Bygmalion / France Télévisions : Rémy Pflimlin et Patrick de Carolis fragilisés
Par Abdelhak El Idrissi
Lors d'une confrontation devant le juge, l'ancien secrétaire général de la télévision publique, Camille Pascal, a pointé la responsabilité de Patrick De Carolis dans les contrats avec Bygmalion. Parallèlement, le Canard enchainé dévoile l'existence de nouveaux contrats, signés notamment sous la présidence de Rémy Pflimlin, contredisant les déclarations de ce dernier.
Selon un décompte fait à partir des toutes les révélations de la presse, le montant des contrats passés sans mise en concurrence avec les entreprises de Bastien Millot s'élève à plus de deux millions d'euros.
**> Relire : France Télévisions, l'autre affaire Bygmalion **
** Chaque jour, de nouvelles révélations redessinent les contours de la tentaculaire affaire Bygmalion** . A côté du volet "politique" de cette affaire, la justice enquête sur les relations contractuelles entre Bastien Millot, fondateur de la société Bygmalion , et France Télévisions entre 2008 et 2013. Une période qui couvre les mandats de deux PDG de France Télévisions : Patrick De Carolis puis Rémy Pflimlin . Le premier a été mis en examen pour favoritisme, et le second se retrouve face à ses contradictions sur le nombre et le montant des contrats passés avec Bygmalion depuis qu'il est arrivé à la tête du groupe.
2008 : Qui a décidé de travailler avec Bygmalion ?
C'est une question simple, mais très importante pour la suite de l'affaire . Le juge Renaud Van Ruymbeke cherche à savoir quelle personne est à l'initiative des relations commerciales entre Bygmalion (et plus globalement les entreprises de Bastien Millot) et France Télévisions, qui n'ont pas été précédées de mise en concurrence.
Pour y voir plus clair, le juge a donc décidé de confronter les versions de trois personnes mises en examen dans cette affaire : l'ancien PDG Patrick de Carolis, le secrétaire général du groupe à l'époque : Camille Pascal. Et Bastien Millot. L'audition a eu lieu le 27 mai dernier au Pôle financier du Tribunal de Grande Instance de Paris, mais dans le bureau du juge, les trois mis en examen sont restés sur leurs positions de départ.
Bastien Millot explique qu'il n'a rien demandé à personne et que l'idée des contrats est venue de France télévisions.
Le juge lui demande alors qui, chez France Télévisions, a donné l'accord de principe. "Il n'y a pas eu d'accord préalable. (…) Les prestations ont été demandées à partir du mois de novembre 2008 par M. Carolis et M. Pascal en fonction de la nature des prestations demandées" . Et de rajouter :
J'ignore ce qui s'est passé entre le moment où j'ai annoncé mon départ et le moment où mes prestations ont commencé. Je n'ai eu aucune discussion avec Patrick de Carolis sur ce sujet pendant cette période.
L'ex PDG de France Télévisions en profite pour charger son ex secrétaire général. Patrick de Carolis avait déjà affirmé lors d'une précédente audition :
Je n'ai pas donné d'accord à M. Millot. J'ai attendu que l'on me propose un schéma d'organisation de la part de M. Cuier ** (directeur général délégué aux finances à l'époque, ndlr) et M. Pascal notamment. C'est alors que j'ai été mis au courant par Camille Pascal et Damien Cuier, que Bastien Millot pourrait continuer, à travers une prestation, à être mon interlocuteur sur les questions stratégiques. Je n'y vois pas d'inconvénients à ce moment-là, connaissant les compétences de M. Millot dans ce domaine.**
Lors de la confrontation il a répété "haut et fort" qu'il n'était "pas à l'initiative" en précisant : "C'est le secrétaire général ** ( Camille Pascal, ndlr ) ** qui avait autorité, moyens et compétence pour organiser lui-même son département.(…) "C'est trop facile d'avoir signé des contrats et d'ouvrir le parapluie pour dire qu'ils ont été signés sur ordre".
Effectivement, Camille Pascal, en tant que secrétaire général a bien validé les prestations et signé la plupart des contrats avec Bygmalion de 2008 à 2010, mais parce qu'on lui aurait demandé. Il rejette les accusations de Patrick de Carolis en reprenant une phrase célèbre prononcée par l'ancien PDG en 2008 : "c'est faux, c'est injuste, et c'est stupide" :
C'est faux parce qu'il y a bien eu une volonté initiale de Patrick de Carolis. C'est injuste parce que c'est vouloir me faire porter l'entière responsabilité d'une décision qui n'est pas la mienne alors que je n'ai fait que la mettre en œuvre. C'est stupide parce que personne ne peut croire que j'aurais (…) suggéré à Patrick de Carolis la collaboration d'un de ses anciens collaborateurs qu'il avait recruté avant même qu'il ne me recrute moi-même !
