Blockhaus du “mur de l’Atlantique” : une histoire camouflée... et française
Par Chloé Leprince
Vous aussi, vous entendez dire de longue date que les bunkers des côtes françaises ont été construits par les Allemands, ou leurs prisonniers ? En fait, le secteur du BTP a largement profité du vaste chantier que fut le "mur de l'Atlantique", de 1942 à 1944, sous l'autorité immédiate de Hitler.
Au Grand Palais éphémère, à Paris, depuis le 17 décembre 2021 et jusqu’au 11 janvier 2022, les visiteurs ont pu découvrir un bunker hérissé de pavots arides. D’un point de vue lexical depuis le passage (tardif) du mot des langues anglo-saxonnes jusqu’au français, un bunker se dit aussi d’une soute. Parce qu’il fut plus souvent d’abord un banc-coffre ou une cachette au fond de la cale d’un navire avant de devenir une casemate fortifiée durant la Grande guerre, avec le bunker la mise à l’abri tient aussi d’un escamotage. Comme si on enterrait quelque chose pour le subtiliser à la vue - et peut-être à la connaissance. Le bunker exhibé par l’artiste Anselm Kiefer à deux pas de la Tour Eiffel apparaît au contraire en vitrine, et le voici transfiguré sous les tiges de pavot, comme piqué d’aiguilles à la manière d’une poupée vaudou. Fissuré mais stoïque, déjà mutant, ce bloc de béton que les Français appellent plus souvent blockhaus s’intitule Mohn und Gedänknis. Du nom d’un poème de Paul Celan à qui Kiefer rend hommage tout au long de cette exposition. Les mots de Celan irriguent son propre travail depuis déjà trente ans et ce titre, qui signifie en français Pavots et mémoire, charrie en réalité plusieurs pièces de l’artiste.
Kiefer est familier des bunkers qui font partie de son vocabulaire plastique : en 2007, au Grand Palais, il avait déjà présenté sept cubes de béton. L’artiste allemand qui se définit aussi comme Français et qui vit et travaille de ce côté-ci du Rhin depuis désormais trente ans, initiait alors, le premier, la série des expositions Monumenta. Déjà, il y a quinze ans, ces maisons-bunker matérialisaient la présence obsédante de la guerre et de la Shoah. Mais aussi la manière dont tout son travail est innervé par une réflexion profonde et continue sur l’histoire et la mémoire.
Avec cette nouvelle série monumentale de 19 tableaux de plus de huit mètres de haut et quelques pièces magistrales comme un avion véritable ou ce blockhaus criblé d’herbes sèches, Kiefer dit qu’il n’en a pas fini de rendre visible les traces du passé… alors que plus de cinquante ans se sont écoulés depuis ce geste artistique sidérant par lequel il avait marqué les esprits. C’était en 1969, et à l’époque, Kiefer qui avait 24 ans avait posé dans le costume de la Wehrmacht de son père, tandis qu’il faisait le salut nazi. Ce passé qui ne passe pas, Kiefer continue de le matérialiser, le répercuter, le carotter pour l’exprimer, plutôt qu'il ne le rapièce ou l'époussette. La présence massive et désaxée des blockhaus sert à cela, à présent que toute son œuvre semble avoir comme ingéré, puis métabolisé le silence et la difficulté à dire la catastrophe, pour finalement permettre que quelque chose surgisse ensuite de la noirceur. Avec souvent la foudroyance d’une lumière crue - même quand c’est sombre.
