Avignon, premier choc répétitif signé Philip Glass

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Avignon, premier choc répétitif signé Philip Glass

Par
Helga Davis et Kate Moran en répétition d'Einstein on the beach, septembre 2012, New York
Helga Davis et Kate Moran en répétition d'Einstein on the beach, septembre 2012, New York
© Sipa - Stephanie Berger

1976. Philip Glass, maître de la musique répétitive, fête ses 80 ans ce 31 janvier 2017. L'occasion de se souvenir en archives de l'une de ses œuvres les plus emblématiques, Einstein on the beach. En 1976, les équipes de France Culture étaient au festival d'Avignon dans les coulisses de l'opéra mythique.

25 juillet 1976, c'est la première représentation d’Einstein on the beach au Festival d’Avignon, dans la mise en scène de Robert Wilson avec la musique de Philip Glass et la chorégraphie d'Andy De Groat.

Dès sa création, le spectacle déconcerte autant qu’il fascine, et les équipes de France Culture ont suivi de près la réception du spectacle, dans les jours suivants la première représentation. Claude Hudelot, Catherine Clément et Jeanine Cholet, micros ouverts après la représentation ont “élu domicile dans la coulisse et les cintres”. Dans cette balade radiophonique au gré des rencontres, les voix s’entremêlent sans que l’on sache nécessairement qui parle. Les techniciens du spectacle dans les coulisses donnent leurs impressions sur le spectacle, tout comme les spectateurs à la sortie. On y entend également des membres de l'équipe artistique : Philip Glass, la danseuse Lucinda Childs, ou encore le jeune acteur interprétant l'un de deux juges.

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L'envers d'Einstein on the beach (Nuits magnétiques du 23.03.1979)

39 min

Durée : 39'11 • Archive INA - Radio France

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Le spectateur déconcerté

Pendant cinq heures, les tableaux se succèdent et l'oeuvre surprend, tant par sa forme musicale que par sa forme scénique, dès le commencement du spectacle. Les comédiens sont déjà en scène lorsque les spectateurs entrent dans la salle, un début in medias res qui a créé la surprise en 1976. Récit depuis les coulisses alors que l'on entend la musique de début de l'opéra :

“C’est drôle, c’est le tout début, c’est l’entrée du public. On entend des gens dans la salles, des “chut”, “pas de bruit”. Alors qu’en définitif, ça n'a pas commencé. Mais le public n’est pas du tout habitué à ce genre d’entrée dans une salle avec le spectacle qui est pratiquement commencé. C’était très marrant d’ailleurs au tout début de la pièce à la première, il y a la foule qui est arrivée comme une brute, qui a presque enfoncé les portes en disant : “c’est commencé, c’est commencé ! Comment ça se fait ?” Et ils sont tous rentrés et ils sont tous allés s’asseoir de façon très anarchique.”

L'opéra s'extrait volontiers de la narration. Le texte de Christopher Knowles est ici considéré comme un matériau, au même titre que la musique et la danse, mais ne constitue pas un fil narratif structurant. Einstein est épisodiquement sur le plateau, joue du violon, aux côtés du chœur et des danseurs. Tout au long des quatre actes et des cinq scènes de transition, nommées Knee play, les personnages évoluent dans les trois univers qui habitent le spectacle - le train, le procès et le bâtiment - chaque thème étant associé à un thème musical.

Répétitions-variations

Einstein on the beach est une expérience du temps, et ce, à plusieurs niveaux. Tandis qu'un technicien raconte les changements de décor extrêmement rapides d'un univers à l'autre, un machiniste pointe l'attention constante qui est nécessaire dans ce spectacle de cinq heures sans entractes. Une expérience qui se vit sur le plateau autant que dans le public. Lors de la création, les entrées et sorties du public étaient libres. Un spectateur, sorti plus tôt, fit part de son ennui devant le spectacle : “Du point de vue musical, j’aime beaucoup la musique, mais c’est toujours la même chose.” Un autre, au contraire, évoque la sensation d'éternité devant le spectacle :

“Je l’ai pris comme un fleuve continu. J’avais l’impression que ça aurait pu commencer douze heures avant, que ça aurait pu continuer douze heures après. Ça donnait peut-être une notion d’éternité, comme si le spectacle n’avait jamais commencé - difficile à admettre - ou que ça ne finirait pas, qu’on le prenait en marche, et que ça partait, ça continuait.”

Qu'il s'agisse de la musique ou de la danse, c'est une répétition-variation constante qui est à l'oeuvre durant les cinq heures : les micro-variations, par décalages successifs, permettent la progression de la musique et de la danse. Dans cette archive, qui inclut un extrait de conférence de 1976, Philip Glass revient sur ce principe quasi arithmétique qui est à la base de cette écriture musicale, lui qui, rappelons-le, débuta des études de mathématiques avant de se consacrer à la musique.

Ici, l'expérience spatio-temporelle de la pièce est aussi comparée à la pensée leibnizienne de l'espace et du temps :

“Le temps comme succession des possibles, l’espace comme co-existence des possibles. Et il y a tout le temps dans le spectacle des surprises de ce côté-là. Il y a des possibles qui se mettent à exister alors qu’on ne s’y attend pas, et il y a des possibles qui s’enchaînent alors que l’on ne s’y attend pas. C’est d’abord cela qui m’a frappé, quelque chose d’extraordinairement conceptuel, je n’avais jamais vu ça. Je n’avais jamais vu quelque chose d’aussi philosophique, au sens démonstratif. Alors démonstratif, ça ne veut pas dire que ça cherche à démontrer quelque chose, ça veut dire que ça met en scène des processus logiques.

Einstein on the beach : mystère et postérité

Musique répétitive, mouvement minimaliste, gestuelle proche du mime, la dramaturgie opère aussi par le mystère dans cet opéra :

"Je crois qu’il y a beaucoup de choses dans cette pièce qu’il ne faut pas trop expliquer."

En 2014, à l'occasion de la reprise au Théâtre du Châtelet, Philip Glass évoquait, au micro de Caroline Broué dans la Grande Table, la genèse de cette oeuvre et son éternelle nouveauté. L'oeuvre surprenait en 1976, elle surprend toujours aujourd'hui :

“A chaque fois que l'on fait une reprise, ça semble être une grande surprise pour le public. Et la raison est celle-ci : Einstein on the beach n’a jamais été imité par qui que ce soit. Il y a des gens qui disent qu’on a influencé l’opéra, mais ce n’est pas vrai, personne n’a rien écrit de comparable. C’est devenu un opéra sui generis. (...) Six, dix ans plus tard, les gens découvrent Einstein on the beach, et ils ont l'impression que ça a été écrit il y a un an. Il n’y a pas eu d’imitations d’Einstein on the beach, donc ça semble toujours original, parce que l'originalité a été maintenue.”