Barrage éthiopien sur le Nil : la discorde entre le Soudan, l'Égypte et l'Éthiopie perdure

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Barrage éthiopien sur le Nil : la discorde entre le Soudan, l'Égypte et l'Éthiopie perdure

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vue aérienne du Grand barrage de la Renaissance éthiopienne sur le Nil Bleu à Guba, au nord-ouest de l'Éthiopie. Le 20 juillet 2020
vue aérienne du Grand barrage de la Renaissance éthiopienne sur le Nil Bleu à Guba, au nord-ouest de l'Éthiopie. Le 20 juillet 2020
© AFP - Adwa pictures

La Face cachée du globe. Le méga barrage hydroélectrique que construit l'Éthiopie suscite la colère du Soudan et de l'Égypte et les négociations destinées à trouver un consensus sur le rythme de remplissage de ce barrage sont au point mort.

D'une hauteur de 145 mètres et d'une capacité de 74 milliards de mètres cubes d'eau, le grand barrage de la renaissance GERD que construit l'Éthiopie est appelé à devenir le plus grand barrage hydroélectrique en Afrique. Addis-Abeba estime ce projet légitime et indispensable à son développement économique. Les deux pays, en aval, font entendre leurs désaccords. Le Soudan et l'Égypte mettent en avant la crainte que ce barrage ne restreigne leurs ressources hydriques (l'Égypte dépend à plus de 90% du Nil pour ses besoins en eau). Khartoum et Le Caire évoquent également leurs droits historiques alors qu'Addis-Abeba prône une égalité des droits pour tous les pays du bassin du Nil. Les négociations entre les trois capitales n'avancent pas, mais les questions techniques liées au remplissage du barrage, ne masquent-elles pas des motivations géopolitiques plus importantes ?

Entretien avec David Blanchon, agrégé de géographie, professeur à l'université de Nanterre, actuellement en délégation CNRS auprès de l'IRL Iglobes, de Tucson, Arizona. Auteur de Géopolitique de l'eau : entre conflits et coopérations, aux éditions Le Cavalier bleu.

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David Blanchon : "il y a un contexte géopolitique qui va bien au delà des questions techniques de remplissage du barrage"

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Où en sont les discussions aujourd'hui ?

Il y a deux questions en fait. Il y a une question technique, les Égyptiens veulent un rythme de remplissage lent de vingt-et-un ans, les Éthiopiens veulent un rythme plus rapide avec un remplissage du barrage en sept ans, et là les Éthiopiens agissent de façon unilatérale en commençant le remplissage sans même avoir d'accord, ce qui crée évidemment des problèmes. Mais derrière cette question technique qui serait assez facile à résoudre, je pense qu'il y a vraiment une opposition de fond dans le bassin entre l'Égypte en aval qui dépend du Nil à 98% et l'Éthiopie, en amont, qui s'affirme comme une puissance émergente au niveau continentale. Il existe donc deux niveaux de discorde : un technique et un autre géopolitique surtout.

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Si l'on prend d'abord l'aspect technique, dans quelle mesure le barrage éthiopien de la renaissance pourra-t-il modifier le débit du fleuve comme semble le craindre le Soudan et l'Egypte ?

Le but du barrage hydroélectrique est de produire de l’électricité donc de laisser passer l'eau. A terme, lorsqu'il sera rempli, a priori, sa modification sur le débit des eaux en Égypte sera relativement faible, surtout qu'il existe déjà un barrage au Soudan et qu'il existe en Égypte le barrage d'Assouan depuis 1970 qui régule largement le fleuve. Le problème est le rythme de remplissage entre sept et vingt-et-un ans, mais là encore, c'est surtout un prétexte de renversement de l'hégémonie dans le bassin du Nil. L'Égypte était une puissance que l'on appelait une puissance hydrohégémonique qui  affirmait sa domination sur le bassin du Nil et qui  faisait référence à des traités de 1929 et de 1959, en disant qu'elle avait des droits sur le Nil alors que l'Éthiopie mène une politique de contre hégémonie et dit, en fait, que tous les États du bassin sont égaux et qu'elle a le droit de maîtriser les eaux dans son territoire avec ce grand barrage. 

