
L’ANTISÈCHE . Celui que l’on nomme l’alchimiste de la couture, ou encore l’architecte de la mode, a fondé la maison de haute couture Balenciaga il y a pile 100 ans. A l'occasion de l'exposition que lui consacre le Musée Bourdelle, analyse de trois traits de caractère de l'avant-gardiste Cristóbal Balenciaga.
Le travail de Cristóbal Balenciaga, référence absolue de la haute couture, est présenté dans le cadre d'une « Saison espagnole » hors les murs, par le Palais Galliera au Musée Bourdelle à Paris. « Balenciaga, l'œuvre au noir » propose un parcours en trois étapes (silhouette et volumes, noirs et lumières, noirs et couleurs) qui amènent le visiteur à arpenter tous les recoins du Musée Bourdelle. Partout, les étoffes, les robes et autres bijoux les plus iconiques de Balenciaga côtoient et s’unissent aux sculptures d’Antoine Bourdelle. Si la magie opère si bien c’est parce que les créations du grand couturier espagnol apparaissent elles-mêmes comme des sculptures. Celui qui a découvert la couture à l’âge de cinq ans est à l’origine de la restructuration des contours du vêtement. Son travail représente une révolution pour les lignes du corps et dans la mode du milieu du XXe siècle. En trois tendances, l'univers d'un créateur intemporel.
Le poids de l'Histoire

Balenciaga puise son inspiration dans l'Espagne folklorique et traditionnelle de son enfance, ce pays tant aimé où il retournera vivre après son départ de Paris en 1968 et où il mourra en 1972. L’Histoire de son pays d’origine est sans nul doute une composante majeure voire même un matériau de son œuvre. Elle prend racine dans les broderies, la dentelle ultra-travaillée mais jamais pittoresque, et les boléros.
Créée en 1917 à San Sebastian, sa marque éponyme connait plusieurs décennies d’influence. La carrière du couturier a été marquée par deux événements historiques entraînant des ruptures. Après vingt ans d’existence espagnole, la maison s’installe à Paris à cause de la Guerre civile de 1936. Installée avenue George-V à Paris, sa première collection parisienne est un succès. Balenciaga devient une maison française. Mais c’est le départ du monde de la mode de celui qui habilla Grace Kelly et l’aristocratie espagnole qui apparaît comme l’épisode le plus symbolique. En effet, au lendemain de mai 1968, Cristóbal Balenciaga décide de se retirer, après avoir réalisé que le luxe, l'élégance et la couture n'avaient plus leur place dans ce qu’il nomme un nouveau monde.
Des formes structurées mêlées à des tissus uniques

Les pièces de Balenciaga sont sculpturales. Le choix du Musée Bourdelle permet une mise en lumière du binôme couture et sculpture qui relèvent toutes deux d’une approche commune. « Les œuvres de Bourdelle et de Balenciaga communiquent entre elles dans l’enceinte du musée », précise Gaspard de Massé. Balenciaga déconstruit les lignes du corps et propose des coupes franches et épurées. Sa vision architecturale du vêtement implique un usage très sélectif des tissus : il privilégie les cloqués, le velours… Le couturier va même jusqu’à créer de nouveaux tissus. En 1958, il demande à Gustave Zumsteg, qui travaille au sein d’une société de textile suisse, de créer le gazar. A la fois aérien et impétueux, tout en volumes imprévisibles, le gazar est une étoffe réservée à la haute couture. L’alchimiste de la coupe et de la silhouette joue avec les volumes grâce aux tissus difficiles à dompter. Fervent minimaliste, Balenciaga modifie un patron en un seul coup de ciseaux et préfère réaliser ses modèles avec le moins de coutures possibles. Devant les créations de l'inventeur des lignes tonneau et de la robe-sac, l’expression « architecte de la mode » prend tout son sens.
"A une époque où, dans la mode, tout est fait pour souligner et mettre en valeur les courbes du corps, on trouve régulièrement dans l’œuvre de Balenciaga des silhouettes noires aux contours incertains, tels des mirages."

Le noir, la non-couleur inépuisable

Chez Balenciaga, le noir reste une constante et participe du savoir-faire sculptural. L’existence d’un unique mot pour désigner le noir en langue française semble grotesque face à l’innombrable palette de noirs que le créateur déroule. Balenciaga arrive à décliner infiniment cette non-couleur grâce à la matière, à la lumière et aux jeux de transparence. Chez lui, le noir évolue constamment : il apparaît comme opaque, transparent, mat, brillant. On le retrouve également dans les broderies qui ne rompent jamais à la pureté et la simplicité du trait du couturier. Avec le noir, le créateur cultive « les infinies possibilités et métamorphoses. » Mais si la non-couleur représente pour lui une palette de possibilités infinies, les couleurs telles que le rose et le blanc ne sont pas en reste dans ses créations et l’exposition leur consacre deux salles. Les couleurs émergent du vêtement comme des interludes colorés qui viennent rompre avec le noir. Mais les couleurs n’interviennent que par de petites touches et sont presque systématiquement incrustées au vêtement (perle, nœud, bandes roses cousues). Avec Balenciaga, le noir s’est transformé en une matière.

Les soixante-dix pièces et documents rassemblés pour l’occasion sont issue des archives de la Maison Balenciaga et du fonds Galliera. Le tout témoigne de l'importance des archives dans la maison actuelle comme l'explique Gaspard de Massé : "Après le départ de Balenciaga en 1968, des pièces étaient stockées dans le sous-sol de l’avenue George-V. Marie-Andrée Jouve a œuvré pour préserver ce fonds et, pendant des années, elle a conduit des recherches pour préserver ce patrimoine. A partir de 2001, une équipe a été mise en place au sein de la maison pour constituer un service d’archives." Le noir et les coupes magistrales des années Balenciaga n'ont jamais quitté l'ADN de la maison depuis sa reprise en 1997 par l'illustre directeur artistique Nicolas Ghesquière jusqu'à aujourd'hui avec Demna Gvasalia.
- « Balenciaga, l'œuvre au noir » à voir au Musée Bourdelle du 8 mars au 16 juillet 2017.