L'origine des mondes culturels | Construite il y a près de 5 000 ans, la cité antique libanaise aux prestigieux édifices revit depuis la création de son festival musical international en 1956. Voyage historique à la rencontre d'un haut-lieu du patrimoine culturel mondial, l'ancienne Héliopolis, ville du soleil.
Il se tient chaque année (ou presque) les mois de juillet et d’août. Le FIB ( Festival International de Baalbek) est un rendez-vous musical incontournable au Liban et dans la région. Pour ses artistes, certes, mais également pour le cadre dans lequel il se déroule depuis 1956. Avec ses trois temples, Baalbek témoigne d’une histoire de l’Antiquité qui a survécu à de nombreux siècles... et à de nombreuses épreuves.
Bâtie par les Phéniciens, Baalbek deviendra Héliopolis avant de briller grâce aux Romains
Il y a Palmyre et il y a Baalbek. Deux sanctuaires du monde antique au Proche-Orient. Le premier, situé en Syrie et considéré comme l'un des plus anciens foyers culturels, est depuis plusieurs années victime des violents conflits qui perdurent sur le territoire syrien. L’Arc de triomphe, les temples de Bêl et Baalshamin et d’autres édifices ont été en grande partie détruits durant les affrontements contre le groupe État islamique. À tel point que Palmyre ne représente plus aujourd’hui la mémoire et le prestige d’un peuple mais son long et douloureux effondrement.
Baalbek, elle, ne connaît pas ce triste sort. Mais elle y a sans doute échappé plus d’une fois. Cette ville libanaise, située au nord-est de Beyrouth, à quelques kilomètres de la frontière syrienne, est elle aussi un joyau du monde antique. Suite à la découverte de traces d’habitations humaines datant de trois millénaires avant Jésus-Christ, il est établi qu’elle fut bâtie par les Phéniciens, il y a 5 000 ans. Ce peuple marin occupait la bande côtière de la Méditerranée sur un territoire correspondant de nos jours au Liban, à une partie de la Syrie et à Israël. Son nom, elle le doit à Baal, la divinité sémitique du soleil qui apporte la fertilité. Malgré son emplacement stratégique, les caravaniers s’y arrêtant fréquemment pour faire escale, la cité n'est pas mentionnée dans les écrits assyriens ou égyptiens de l’époque.
Après avoir été conquise au IVe siècle avant J.-C. par Alexandre le Grand, Baalbek gagne son nom d'Héliopolis par les Grecs : Hélios, pour le soleil, et polis pour la ville. Le lieu tombera ensuite sous l'emprise de plusieurs dynasties. Au dernier siècle avant J.-C. , sous l'empereur Ptolémée, les Romains annexent la région de la Bekaa, prennent la cité et en font une colonie. Soucieux d'afficher la grandeur de leur Empire, ils entreprennent la construction de trois temples, un projet architectural d'une durée phénoménale.
Les origines du sanctuaire romain de Baalbek. Récit de l'architecte et archéologue Jean-Pierre Adam
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Autour d'une source pérenne s'installe une agglomération dont l'histoire nous échappe complètement. Cela devient précis après César, avec Auguste. La Syrie est intégrée et commence l'histoire du sanctuaire : nous sommes en - 66 avant J.-C. (...)
Et il y a une interrogation politique : pourquoi les Romains vont faire de Baalbek un sanctuaire aussi grandiose, avec le plus grand ensemble religieux qu'ils ont construit ? On n'a pas d'explications. L'Histoire est muette.
Des blocs de pierre parmi les plus gros jamais taillés
Preuve de l'ampleur du chantier, ce n'est qu'au IIIe siècle que les temples de Jupiter, de Bacchus et de Vénus sont inaugurés. Le temple de Bacchus est aujourd'hui considéré comme l’un des mieux conservés au monde et il symbolise l'étendue de l'Empire romain en Orient. La “cité du soleil” rayonne alors par ses édifices. Un travail titanesque, sauf que les Romains ne furent pas les premiers à mener de tels projets. Le site comprenait déjà trois énormes mégalithes. Pesant entre 800 et 1 200 tonnes, pour près de 20 mètres de long, ils sont classés parmi les plus gros blocs de pierre du monde jamais taillés par les hommes.
Avant la construction des temples, il y a la présomption d'un projet antérieur où la structure est complètement phénicienne. C'est très intéressant pour l’histoire de l'architecture. Il y a en effet sur le sanctuaire un énorme podium avec ce fameux trilithon, car fait de trois pierres, dont nous sommes encore incapables aujourd'hui de donner une datation précise. C'est un complexe monumental qui est presque une chimère.
Jean-Pierre Adam, architecte et archéologue
Aujourd’hui encore, les archéologues s’interrogent sur cette prouesse architecturale : il faudrait près d’une quinzaine de grues modernes pour déplacer un tel bloc de pierre ! Les dimensions de ces ouvrages étaient telles que plusieurs n'atteignirent jamais le site.
Les immenses blocs de pierre pouvaient être transportés grâce à des rondins de bois
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C'est monstrueux. Cela rejoint les poids des plus gros obélisques égyptiens. Pour soulever ces blocs, on extrayait de la carrière d'énormes blocs et au fur et à mesure qu'ils étaient taillés, pour ne pas transporter de matière excédentaire, on creusait le dessous et on y glissait des rondins. Une succession de rondins qui allait servir de système de roulement. Il "suffisait" de 500 hommes ensuite pour tirer chacun des blocs. Mais d'après les récentes découvertes d'une mission allemande, il est très clair que l'effort d'extraction et de transport de ces pierres colossales a été tel que les constructeurs ont dit : on arrête là !