La poésie comme des pigments
C’est ce même quelque chose, noir et jamais opaque, étincelant et pourtant ravagé, qui s’encapsule dans les mots de Paul Celan. Kiefer, qui connaît sa poésie par cœur, a cette fois gravé ses mots à lui à la craie : ils courent dans l'épaisseur de sa peinture. D’origine roumaine et juive et rescapé des camps d’où les siens ne reviendront pas, Celan, jusqu’à son suicide en 1970, exprimera tout l’abîme qu’il y eut à continuer la poésie en langue allemande. C’était la langue de sa famille, germanophone en Bucovine, celle de la poésie à quoi l’avait initié sa mère, et c’était aussi la langue de ceux qui venaient d’assassiner ses parents. Anselm Kiefer n’a jamais rencontré le poète de vingt-cinq ans son aîné, lui qui est né en 1945. C’est justement l’année d’un grand poème de Celan, la Fugue de la mort, où Celan écrit que “la mort est un maître d’Allemagne”. Et c’est par ce poème-là précisément que, bien plus tard, Kiefer commencera à s’emparer de son œuvre. Pour dire, sans plus s’interrompre, que l’Allemagne avait été ce pays de la mort, mais laisser voir encore, surtout, que ça pourrait recommencer. C’est d’abord à dire cela que sert l’arsenal de traces que le plasticien mobilise et malaxe.
Déminant sans relâche le lieu commun d’une “Allemagne année zéro” (“Ca n’existe pas”) et l’idée qu’un grand nettoyage aurait été possible, il étrillait encore, invité de La Grande table sur France Culture le 16 décembre 2021, la destruction de quantité de bunkers qui avaient été construits, côté allemand, par le IIIe Reich. On appelait cela “la ligne Siegfried”, et justement, l’artiste avait grandi non loin, sur cette frontière fluviale du Rhin dont l’eau, les jours de crue, venait inonder la cave de sa maison d’enfance. Un peu de France charriée dans les limons, ou l'ennemi au sous-sol. Avec la destruction des blockhaus, c’est le passé qui refluait dans un drôle d’estran soudain vierge et inquiétant. Au micro d’Olivia Gesbert, déambulant dans son exposition, on pouvait entendre Kiefer se féliciter qu’au contraire la France ait conservé son chapelet de blockhaus du nord des côtes de la Manche jusqu’au sud de son rivage atlantique. Un rideau de 8 000 édifices de béton construits à partir de 1942 ourle en effet les côtes françaises, même si certains, en Gironde par exemple, ont fondu dans l’eau avec la montée des eaux. L’immense majorité des édifices en revanche a tenu bon, et défie toujours le temps, le sel et la météo.
Comme un galon de béton armé, ces casemates connurent des usages divers, du logement de troupes au poste d’observation en passant par des abris destinés aux armes. Mais toutes matérialiseront la décision de Hitler de créer un ouvrage défensif une fois la guerre mondialisée, fin 1941, après la rupture du pacte germano-soviétique et l’entrée en guerre des Etats-Unis dans la foulée de Pearl Harbour, en décembre cette année-là. Encore un peu plus tôt, des plans impérialistes avaient bien élaboré l’invasion de la Grande-Bretagne par l’armée du Reich depuis l’extrême Nord des côtes françaises. Mais la fin de l’année 1941 était celle d’un tournant stratégique et l’heure n’était plus tant à de nouveaux appétits boursouflés qu’à une volonté de se claquemurer derrière des parapets à flanc de roche. Ces miradors façonnés à raison de ciment, de graviers et de sable avaient la vue imprenable, mais des fenêtres étroites. Car à mesure que le conflit basculait dans une phase d’enlisement, le Führer revoyait ses plans et, c’est pour cela qu’il avait notamment eu l’idée de ce bourdon de béton destiné à couturer les positions allemandes sur le sol français dans le but de les protéger.
Hitler fut même personnellement aux avant-postes de ce qui restera comme “le mur de l’Atlantique” (en français comme en allemand, Atlantikwahl). C’est-à-dire une expression qui suinte encore la propagande... quand on sait qu’à l’exception d’Omaha Beach qui prendra la journée, la chute des côtes lors du débarquement en Normandie n’excèdera pas quatre heures sous l’offensive des forces alliées. Une directive du IIIe Reich, dite “directive 40”, qui date du 23 mars 1942, l’atteste très explicitement : ces blockhaus étaient devenus pour Hitler une priorité. Des documents d’archives le montrent ainsi, manipulant de petites maquettes de bunkers badigeonnées de gris, et Albert Speer, son ministre et architecte favori, témoignera l’avoir vu passer des nuits à modéliser lui-même les plans des abris - parfois dans les plus menus détails. C’est la trace de cette histoire-là dont Kiefer se félicite de pouvoir encore palper la matérialité, ici, en France. Parce que rien n’aurait été gommé. Parce qu’aussi ces édifices quasi-aveugles ont tenu. Sauf que la silhouette de ces milliers de blockhaus (8 000 furent finalement construits plutôt que les 15 000 envisagés à l’origine) porte en fait une mémoire en faux-ami. Qui, elle aussi, confine parfois à la cécité. Plonger dans l’histoire de ce chapelet de béton, c’est faire un sort à une berceuse floue qui flotte encore dans l’air, pour laisser affleurer au contraire un récit bien plus anguleux.

