindre Montmédy où se trouve le marquis de Bouillé, commandant de trois évêchés, à la tête de 6 000 soldats, et resté fidèle au roi.
Cette savante évasion avait été orchestrée bien en amont par Marie-Antoinette, son confident le comte Axel de Fersen, le marquis d’Agoult, ami de la famille, et quelques autres protagonistes.
La famille royale est munie de faux passeports : Marie-Antoinette se fait passer pour la gouvernante d’une riche baronne russe, Madame de Korff. Quant à Louis XVI, il joue l'“intendant” de cette même baronne, qui n’est en fait autre que la gouvernante des enfants royaux. Le Dauphin, âgé de 5 ans, a été vêtu comme sa grande sœur de 12 ans, avec une robe. En tout, participent au voyage la famille royale, deux gouvernantes, trois gardes du corps. Tout ce petit groupe utilise un passage secret pour rejoindre la cour des Princes, où l’attend une berline. Tout semble bien se passer, mais la berline prend son temps… Son retard, important, fait tomber à l’eau l’organisation de Bouillé, qui avait prévu la mise en place d’escortes tout au long de l’itinéraire.
C’est à l’entrée de Varennes qu’a lieu l’arrestation de la famille royale, par une poignée de patriotes alertés par Jean-Baptiste Drouet, maître de poste de Sainte-Menehould. Toute la population veille en armes autour de la maison de Jean-Baptiste Sauce, vice-procureur de Varennes, où le petit groupe de fugitifs est maintenu. Quand la berline fait son retour aux Tuileries, le 25 juin, elle est accueillie par un silence de mort. Il est interdit à quiconque d’applaudir le roi, comme de l’insulter.
La mécanique curiale se remet en marche comme si rien ne s’était passé mais le roi est prisonnier, sous bonne garde aux Tuileries. Il a été suspendu, la royauté est complètement désacralisé (effigies, caricatures, insultes, tout devient permis…) et il est décidé qu’il ne reviendrait au pouvoir que s’il acceptait pleinement la Constitution. Le 14 septembre, Louis XVI prêtera serment à cette dernière, avant de perdre sa couronne et sa tête, moins d’une année plus tard.
Pour l'historien Jean-Christian Petitfils invité de l'émission La Fabrique de l'histoire en 2011, trois éléments ont été à l'origine de cette évasion :
Il y a de multiples causes à cette fuite du roi. La première est liée aux troubles de conscience du roi qui a accepté, au départ, la Constitution civile du clergé, et a été très troublé par le décret sur le serment des ecclésiastiques qui devaient jurer la Constitution, la condamnation pontificale. Le deuxième élément, c’est la Constitution : le roi n’est pas satisfait des premiers décrets constitutionnels, en particulier le fait que le pouvoir exécutif se trouve vidé de sa substance. Il a renoncé à la société d’ordre, au système ancien (…), mais il veut pouvoir donner son avis. Le troisième élément : ils vivent dans l’espace confiné des Tuileries, ils ont l’impression d’être prisonniers, à tel point que le 18 avril 1791, la foule empêche le roi de partir pour Saint-Cloud – ce qu’ils avaient fait l’année précédente. C’est l’élément déclenchant de la fuite à Varennes ! Jean-Christian Petitfils
La fausse comtesse Jeanne de La Motte et le collier de la reine

Déguisée en élégant jeune homme, elle s'est enfuie en barque, par la Seine, de la Salpêtrière, pour rejoindre Londres ! Mais quel crime avait-elle donc commis ?
Juin 1784, à Versailles. Jeanne de La Motte a épousé un officier de gendarmerie sans envergure, Marc de La Motte. Ils ont usurpé les titres de comte et de comtesse. Parmi ses nombreux amants, Jeanne compte le prince de Rohan, un cardinal en disgrâce depuis son retour de Vienne où il a dénoncé le double jeu diplomatique de la mère de Marie-Antoinette. Il ne rêve que de retrouver les faveurs de la reine. A l’aide d’un faussaire, Villette, qui envoie de fausses lettres signées de la reine au cardinal, Jeanne de la Motte fait croire à celui-ci qu’elle est devenue intime avec Marie-Antoinette, auprès de qui elle aurait intercédé pour obtenir son pardon.
Prise au jeu, clamant partout ses prétendues relations intimes avec la reine, Jeanne de La Motte est approchée par de riches joailliers en décembre 1784, qui lui demandent si elle peut intervenir auprès de Marie-Antoinette pour lui vendre un collier de diamants d’une valeur d’un million et demi de livres ; un bijou initialement conçu pour Madame du Barry, favorite de Louis XV. Un plan germe alors dans la tête de l’intrigante : toujours avec de fausses lettres et de faux contrats, elle se débrouille pour faire croire à Rohan que la reine souhaite acheter le collier en secret, par son entremise. Rohan se laisse piéger, et grâce à sa naïveté, le bijou tombe entre les mains de Jeanne et son mari, qui s’empressent de le défaire à la lime et au couteau, afin d’aller vendre les diamants à Londres.
