
Le temple de la République, en accueillant l’auteur du recueil "Ceux de 14", célèbre l’ensemble des morts, hommes et femmes, de la Grande Guerre. Et pour la première fois depuis près de cent ans, sept œuvres contemporaines dont une installation sonore exceptionnelle s’y s'installent durablement.
La panthéonisation ce soir de l'écrivain Maurice Genevoix, cent ans après l'inhumation du soldat inconnu sous l'Arc de Triomphe, est accompagnée d'une commande publique exceptionnelle de sept œuvres d'art contemporain, une commande pérenne qui entre dans les collections nationales.
C'est une première depuis que le monument de Henri Bouchard "Aux héros inconnus, aux martyrs ignorés morts pour la France" a été installé en 1924, dans le sanctuaire, en souvenir des soldats de la Première Guerre mondiale.
L'artiste plasticien allemand Anselm Kiefer et le compositeur français Pascal Dusapin ont été choisis par le chef de l'État pour que soient honorés Maurice Genevoix, mais aussi tous "Ceux de 14", en référence au célèbre recueil de récits de guerre de l'écrivain : des simples soldats aux généraux, sans oublier les femmes qui "tenaient" le pays en "gardiennes à l'arrière".
En symbiose avec les six œuvres visuelles, les six "vitrines" réalisées par Anselm Kiefer et placées dans les transepts du monument laïc, Pascal Dusapin a créé une œuvre sonore In nomine lucis, Au nom de la lumière, indissociable du Panthéon :
Pascal Dusapin : "Il faut faire un poumon vocal, il faut faire chanter les pierres, dans un sentiment doux et affectueux pour honorer la mémoire de Ceux de 14".
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In nomine lucis : une œuvre sonore pour compléter le "Bouchard"
En honorant Maurice Genevoix, mais aussi tous "Ceux de 14", l'Élysée entend "donner au cœur de la Nation une place à tous ces anonymes, à travers lui et à travers son œuvre".
L’installation sonore du compositeur Pascal Dusapin, comme les "vitrines" d’Anselm Kiefer, répond au souhait du chef de l'État "de faire dialoguer l'Histoire et la création, la mémoire de la Grande Guerre et l'imaginaire des artistes d'aujourd'hui".

C’est la première fois, depuis près d’un siècle, que le Panthéon accueille des œuvres pérennes.
La dernière commande publique faite au lendemain de la Première Guerre mondiale et dévoilée en 1924, le monument de Henri Bouchard "Aux héros inconnus, aux martyrs ignorés morts pour la France", ne couvre pas l’ensemble des morts de la Grande Guerre, explique le président du Centre des monuments nationaux, Philippe Bélaval :
Philippe Bélaval : "Ce qui est contemporain a vocation à s'intégrer au patrimoine. L'histoire d'un peuple s'écrit par stratifications successives d'apports. Chaque génération fait corps avec les précédentes."
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La mobilisation de la Nation n’y est pas effectivement saluée complètement. Il avait été question en 1920 que le soldat inconnu soit inhumé au Panthéon, avant que la décision soit finalement prise à l’époque de le célébrer au pied de l’Arc de Triomphe. Sur le monument de Bouchard, il y a des inscriptions pour certains héros de la guerre, pour les écrivains morts au combat, mais pas pour l’ensemble de "Celles et Ceux de 14", c'est-à-dire toutes les Françaises et tous les Français qui sont partis dans l’armée ou qui ont repris des activités pour faire vivre la Nation pendant cette grande épreuve. Des femmes, comme Marie Curie, étaient au front, dans les services de santé et à l’arrière, dans l’agriculture, l’industrie... beaucoup de secteurs ont tenu parce que les femmes ont remplacé les hommes et ont réussi à maintenir tout un ensemble d’activités.