Pour l'Éthiopie, il s'agit de s'affirmer comme la grande puissance hydroélectrique, énergétique, de cette partie du continent, c'est-à-dire à la fois pour le Soudan, pour le Kenya, pour l'Ouganda et avec cette production hydroélectrique s'affirmer comme une puissance industrielle émergente avec l'appui de la Chine. Il existe donc un contexte géopolitique qui va bien au-delà des questions techniques de remplissage du barrage.

"L'Ethiopie a un réseau d'alliances suffisant pour éviter tout conflit"

La question du Nil, telle qu'elle se pose aujourd'hui, peut-elle aboutir à un conflit direct ou indirect ?

C'est très improbable, parce que l'Égypte n'aurait absolument aucun soutien si elle se lançait dans un conflit armé avec l'Éthiopie. L'Éthiopie a pour sa part mené un réseau d'alliances à la fois locales et avec la Chine également et même dans l'édification de ce barrage à laquelle participe une entreprise italienne et Alstom qui fournit les turbines. Il y a donc un réseau d'alliances suffisant pour éviter tout conflit. 

Maintenant, l'Égypte a un autre problème assez grave lié à la question de l'eau mais aussi à la question agricole et foncière et là on pourrait presque dire que cet affrontement verbal avec l'Éthiopie est là pour masquer ces problèmes extrêmement importants.

Quelle a été le rôle de l'Union africaine dans ces négociations ?

Il est relativement marginal. En revanche, ce qui est important c'est qu'il existe une Initiative du Bassin du Nil (IBN) qui rassemble tous les pays riverains de ce fleuve et dans ce cadre on peut effectivement avoir des jeux extrêmement complexes. Par exemple, l'Égypte a mené une politique favorable à la République Démocratique du Congo, à la Tanzanie et  tente de retourner ces états qui sont membres de l'Initiative du Bassin du Nil pour essayer de recréer une alliance qui lui soit favorable. C'est donc un peu dans ce cadre que se forme l'essentiel de la pression géopolitique davantage qu' à l'intérieur de l'Union africaine.

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L'Égypte fait-elle toujours valoir les accords historiques de 1929 et 1959 sur le Nil ?

L’Égypte s'appuie très largement sur ces traités qui lui donnent des droits à une prééminence dans le bassin du Nil. L'accord de 1959 donne 75% de l'eau du Nil à l'Égypte et 25% au Soudan et les autres pays ne peuvent rien faire dans le fleuve sans l'accord du Caire. Mais cet accord a été signé pendant la période coloniale : le Kenya et les autres pays du Haut bassin du Nil blanc étaient encore sous domination britannique. Donc ils rejettent cet accord et veulent le remplacer par un nouvel accord dans le cadre de l’Initiative du Bassin du Nil où il n'y aurait effectivement plus de droits historiques de l'Égypte et dans lequel tous les États seraient traités sur le même plan. L'Ethiopie pousse cet accord signé par les États d'amont mais pas par l'Egypte et le Soudan.

Les négociations entre le Caire, Addis-Abeba et Khartoum ont été suspendues à plusieurs reprises cette année, notamment depuis l'annonce d'une première phase de remplissage du barrage éthiopien. Qu'en est-il exactement ?

L'Ethiopie a profité d'une année de pluies abondantes et de crues du Nil Bleu pour cette première phase de remplissage du barrage, soit cinq kilomètres cubes, mais il en faut 74 donc ce n'est même pas un dixième de sa capacité. Pour le moment, cela ne rentre pas dans l'accord. La critique des États-Unis pour justifier le gel il y a deux semaines d'une partie de leur aide bilatérale à l'Éthiopie était d'ailleurs de dire "vous n'avez pas le droit de le faire avant qu'il y ait un accord signé".

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