Rohan s’inquiète et comprend qu’il a été berné : la reine n’a pas payé la première échéance, et ne porte pas le collier ! La machination est découverte et les joailliers portent plainte.
Jeanne est écrouée à la Bastille tandis que son mari parvient à s’enfuir, des diamants pleins les poches. Le cardinal, lui, est arrêté en pleine galerie des glaces. L’affaire fait grand bruit : certains croient que la reine est l’amante du cardinal, ou celle de Jeanne, ou encore, que celle-ci était au service de la reine qui souhaitait se venger du cardinal.
Condamnée à la prison à perpétuité, Jeanne est marquée au fer rouge. Transférée en maison de force à la Salpêtrière, elle réussit à s’en échapper le 5 mai 1787, en barque, par la Seine, affublée de vêtements d'homme. Elle gagne Londres où elle retrouve son mari.
Dès le lendemain, la nouvelle de son évasion fait grand bruit dans Paris, comme le racontait Louis Hastier dans La Vérité sur l'affaire du collier (1955). Chacun se demande qui a aidé la jeune femme en lui fournissant de l'argent et des vêtements, mais personne n'avance de réponse suffisamment convaincante. L'intéressée elle-même ne livre pas la clef de ce mystère dans les différents mémoires qu'elle publiera par la suite. Un nom se retrouve pourtant sur toutes les lèvres : celui d'un botaniste émérite, administrateur de l’hôpital général.
L'enquête policière avait été assez superficielle. Bien que le nom de Tillet eût été prononcé plusieurs fois par les personnes interrogées, le personnage ne fut pas questionné sur ses relations avec Mme de La Motte. Mais (...) Tillet agit-il de son propre chef ou se borna-t-il à exécuter des ordres reçus ? (...) Il est permis d'en dire autant pour l'évasion. Elle a pu aussi bien être ordonnée par Marie-Antoinette, pour faire cesser les rigueurs d'un arrêt trop sévère à ses yeux, que facilitée par hostilité contre sa majesté, à moins que la seule intervention de Tillet ait suffit...
Quoiqu'il en soit, Jeanne de la Motte poursuit sa vie à Londres. Mais un jour de 1791, la police frappe à sa porte pour réclamer le paiement d’une dette due à un tapissier. Paniquée, l’intrigante se défenestre et se brise les jambes. La gangrène s’en mêle et elle succombe quelques mois plus tard.
L'émission "Autant en emporte l'histoire" sur France Inter consacrait une fiction radiophonique à cette histoire, en mars 2017.
Napoléon III, un empereur faux-maçon

25 mai 1846. Voilà six ans que Louis-Napoléon Bonaparte est détenu au fort de Ham, dans la Somme, après sa pathétique tentative de coup d’État sur une plage de Boulogne en 1840, année du retour des cendres de son glorieux oncle, Napoléon Ier. Quatre ans avant cette mésaventure, il avait déjà tenté de soulever la garnison de Strasbourg, avec le même succès… ce qui avait eu pour conséquence sa discrète mise en exil aux États-Unis.
A ÉCOUTER : cette archive de 1967 des "Lundis de l’histoire" retrace le parcours chaotique de Napoléon III, jusqu’à sa captivité au fort de Ham
Sainte Hélène et la légende impériale_Les lundis de l’histoire, 16/01/1967
19 min
Sans doute commence-t-il à trouver le temps long dans ce château, bien peu digne de son aura d’exception, aussi commence-t-il à préparer minutieusement sa fuite avec la complicité d’Henri Conneau, son médecin personnel. Le plan est simple comme bonjour : Louis-Napoléon Bonaparte se déguise en maçon en revêtant les vêtements d’un ouvrier, Alphonse Pinguet, dit Badinguet. Il rase sa moustache, pose une perruque sur sa tête, hisse sur son épaule une planche de sa bibliothèque destinée à masquer son visage, et sort tranquillement par la porte sans éveiller un seul remous au poste de garde, malgré la présence quotidienne d’une soixantaine de sentinelles autour de l’enceinte du fort, et le zèle du commandant qui doit s’assurer de sa présence quatre fois par jour.
Louis Napoléon Bonaparte est déjà en Belgique quand sa fuite est repérée. Puis il gagne l’Angleterre. Il lui reste à se réconcilier avec son destin en devenant le premier Président de la République puis, à l’aune de la révolution de 1848, l’empereur Napoléon III suite à un coup d’État cette fois réussi en 1851.