Gêne et silence
Longtemps, ces carcasses de la guerre ont jalonné les chemins des douaniers des relents d’odeur d’urine qu’ils dégageaient. Ils étaient sales pour la plupart, taggués ou envahis de ronces, vaguement sulfureux sans qu’on nous dise au juste vraiment pourquoi. Ils étaient là, ils étaient nôtres sans qu’on sache non plus vraiment pourquoi - ni pour quoi ils gênaient. Ils avaient aussi été autant de sépultures pour l’ennemi qui, depuis l’intérieur de ces murs-là exactement, avait été vaincu. Désormais, parfois, ces blockhaus font l’objet de réaménagements en lofts sophistiqués à l’esthétique brutaliste ou, beaucoup plus rarement (et à peu près seulement en Normandie), de lieux de mémoire travaillés comme tels. Or en remontant le fil de l’histoire du “mur de l’Atlantique”, on distingue soudain que l’odeur de soufre et quelques hauts le cœur ne venaient pas seulement d’un usage posthume des lieux. Bien plutôt, d’une histoire devenue muette parce qu’elle était assez gênante pour qu’on se soit souvent accommodé du silence : les blockhaus des Allemands étaient aussi une affaire française.
C’est d’abord ce décalage-là, entre d’un côté une présence massive, tellurique et visible, et, de l’autre, l’évidence cantonnée à quelques interstices de bonne volonté, qui a frappé Jérôme Prieur, dans les années 2000. Et puis, aussi, l’épaisseur de ce mur de silence qui capitonne depuis plus de soixante-dix ans ce rideau atlantique qu’on nomme toujours depuis son nom de propagande. A l’époque, le cinéaste et écrivain fut sidéré de constater qu’on avait si peu cherché à savoir l’histoire véritable de ces édifices flanqués sur nos rivages comme le nez au milieu de la figure. C’était le début d’une enquête qui reste d’une grande utilité, douze ans après la parution, en 2010, d’un livre (Le Mur de l’Atlantique, chez Denoël à l’époque) et la sortie simultanée d’un film, Le Mur de l'Atlantique, monument de la collaboration.
Les deux comblaient alors un vide historiographique. Le travail du documentariste reste considérable pour prendre la mesure de ce qui s’est vraiment joué derrière l’histoire de ces blockhaus. Des places fortes allemandes, certes, mais un ouvrage français, dont l’ampleur fut largement sous-estimée une fois venu le temps de la Libération et, surtout, de la Reconstruction. Certes, le maitre d’ouvrage était bien allemand : c’est l’Organisation Todt, cet état-major technique aux premières loges du Reich, qui a supervisé l’édification du “mur de l’Atlantique”, après avoir été déjà chargé de la ligne Siegfried. Mais cette épine dorsale de l’aventure matérielle et constructive que fut aussi le nazisme, dont l’histoire en soi est passionnante, avait beau avoir pignon sur rue sur les Champs-Elysées, elle est loin d’avoir œuvré seule. Ou avec des prestataires allemands, même s’il est vrai que des entreprises allemandes furent bien mises à contribution initialement. Mais ce ne sont pas elles qui ont pris en charge l’immense majorité des constructions entamées courant 1942. Ni tous ces chantiers annexes qui ont vu le jour pour permettre aux édifices de béton armé de voir le jour dans un temps record : ce sont non seulement des entreprises du bâtiment, mais aussi de nombreuses scieries (pour le bois de coffrage) et encore quantité de boutiques d’artisans qui ont évolué dans cette ruche en quoi consistera le chantier du mur de l’Atlantique… pour s’étirer jusqu’aux beaux jours de l’année 1944, qui furent aussi ceux du débarquement allié.

