Avignon 2018. Salle Vedène, Le Grand Théâtre d’Oklahama. Madeleine Louarn met en scène une troupe de comédiens handicapés mentaux dans des textes de Kafka. A ceux qui douteraient de la légitimité de ces femmes et ces hommes à investir les scènes d’Avignon, elle répond par une arme imparable : leur talent.
Ce que l’acteur handicapé mental amène sur la scène du théâtre c’est une incertitude, un trouble, une faille entre le normal et l’anormal, un gouffre entre le jeu et le non jeu, un abime entre ce qu’on croit savoir et ce qu’on ne sait, en fait, pas du tout. Madeleine Louarn, metteur en scène déjà passée par Avignon, ne travaille qu’avec les femmes et les hommes handicapés de l’atelier Catalyse, un Esat qui se trouve en Bretagne. Pourquoi ? Parce qu’avec eux, elle affronte des questions qui ne trouveront jamais de réponse et que ces non réponses sont la raison même de créer qui stimule l’artiste. « Est-ce que ces personnes sont vraiment des acteurs ? » se demandent certains spectateurs, dont le malaise à la sortie, quand ce n’est pas le rejet, est palpable. A ceux qui hésitent, on a envie de répondre oui.
Sincérité
Oui, cette jeune femme trisomique, ce jeune homme entravé, cet autre qui bafouille, oublie son texte, bégaie, celle ci encore qui avale ses mots, tous sont comédiens, malgré leurs trous de mémoires, leurs élocutions hasardeuses, leurs gestes maladroits, leurs hésitations répétées. Oui, ils sont comédiens et le sont d’autant plus dans un spectacle qui va puiser chez Franz Kafka des textes qui leur vont comme un gant. Qui suis je ? Comment me regarde-t-on ? Quelle est ma place dans cette société, s’interroge l’auteur. Des phrases reprises à la volée par les acteurs qui jouent ou qui jouent à jouer. Décidément on ne sait pas. Mais une chose est sûre, ce qu’ils disent, ils le vivent. Ils ne sont pas des marionnettes au service d’une cause qui oublierait l’art pour n’être qu’humanitaire, compassionnelle, piégée dans un pathos gluant. Alors, pour résumer, Le Grand théâtre d’Oklahama, c’est de l’émotion, du sourire, une présence exacerbée, des corps singuliers, de la sincérité, le tout dominé, emporté, transcendé par ce petit quelque chose qui s’appelle le talent. Et ça ça change tout.ces corps qui ne trichent pas.