Ce que les députés de La République en marche vont renouveler de la sociologie de l'Assemblée (ou pas)
Par Camille RenardA VOIR . Au moins 334 nouveaux députés et une promesse de renouvellement portée par La République en marche. Age, sexe, politisation, profil socioprofessionnel, diplômes... : en quoi la nouvelle Assemblée sera-t-elle renouvelée par rapport aux Assemblées qui l'ont précédées depuis 1958 ?
212 députés sur 577 ne se sont pas représentés pour un nouveau mandat. Et 122 des députés sortants ne sont pas qualifiés pour le second tour. L'Assemblée verra donc au minimum 334 nouveaux députés, et plus probablement plus de 450 si on regarde précisément les ballottages. Portée également par la thématique macroniste de renouvellement de la vie politique, et par une force "dégagiste" qui pénalise les formations historiques - Parti socialiste et Parti communiste en tête, la sociologie de la nouvelle Assemblée est d'ores et déjà bouleversée.
Mais au-delà du renouvellement des personnes, à l'aune de quels critères regarder la nouveauté du profil des députés : âge, genre, origine socioprofessionnelle, idéologie, professionnalisation politique ? Le sociologue Luc Rouban, spécialiste du personnel politique, vient de publier une enquête électorale sur le profil des candidats investis par La République en marche. Parmi ces 529 personnes, entre 415 et 455 seraient élues selon les projections d'Ipsos. Cette enquête prépare donc la vision d'ensemble d'une large majorité de l'Assemblée, sans pour autant coller exactement au tableau de l'Assemblée finale. La semaine prochaine, nous présenterons les résultats définitifs de cette sociologie des 577 députés de notre 15e Assemblée, pour la comparer avec le profil des Assemblées depuis 1958.
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1) Ce qui va changer : rajeunissement, plus de parité, moins de professionnels de la politique
- L'âge des candidats de la République en marche varie de 24 à 72 ans. L'âge moyen est de 47 ans pour tous les candidats (48 pour les hommes, 46 pour les femmes). Chez les novices, l'âge moyen est de 44 ans, chez ceux qui ont déjà obtenu un mandat politique, il est de 51 ans. L'âge moyen de l'Assemblée pourra donc être rajeuni par rapport à celles de la Ve République :
- La parité est réelle parmi les candidats : 267 femmes et 262 hommes. Parmi les candidats élus au second tour, toute étiquette politique confondue, 40% sont des femmes. La prochaine Assemblée dépassera donc très probablement le record de 2012 (155 femmes députées, soit 27%), pour devenir la plus féminisée de la Ve République.
- Les novices en politique, c'est-à-dire ceux qui n'ont jamais été élus, sont 284, soit un peu plus de la moitié des candidats. Ce chiffre propulsera la prochaine Assemblée dans le top 3 des Assemblées qui ont élu le plus de députés pour la première fois :
- Les affiliations idéologiques sont mixtes, mais davantage à gauche : Parmi les candidats, un tiers d'entre eux viennent de la gauche (dont un quart du Parti socialiste), 15% de la droite, 12,3% du MoDem, et près de 40% sont sans proximité politique particulière. Entre novices et déjà élus, les différences sont importantes : près de la moitié d'entre ceux qui ont déjà été élus viennent de la gauche, pour seulement un cinquième des novices.
- La part de candidats issus du secteur privé : Alors que les députés de l'Assemblée de 2012 venaient du secteur public à hauteur de 55%, les candidats de La République en marche pourraient faire baisser ce taux : 60% d'entre eux sont issus du secteur privé.
2) Ce qui ne change pas : des origines socioprofessionnelles étroites, et une forte socialisation politique
- Moins de professionnels de la vie publique, mais une forte acculturation politique : Les candidats de La République en marche ne sont pas absolument vierges de tout engagement partisan préalable. Le fait de n'avoir eu aucune responsabilité politique, critère censé définir la " société civile", n'empêche pas une socialisation politique forte ou des adhésions militantes. Parmi les 222 candidats qui exercent un mandat électoral (soit 42% des candidats), ils le font majoritairement au niveau municipal : on compte 55 conseillers municipaux, 53 maires, et 32 maires adjoints, 10 à la fois maires et conseillers départementaux. Quant aux origines partisanes, la source socialiste est la plus forte parmi eux : les élus PS sont plus nombreux à avoir rejoint La République en marche que les élus de droite, ce qui explique corrélativement la difficile cohésion du Parti socialiste et sa défaite. Mais au-delà du mandat exercé jusqu'ici, Luc Rouban dénombre plusieurs cas d'anciens assistants parlementaires, de membres de cabinets ministériels, ou d'individus qui se sont déjà présentés à une élection même sans être encartés, donc de personnes socialisées politiquement. Seulement un peu plus d'un tiers des candidats ne présentent aucune trace visible de politisation dans son parcours.
- La fin de la mobilité sociale ascendante par la politique. Le recrutement des candidats s'est fait sur une base sociale étroite. "Sur ce terrain, le renouvellement n'a pas eu lieu, bien au contraire.", souligne Luc Rouban. 20% des candidats sont cadres supérieurs ou dirigeants d'entreprises, 17% sont patrons de TPE ou PME, surtout dans les ressources humaines et la communication, 12% sont issus des professions libérales : 8,5% de classes populaires, 23% de classes moyennes, 69% de classes supérieures. Ces données n'inverseront pas la tendance d'Assemblées où les classes populaires sont de moins en moins représentées :
Luc Rouban explique ainsi ce phénomène :
Le projet d'amener à la politique des candidats n'ayant pas ou peu d'expérience politique, s'il conduit à limiter les effets de la professionnalisation, peut également renforcer la proportion des candidats ayant le plus de ressources sociales.
La recherche de nouveaux profils renforce ainsi une fermeture sociale que les carrières réalisées au sein des appareils des partis traditionnels pouvaient compenser. La distribution des diplômes reflète cette situation professionnelle : 2 anciens de l'ENA, autant de l'ENS, autant de Polytechnique, mais 20 d'écoles d'ingénieur, 18 de grandes écoles de commerce, et 40 de Sciences Po (Paris et province). Les formations en économie, en droit et en sciences représentent chacune un peu plus de 18% des candidats.
Luc Rouban conclue en soulignant la proximité entre les candidats de La République en marche et le profil de l'électorat d'Emmanuel Macron : "une bourgeoisie moderniste, diplômée, libérale".
A ECOUTER " Vue sur une Chambre. Socio-histoire du Palais-Bourbon", La Suite dans les idées