Une (belle) histoire de sucre et de farine dans le ciment
Or ces entreprises-là étaient françaises, et on a très peu regardé l’histoire de leur contribution au grand projet nazi échafaudé sur les côtes françaises. Ou plutôt, on a toujours considéré ces édifices avec des lunettes embuées par un récit qui s’est très tôt installé dans la foulée de la Libération : alors que la France de la Quatrième République avait d’énormes besoins dans le secteur du BTP pour reconstruire à tout va, on n’a pas été très regardant. Et on a laissé se dire, par exemple, que toutes les entreprises mises à contribution avaient été réquisitionnées, actrices malgré elles de l’épisode bien que celui-ci ne fut ni court, ni improvisé - et loin d’avoir été pleinement coercitif. On a aussi laissé voyager la fable d’un sabotage scrupuleux : avez-vous déjà entendu dire que les artisans qui avaient construit pour les Allemands ces abris de béton auraient mêlé la farine et le sucre au ciment ? C’est notamment ce qui a fait sursauter Jérôme Prieur, aux premières heures de son enquête : dire cela, c'est toujours braver le bon sens minimal lorsqu’on voit, 75 ans plus tard, la solidité des édifices… mais c’est aussi s’asseoir sur tout ce qu’on connaît de la période de privation que fut l’Occupation. Lorsque justement des denrées comme le sucre se vendaient à prix d’or.

En réalité, le ciment des blockhaus fut bien français. Quelque quinze mille entreprises hexagonales au moins auraient été mises à contribution, et des dizaines de milliers d’ouvriers embauchés pour construire ce mur destiné à combler le manque de troupes allemandes remplacées par des batteries de canons. Le “mur de l’Atlantique” ne fut pas seulement le théâtre d’un embrigadement forcé, même si des prisonniers de l’Est, des Républicains espagnols déménagés des camps du Sud pour être enrôlés de force, et même plusieurs dizaines de milliers Juifs ont bien été recrutés, ouvriers-esclaves d’un ouvrage auquel ils n’avaient pas consenti.
Mais une quarantaine de cimenteries en tout s’associeront aussi au chantier, et 80% du ciment français produit sur la période seront dévolus au chantier atlantique. Au même moment, des trouées étaient aussi pratiquées jusque dans les forêts landaises dans le but précis de fournir le bois de coffrage nécessaire à ces édifices multi-couches de si haute sophistication qu’ils apparaissent encore imputrescibles. Ce “mur de l’Atlantique” fut aussi, largement, et massivement, un marché. Pour ceux qui vendront leurs services, ce fut d’abord très rentable : à titre individuel, un ouvrier pouvait être payé deux à trois fois le prix pratiqué dans le secteur, et la protection sociale était meilleure. Sans compter ceux qui trouveront à se faire embaucher là pour éviter le STO en Allemagne, comme ne manqueront pas de le souligner les actualités diffusées à l’époque : dans le film de Jérôme Prieur, en 2010, Le Mur de l'Atlantique, monument de la collaboration, des archives de propagande audiovisuelle viennent rappeler qu’on présentait à l’époque le chantier des bunkers comme une sacrée aubaine : “Français, souvenez-vous : le chômage, ce cancer qui rongeait la France” n’était plus : ”aujourd’hui, il n’y a plus un seul chômeur en France”. Mieux : “Maintenant, tous ces chômeurs d’hier sont devenus des hommes, des ouvriers.” En 1941, 60 000 Français, ouvriers volontaires, étaient au service de la Todt. Fin 1942, une fois le mur entamé, ils étaient déjà 150 000 avant de grimper à 200 000 au printemps 1943. C’est chez Jérôme Prieur qu’on découvre ces proportions sidérantes : rien que dans le département des Côtes-du-Nord (aujourd’hui Côtes d’Armor), ils étaient 2 000 volontaires en 1941, et 8 000 en 1943. Le roman de la coercition s’épuise plus vite à la friction des chiffres.