Détérioration et oubli
Mais au IVe siècle, l’intérêt que porte l’empereur Constantin au christianisme entraîne l’abandon du site. Devenant d'abord des lieux de cultes pour le christianisme, les temples sont progressivement délaissés au profit d'une basilique construite au milieu des temples. Au VIIe siècle, la ville, devenue byzantine, tombe sous domination arabe. Les temples se transforment en une citadelle et une mosquée est construite au milieu du site. La ville est ensuite occupée par différents chefs musulmans au fil des siècles jusqu'à ce que les Mongols saccagent Baalbek vers 1260. La cité sera prise par l'Empire ottoman mais sombre vite dans l’oubli et n'échappe pas à une série de tremblements de terre qui effriteront petit à petit les lieux. En témoigne le temple de Jupiter et les six immenses colonnes qui lui restent.
Heureusement que les pierres du temple de Bacchus, sans doute plus raffinées, n'ont pas été utilisées pour la construction de la basilique. Si bien qu'il s'agit aujourd'hui avec la Maison Carrée, à Nîmes, de l'un des temples romains les mieux conservés. Le site est tellement formidable qu'on n'ose plus toucher à Baalbek.
Jean-Pierre Adam
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Au XIXe siècle, les missions de sauvegarde, initiées notamment par l'empereur allemand Guillaume II, se multiplient, avec plus ou moins de succès. À la fin de la Première Guerre mondiale, la ville est annexée au Grand Liban qui est placé sous mandat français. De nombreux artistes, pris d'intérêt pour la cité, se rendent par la suite à Baalbek pour y produire des spectacles en plein air. En 1943, le Liban devient indépendant.
L'un des festivals les plus célèbres du monde arabe lancé en plein âge d'or du pays
En 1956, le président libanais Camille Chamoun inaugure le Festival International de Baalbek (FIB). Objectif principal : promouvoir le tourisme et la culture au Liban. À l'occasion de cette première édition, Jean Cocteau se rend sur le site pour une représentation de La Machine infernale. L'auteur et poète français ira jusqu'à affirmer que "Baalbek est le meilleur lieu au monde pour monter de grands spectacles. [...] C'est le seul "haut lieu" - au sens vrai du terme - que je connaisse. Le théâtre retrouve son authentique signification dans les temples en ruine : il perd toute notion frivole et redevient un cérémonial religieux."
Les mystérieuses terrasses de Baalbek d’où l’on suppose que les hommes partaient vers les astres ne sont elles pas le lieu idéal pour que l’âme des poètes y prenne son vol et le large.
Jean Cocteau. Juin 1960
Avec pour scène principale le temple de Bacchus, dieu de la célébration, pouvait-il en être autrement ? Très vite, le festival acquiert une renommée et parvient à attirer des artistes du monde entier. Des milliers de personnes assistent chaque été à ce spectacle, où le temps de quelques soirées la musique accompagne avec les lumières les décors d’antan, leur redonnant vie. Dix ans après sa création, le festival fonde aussi une école d’art dramatique. Devenant au fil des années une véritable institution culturelle, l'événement n’est malheureusement pas épargné par la guerre civile et il s'interrompt subitement en 1975.
Après la guerre civile, le festival se produit de nouveau à Baalbek
En 1984, le site de Baalbek est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Une inscription qui redonne avec le festival un second souffle à ce sanctuaire à la recherche d’initiatives de restauration et de sauvegarde. Le festival reprend en 1997, après plus d’une vingtaine d'années de conflits. Le registre musical qui s’y produit est considérable : musique classique, pop, rock, électro… Au fil des années, c'est un panel d'artistes reconnus qui a foulé le sol de la cité antique. Le danseur et chorégraphe Maurice Béjart, la chanteuse Nina Simone, le trompettiste Miles Davis ou le groupe Deep Purple. Même Johnny Hallyday y a joué en 2003, sous les airs de que " Que je t'aime", rien que ça... De nombreuses stars internationales côtoient avec des artistes libanais ces pierres millénaires, où les sons résonnent, percent et célèbrent ce pont culturel entre l'Orient et l'Occident.
Le brassage de populations apporte une grande richesse culturelle et intellectuelle au Liban
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Ce qui existe aujourd'hui avec le festival est peut-être une continuité de ce brassage de populations au Liban, chacune ayant apporté une grande richesse culturelle et intellectuelle.
Jean-Pierre Adam
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Mais depuis la guerre civile, un mouvement politique et religieux a émergé : le Hezbollah. Si le groupe islamiste chiite est considéré comme terroriste par plusieurs pays, il est un véritable parti politique au Liban. En témoigne le maire de Baalbek qui n'est autre qu'un général de l'organisation. Et si le parti autorise la tenue du festival, il n’en demeure pas moins opposé à l’immixtion de la culture occidentale au Liban.
En 2011, le Liban assiste au déchirement de son pays voisin. La guerre civile syrienne fait et l'instabilité qu'elle génère profite au groupe État islamique, alors en pleine expansion. Baalbek étant situé à quelques kilomètres de la frontière syrienne, le festival n’a pu se tenir en 2013 et 2014 et dut être délocalisé à Beyrouth. Il retrouvera le site aux temple millénaires en 2015 et ce bien que la guerre soit toujours d'actualité, avec des centaines de milliers de réfugiés syriens dans le pays. Pour ne pas connaître le funeste sort de Palmyre, Baalbek et son festival doivent entrer en résistance... culturelle.