Berthe Morisot, l'indépendante

Autoportrait de Berthe Morisot
Autoportrait de Berthe Morisot

Berthe Morisot, l’indépendante

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Berthe Morisot, l'indépendante

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C'est la première fois qu'Orsay célèbre cette femme peintre qui a fondé l'impressionnisme. Voici le portrait de l'indépendante, de la radicale, de l'ardente Berthe Morisot.

Issue de la bourgeoisie conventionnelle, son certificat de décès la décrète “sans profession”, malgré plus de 400 toiles à son actif. Elle est aujourd’hui reconnue comme une figure incontournable de l’impressionnisme, qu'elle fonde en 1874 avec ses amis Monet, Renoir, Degas ou Pissarro. Loin du statut de simple muse pour Manet, qui pourtant en fera plus de 14 fois le portrait, loin d'être sous la coupe de son mari ou de ses pairs, c'est l'une des intellectuelles les plus radicales de son temps. Dès 1877, le critique d'art Paul Mantz affirme à son propos qu'"il n'y a dans ce groupe révolutionnaire qu'un impressionniste : c'est mademoiselle Berthe Morisot." Voici son portrait.

La décision d'une existence publique de peintre

Pour Sylvie Patry, conservatrice au musée d’Orsay, et commissaire de la première exposition qui lui est consacrée à Orsay, "tout dans sa peinture témoigne d’une volonté d’indépendance, de liberté par rapport aux règles et aux usages établis."

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Comme dans toute bonne famille bourgeoise du XIXe siècle, la mère de Berthe fait donner à ses 3 filles des leçons d’aquarelle, en l'occurrence en vue d'un cadeau pour leur père. Contrairement à sa sœur Edma qui abandonnera la peinture une fois mariée, Berthe en fait une obsession, une vocation, un métier. Contre les usages de son milieu, elle décide de mener une existence publique de peintre. 

De son maître Camille Corot, elle retiendra sa palette claire et une peinture libre du paysage, travaillée en de plein air. Elle fréquente assidûment le Louvre pour copier les maîtres - Titien, Véronèse... 

Manet, les deux hommes de sa vie

C’est là que le peintre Fantin-Latour lui présente un des hommes de sa vie : Edouard Manet. Ils nouent une relation complexe faite de fascination réciproque, de jeux d’influences esthétiques, d'amour ambigu, qui suscitera fantasmes et interrogations chez leurs biographes respectifs. 

Aucune autre femme n’aura été autant peinte par Edouard que Berthe. De ses 14 portraits d’elle transparaît une sombre ardeur. Elle se fâche quand on la présente comme son élève. Elle s’indigne quand il retouche une de ses toiles. Elle finira par contaminer sa peinture. 

Pour le critique d'art Jean-Dominique Rey, dans l'émission Les Mardis de l'expo en 2011 : “Les dernières toiles de Manet sont éclairées en quelque sorte par Berthe”. 

Mais c’est le frère d'Edouard qu’elle épouse : Eugène Manet. Elle choisit, à plus de 30 ans, de son plein gré, d’épouser un homme qui l’aime en tant que peintre. Il la soutient dans sa carrière, sans exiger ni conformisme social ni d’enfant, et ne proteste pas quand elle signe ses toiles de son nom de jeune fille. 

Berthe est alors l’une des artistes les plus novatrices et audacieuses de son temps. Avec Monet, Degas, Renoir, Sisley**,** Pissarro, appelés “les indépendants”, parfois refusés par le Salon officiel, et refusant catégoriquement l’art académique, elle fonde l’impressionnisme. 

Elle a 33 ans quand elle participe à la première exposition impressionniste chez Nadar, malgré le déconseil de Manet. Sur 29 peintres, Berthe Morisot est le seul nom de femme. L’opinion publique est outrée. Elle maintiendra le cap d'une carrière professionnelle hors des circuits officiels, en marge, en toute indépendance, toujours.

“Je ne crois pas qu’il y ait jamais eu un homme traitant une femme d’égale à égal, et c’est tout ce que j’aurais demandé. Car je sais que je les vaux.” Berthe Morisot, 1890

Une intellectuelle radicale

Baudelaire l’inspire, Zola la défend, Mallarmé sera un ami précieux, et le tuteur de sa fille. Elle est une intellectuelle incontournable de l’avant-garde parisienne, se nourrissant d’expérimentations esthétiques. 

Si elle n’innove pas par les sujets traités : intimes, familiaux, bucoliques, elle s’affranchit radicalement des règles et des techniques. Elle peint la vie moderne, veut capter le fugitif, voler un moment à la vie et en tire les conséquences picturales. 

Sylvie Patry, conservatrice, musée d’Orsay :  "C’est l’une des artistes de l’impressionnisme qui à mon sens va jusqu’au bout, expérimente de façon très radicale les limites du fini et du non fini, de ce caractère esquissé, de cette volonté de donner une impression d’instantanéité, qui est au cœur de l’impressionnisme. Ça se traduit par une touche très libre, très gestuelle. On voit vraiment le pinceau de l’artiste à l’œuvre. Donc on a des touches très distinctes. Berthe Morisot n’hésite pas à laisser des morceaux de la toile visibles, non-finis."

Pour le public du XIXe siècle, elle peint de ces œuvres qu’on ne montre pas, des esquisses indignes. Elle a l’audace de montrer le geste de l’artiste dans la toile. Elle affirme avec culot sa présence dans le tableau, elle impose sa présence, sa subjectivité de peintre et de femme. 

Pourtant à sa mort de maladie, à 54 ans, malgré plus de 400 peintures produites, et une carrière professionnelle de peintre, sur son certificat de décès, elle est décrite comme “sans profession”. 

Deux ans plus tard, l’école des Beaux-Arts s’ouvrira aux élèves femmes. 100 ans plus tard, les États-Unis et la France organisent les premières rétrospectives consacrées à Berthe Morisot. Il était temps.

À voir
Berthe Morisot
Exposition Musée d’Orsay, Paris
Jusqu’au 22 septembre 2019