Or la vitalité n’était pas réservée aux corps virils des ouvriers à qui il pourra arriver, les mois passant, d’être peu à peu cantonnés aux chantiers ici ou là, et parfois enfermés derrière des barbelés par le commanditaire nazi. Cette vitalité était aussi économique, et d’autant plus spectaculaire qu’elle tranchait avec le contexte économique désastreux qui était celui des années 1942 et 1943. Pour mieux profiter de l’appel d’air, des entreprises françaises du BTP créeront carrément des structures de droit allemand, immatriculées outre-Rhin et destinées à contracter spécifiquement avec l’Organisation Todt. La société Sainrapt et Brice par exemple ouvrira carrément un bureau d’études à Berlin dans le sillage de Siemens.
Mais en France aussi, le secteur profite largement de l’opération : Jérôme Prieur, étonné du silence obstiné, a écumé des fonds d’archives départementales et les statistiques historiennes sur la période. Et montré par exemple que dans les Côtes-du-Nord, toujours, le nombre d’entreprises du bâtiment a carrément triplé entre 1940 et 1942. Prieur, qui montre qu’à la fin de la guerre le nombre d’entreprises du secteur avait progressé de 20%, écrit encore que le chiffre de 1 500 entreprises à pied d’œuvre sur le “mur de l’Atlantique” est en fait très sous-évalué : il s’agit seulement des moyennes et grandes entreprises du secteur. Pas les très petites entreprises et autant d’artisans à leur compte qui n’apparaissent pas dans cette évaluation. C’est en prenant conscience de l’essor du secteur dans les départements côtiers qu’on mesure que tout le monde n’a pas redouté le “mur de l’Atlantique” - ni ne l’a saboté.

Cependant, à la Libération, l’intensité de la reconstruction et les besoins immenses qui allaient avec profiteront aussi à la respectabilité du secteur. De surcroît, l’immense disparité du statut des uns et des autres qui s’étaient trouvés à travailler là aux abris ennemis a encouragé aussi la confusion, et une forme d’opacité. Car tous, loin de là, n’ont pas été des alliés zélotes du Reich. Mais la collaboration économique, en particulier dans le secteur du bâtiment, a donné lieu à peu de suites après-guerre. Il suffit de voir par exemple que le dirigeant de cette entreprise Sainrapt et Brice, qui figure pourtant parmi les rares sociétés à avoir été explicitement condamnées, sera finalement réintégré dès 1950. L’alibi de la contrainte a puissamment fonctionné dans la durée, et pour cela, l’indépendance de façade d’une structure comme l’Organisation Todt a pu contribuer à édulcorer les faits. Car ce n’est jamais avec le Troisième Reich lui-même que ces entreprises volontaires avaient contracté. Enfin, la mécanique financière incroyablement perverse de la Collaboration, pareille à une économie coloniale, a encore flouté le tableau : c’est la France, au titre des frais d’occupation, qui a pris en charge les frais colossaux du mur.
A bien des égards, l'épuration pour collaboration économique, dans le secteur du bâtiment, godille entre ratés et angle mort. Dans le seul département du Calvados par exemple, parmi les premiers concernés, sur 113 entrepreneurs du BTP cités, seuls huit seront emprisonnés. Et encore faut-il avoir en tête qu'ils avaient fait la preuve de l'alliance avec l'Allemagne nazie de bien d'autres manières encore que leur seule association à la construction des blockhaus. En réalité, l'épuration judiciaire fut très limitée et les mots de Robert Lacoste, futur ministre, qui en 1944 disposait dans une circulaire que "les chefs d'entreprise les plus coupables doivent être poursuivis pénalement" resteront lettre morte pour l'essentiel dans le secteur.
Le “mur de l’Atlantique” a mobilisé au final autant de béton qu’il en est besoin pour construire l’équivalent de 65 centrales nucléaires. Et pourtant, le dispositif était d’argile : il ne résistera pas aux premières poussées du débarquement, au début du mois de juin 1944. De nombreux blockhaus, pourtant, braveront le temps. C’est leur histoire méconnue qui apparaît soudain au grand jour alors que leur silhouette de mastodontes muets demeure comme ensevelie dans le silence.