L’œuvre sonore de Pascal Dusapin, comme les six vitrines contenant des sculptures réalisées par Anselm Kiefer, donne une évocation beaucoup plus complète et beaucoup plus forte de cette épreuve qu’a été la Première Guerre mondiale, estime Philippe Bélaval :
Cette œuvre diffusée par intervalles réguliers et qui se déploie complètement dans la nef comptera beaucoup dans l’expérience des visiteurs : expérience artistique, émotionnelle et mémorielle. Et s’il n’y a pas encore de compositeurs au Panthéon, la musique devient Panthéon ou le Panthéon devient musique d’une certaine manière. L’œuvre de Pascal Dusapin n’est pas un fond sonore ou une musique d’illustration, mais une musique de création, une musique de commémoration. Oui, la musique entre par la grande porte au Panthéon ce 11 novembre !
In nomine lucis : en "symbiose" avec les "vitrines" d'Anselm Kiefer
Pascal Dusapin et Anselm Kieffer, un Français et un Allemand emblématiques de la création européenne dans cette commande publique exceptionnelle, ont été choisis parce qu'ils sont, selon l'Élysée, "profondément européens et aussi profondément marqués par la littérature, la philosophie et l'Histoire".
Pascal Dusapin et l’artiste plasticien vivant en région parisienne depuis de nombreuses années, s’étaient déjà côtoyés, notamment au Collège de France, où le compositeur a occupé en 2006 et 2007 la chaire de Création artistique.

Et si Anselm Kiefer est déjà connu pour ses travaux sur la Seconde Guerre mondiale, Pascal Dusapin est lui marqué depuis son enfance par la Grande Guerre :
Je vivais en Lorraine dans un pays meurtri. C’est un souvenir très fort dans mon éducation. On jouait dans les trous d’obus et on pouvait encore trouver des balles de soldats allemands ou français. La mairie de mon petit village donnait même de l’argent en échange... "Ceux de 14", que j'ai relu, je l'avais étudié à l'école dans le cadre des exercices mémoriels. Et puis ma mère, en Alsace, région tiraillée, ne parlait pas du tout français à l’âge de 20 ans. Je ressentais donc cette situation d’être dans le pays, mais avec un pas sur le côté. Cela explique pourquoi j’ai toujours une grande tendresse pour l’Allemagne, tout en connaissant bien l’histoire qui nous lie. Et en tant que musicien, pour le Panthéon, j’ai voulu jouer la carte de la réconciliation.
Pascal Dusapin et Anselm Kiefer, qui se sont consacrés pendant des mois à ce grand projet pour le Panthéon, n'ont pas travaillé au même endroit, mais l'un à côté de l'autre, avec la volonté d'être ensemble, en échangeant très régulièrement, dans l'atelier de l’artiste plasticien.
L’auteur d'In nomine lucis affirme avoir tenté de "converser" avec les œuvres de son partenaire allemand :
Sachant que les œuvres d’Anselm - je le dis en toute admiration – auraient quelquefois une certaine brutalité, sachant qu'il peut figurer la guerre, mon idée était d’entrer dans une forme de consolation, d’embrasser les gens, de les tenir dans les bras. Nous en avons beaucoup parlé et je crois qu’Anselm est très satisfait de cette direction, puisque cela ne crée pas de tension entre lui et moi, mais au contraire une sorte de symbiose, de mouvement où nous sommes très différents et en même temps ensemble.
In nomine lucis : une oeuvre indissociable du Panthéon
Pascal Dusapin a passé beaucoup de temps en se promenant et en rêvant longuement dans le Panthéon, avant de se lancer dans la composition, malgré son idée immédiate de faire "un poumon vocal", de faire "chanter les pierres" :
Dans un sentiment doux et affectueux pour honorer la mémoire de “Ceux de 14” et évidemment de Maurice Genevoix dont on sait quel rôle il a tenu dans l’Histoire.
Le compositeur habitué à un rapport "traditionnel" avec les orchestres symphoniques et l’opéra a été confronté à une situation "particulière", faute de pouvoir "mettre des musiciens dans l’espace".
Le projet d’une installation sonore s’est donc très vite imposé, avec pour principal défi de faire résonner la musique dans l'espace gigantesque de la "cathédrale laïque".