Dans une précédente audition l'ex secrétaire général avait déclaré : "Patrick de Carolis a tenu à garder un lien de collaboration avec Bastien Millot par l'intermédiaire de cette entreprise Bygmalion. A partir de là, si l'on m'assure que la situation juridique de Bastien Millot n'est pas irrégulière pour entamer une telle collaboration sous une autre forme (…) je n'avais aucune raison de ne pas signer ces contrats."
Lors de la confrontation de mai dernier, Camille Pascal a étayé ses propos : "Patrick de Carolis a confirmé verbalement son souhait (…) il y avait un accord de principe de Carolis sur un certain nombre de prestations".
Mais cette version a été fragilisée par Damien Cuier, directeur général délégué aux finances à partir de 2007 . Sa version : la signature de contrats avec l'entreprise de Bastien Millot était** "le choix de France Télévisions en la personne de Camille Pascal".**
Avant d'être directeur général délégué aux finances, Damien Cuier était l'homme de confiance de Patrick de Carolis en tant que directeur de cabinet de 2005 à 2007.
C'est même Patrick De Carolis qui l'a débauché en 2005, comme il a débauché Bastien Millot du cabinet du ministre du budget la même année. Un ministre qui s'appelait à l'époque Jean-François Copé.
De Patrick De Carolis à Rémy Pflimlin : les mêmes pratiques
Sauf mention contraire, tous les montants donnés ci-dessous sont exprimés Hors Taxes. Mais tous les contrats ont bien été réglés TTC
**Après le départ de Patrick de Carolis de la présidence de France Télévisions, les contrats avec Bygmalion et les entreprises de Bastien Millot n'ont pas cessé. ** Officiellement, deux contrats ont été conservés :
- Un contrat d'e-reputation facturé 7.500 euros (Hors Taxes) par mois en 2011, puis 2.500 euros en 2012.
- Un contrat pour répondre au courrier des téléspectateurs pour 6.000 euros par mois.
Lors d'une interview récente au journal Le Monde, Rémy Pflimlin a confirmé n'avoir conservé que ces deux contrats avec Bygmalion. Il n'a pas jugé utile de compléter en évoquant différentes prestations ponctuelles supplémentaires facturées 40.000 euros sur 2011-2012. Il n'a pas non plus parlé d'un contrat retrouvé par le Canard enchainé : 180.000 euros signés par France Télévisions avec BM Consulting, une autre entreprise de Bastien Millot.
Ce mercredi, le même Canard Enchainé déterre d'autres contrats signés par deux filiales de France Télévisions : Multimédia France Productions (MFP) et France Télévisions Publicité (FTP). FTP a payé 410.000 euros HT (490360 € TTC) sous la présidence Carolis, et 392.000 euros sous la présidence Pflimlin. A côté, le montant des prestations payées par MFP est bien moindre : 42.247 euros en 2009-2010.
Ce même mercredi, le Nouvel Observateur dévoile un contrat de 33.000 euros payés par France Télévisions Distribution (FTD), filiale de France Télévisions, à Event and Cie, filiale de… Bygmalion.
> Relire : Les mauvais comptes de Rémy Pflimlin **
Pour expliquer le contrat BM Consulting, signé par Martin Ajdari, secrétaire Général du groupe jusqu'à récemment, Rémy Pflimlin précise qu'il répondait précisément à la question posée par le journaliste du Monde, qui ne mentionnait pas les contrats signés avec BM Consulting.
Pour les 392.000 euros de contrats signés par FTP, Rémy Pflimlin "n'est pas responsable de ces contrats, il n'était pas au courant" a fait savoir à l'AFP l'actuel patron de France Télévisions Publicités, Daniel Saada. Les contrats auraient été passés à l'époque par l'ancien patron de la régie publicitaire, Philippe Santini, sans qu'il en informe Rémy Pflimlin.
Monsieur Saada était injoignable mercredi soir pour savoir comment il est en mesure d'affirmer que son prédécesseur n'avait pas tenu informé le PDG de France Télévisions.
Sur la base des prestations et des contrats connus à ce jour, et passés entre France Télévisions et les entreprises de Bastien Millot, le montant total s'élève à 2.263.857 euros HT ( 2.668.104 € TTC).Soit 1.288.857 € sous la présidence Carolis et 975.000€ sous la présidence actuelle de Rémy Pflimlin.
Nous avons sollicité par mail le PDG de France Télévisions et son directeur de la communication sur une question précise :
Quel est le montant et la nature de tous les contrats passés par France Télévisions et ses filiales avec les différentes entreprises de Bastien Millot ?
**Question restée sans réponse. **