Son fidèle ingénieur électro acousticien, Thierry Coduys, est parvenu à résoudre les questions techniques, en disposant quelque soixante-dix haut-parleurs, spécialement adaptés et utilisables uniquement au Panthéon.
Pascal Dusapin, qui assure avoir travaillé en toute liberté, a composé pendant le premier confinement pour chœurs :
Une quinzaine de chœurs qui servent de matrice au projet. Elles ont ensuite été recomposées à l'ordinateur comme un mix et ont généré des heures et des heures de musique. Nous avons maintenant des cinquantaines de chœurs, tous différents, d'une à quatre minutes, dans une acoustique extraordinaire et spatialisés : ils se promènent, ils bougent, ils vivent avec l’espace. C’est une œuvre unique, cela ne peut pas exister ailleurs qu’ici, ce serait même un non-sens absolu !
Le panthéon pour Pascal Dusapin, est un véritable instrument de musique, avec des caractéristiques exceptionnelles :
Il a une réverbération de sept secondes et une capacité de faire rebondir les sons qui est unique, si tant est que nous sommes avec lui et non pas contre lui. J’ai été moi-même extrêmement surpris, même si j’en avais eu l’intuition dès le départ. Nous avons passé des semaines et des semaines, dans le Panthéon, pour mettre au point la pièce. Il a fallu adapter les chœurs à la résonnance, à la façon dont ils frappent sur les murs et dont ils reviennent, pour que le public soit pris d’un sentiment très apaisé. Nous sommes restés avec mon équipe, ici, des nuits entières et nous avons vécu des moments très forts, des moments où on a l’impression que le son vient véritablement du mur ! Parce que vous ne voyez pas les haut-parleurs, vous ne savez pas d’où ça vient !
Les textes d’In nomine lucis, en latin, issus de l’Ecclésiaste, de Virgile et de locutions funéraires de la Rome antique à forte couleur instrumentale, ont été chantés par le chœur de chambre Accentus, dirigé par Richard Wilberforce et enregistré à la Philharmonie de Paris.
Pascal Dusapin a emprunté pour sa pièce, le titre de l’œuvre pour orgue d’un compositeur italien, Giancinto Scelsi, disparu en 1988 et dont il est un grand admirateur, en s’assurant qu’il n’y avait pas de parabole biblique, incompatible avec le monument républicain :
In nomine lucis, Au nom de la lumière, pour honorer la mémoire des 1,5 million de personnes mortes pendant la Grande Guerre et pour dire que nous sommes là au nom de leur lumière, de la lumière qu’elles nous ont donnée.

Et pour créer "un rapport d'intimité" fort avec elles, Pascal Dusapin avait pensé dans un premier temps à enregistrer les noms de toutes les victimes en France : 1,5 million de personnes dont 300 000 d'anciennes colonies africaines. Mais il aurait fallu "au moins un an" pour y parvenir, "avec des centaines d'acteurs" pour les prononcer.
Pour que le projet soit réalisable, le ministère des Armées, à sa demande, lui a communiqué les noms de 20 000 personnes, en respectant les proportions respectives de soldats français, de combattants étrangers et de femmes.
Pascal Dusapin et son équipe en ont retenu 15 000, 15 000 noms lus par deux comédiens, Florence Darel et Xavier Gallais.
Entre les séquences vocales diffusées quatre fois par heure, plusieurs de ces noms enregistrés seront désormais aussi énoncés tout au long de la journée, dans les huit espaces propres aux transepts du Panthéon et ils seront entendus très distinctement à proximité des "vitrines" d'Anselm Kiefer : 15 000 noms d'hommes et de femmes, représentatifs de l'ensemble des morts de la Grande Guerre.
Entièrement pris en charge par le ministère de la Culture, le coût de réalisation des œuvres s’élève à 1 million d’euros (servant à payer tous les dispositifs, salariés, techniciens, chanteurs...). Les artistes ont fait don de leurs oeuvres.