La Roumanie n'a plus de gouvernement et s'enfonce dans la crise politique. Les libéraux tentent d'obtenir des législatives anticipées mais un arrêt de la Cour constitutionnelle vient de les freiner face à la gauche (PSD). Pendant qu'une troisième voie, Union sauvez la Roumanie, croît à Bucarest.
La guerre politique roumaine n'en finit pas et la Cour constitutionnelle de Roumanie vient de la relancer. Elle a infligé lundi un revers au projet des libéraux au pouvoir de déclencher des élections anticipées, prolongeant la crise qui secoue le pays depuis des mois. Après trois années mouvementés à la tête du gouvernement, le Parti social-démocrate (PSD) avait perdu le pouvoir en octobre à cause de scandales de corruption. Mais le 5 février dernier, à peine formé, le gouvernement minoritaire du Premier ministre libéral Ludovic Orban, était renversé par une motion de censure. Un paysage politique également marqué par le succès à Bucarest d'Union sauvez la Roumanie, formation anti-corruption, écologiste et pro européenne, notamment, aux airs de La République en marche.
Un Premier ministre libéral sans gouvernement
Quatrième chef de gouvernement nommé depuis décembre 2016, le pro-européen de centre droit Ludovic Orban n'a pas résisté à une motion de censure de 261 députés sur 465 au début du mois de février. Orban qui n'a aucun lien de famille avec le Premier ministre hongrois Viktor Orbán, même s'il existe des racines magyares chez le politicien roumain.
Mais le Président de la République Klaus Iohannis, également membre du PNL, a rapidement déterré la hache de guerre pour le renommer comme Premier ministre. Le Président prenait le pari que le Parti national libéral gagnerait un prochain scrutin anticipé. Avec un espoir : modifier la loi sur les élections à six mois des municipales afin de rétablir le scrutin à deux tours. Ce que le Parti social-démocrate (PSD), qui avait instauré le nouveau système à un tour, ne pouvait accepter : en cas de suppression du tour unique, il risquait de perdre beaucoup de municipalités, d'après les politologues, nombre de petits partis libéraux pouvant rejoindre le PNL pour le deuxième tour.
Mais la Cour constitutionnelle vient donc d'en décider autrement. Dans son arrêt de lundi, elle a dénoncé ce stratagème, rappelant que "le Président est appelé à désigner un Premier ministre à même de rassembler une majorité". Suite à son arrêt, "les chances de convoquer des élections anticipées s'amenuisent, elles sont tombées en-dessous des 50%", a déploré Klaus Iohannis. Le Président a toutefois assuré qu'il ne renoncerait pas à ce projet, car "la Roumanie a besoin d'une majorité réformiste".
Par ailleurs, le vote de confiance sur le gouvernement Orban 2 prévu aussi lundi n'a pas eu lieu faute de quorum, le PSD et ses alliés ayant boycotté la réunion du Parlement.
La lente descente aux enfers des sociaux-démocrates
Tout a commencé avec le pouvoir de Liviu Dragnea, le grand chef du PSD. Cet homme de 56 ans a réussi une carrière brillante au sein de l'ancien Parti communiste de Roumanie. Il d'abord été membre du très trouble Parti démocrate-Front du salut national lors de la Révolution contre Nicolae Ceauşescu (des "gorbatcheviens" qui se débarrassent de Ceauşescu), le mouvement de l'apparatchik communiste Ion Iliescu. Ensuite, Livui Dragnea est monté dans l'appareil du parti issu du PC. En 2000, le PD-FSN devient le Parti de la démocratie sociale de Roumanie, et plus tard, le Parti socio-démocrate.
En 2009, Liviu Dragnea devient ministre de l'Intérieur, puis, en 2012, vice-Premier ministre en charge du Développement régional, avant de présider le PSD. Il est considéré comme l'homme fort du pouvoir en 2018.
Mais le 27 mai 2019, il est condamné par la Haute Cour de cassation et de justice à trois ans et demi de prison ferme dans une affaire d’emplois fictifs. Le gouvernement du PSD va chercher par tous les moyens à changer le système judiciaire pendant ses deux années de pouvoir.
Parallèlement, les sondages tombent invariablement avec de très mauvais résultats pour le parti au pouvoir. De plus, le régime fait les frais d’une affaire sordide avec la mort pour viol d'une jeune fille auto-stoppeuse le 29 juillet 2019. Kidnappée avant d'être tuée, elle avait eu le temps d'appeler la police… En vain. Un symbole de dysfonctionnements des services publics.
Les dernières élections européennes ne réussissent pas non plus au Parti social-démocrate. 27 % pour le Parti national libéral (10 sièges), 22,5 % au Parti social-démocrate (8 sièges) et 22,36 % à l'autre parti libéral, l'Union Sauver la Roumanie (8 sièges).
Pour limiter sa chute, le PSD joue la carte du populisme. Il propose une politique proche de celles de Viktor Orbán en Hongrie, du PiS en Pologne ou de Matteo Salvini en Italie. Mais le problème, en suivant cette ligne, est qu'il perd sa coalition et sa majorité au Parlement : un petit parti, l'Alliance des libéraux et démocrates, claque la porte. La Première ministre Viorica Dăncila chute et doit démissionner. Quelques mois plus tôt, elle avait été battue au deuxième tour de la présidentielle par le sortant, le libéral Klaus Iohannis. Cela fait beaucoup d’échecs pour un seul parti.
Roumanie des villes, Roumanie des champs
Mais ce sont deux Roumanie qui s'affrontent. Deux Roumanie qui ne se parlent plus. Le Parti social-démocrate s'adresse à la Roumanie du passé, la Roumanie des campagnes et des petites villes. Une Roumanie âgée, qui se souvient, avec nostalgie, du régime de Ceauşescu. Pas de la dictature, mais plutôt du fait que l’on vivait sans changement, avec un minimum. Et le Parti social-démocrate garantit ce minimum comme à l'époque communiste. Est-ce un programme politique tenable ? C'est en tout cas, avec le populisme, la dernière chance des anciens du Front du salut national de Ion Iliescu.
Autre musique à Bucarest et dans les grandes villes, où le Parti national libéral ne s'adresse pas du tout au même public. Il vise un électorat plus jeune, beaucoup plus pro-européen, qui a voyagé en Europe, qui est plus éduqué, qui a davantage d'argent, qui a profité de l'amélioration de l'économie. Les urbains ne vivent pas dans la même Roumanie que les habitants des petites villes.
Ils sont divisés par ce que représente le Parti communiste. Pour les simples paysans roumains, le communisme représentait des améliorations (modestes !) de vie. Pour les habitants de la capitale et des grandes villes, c'était la dictature. C'est par haine du communisme, et forts du souvenir des nombreux morts de la dictature, que les urbains se tournent vers le libéralisme.
Le Parti communiste de Roumanie est resté au pouvoir de 1945 à 1989, après la période fasciste d’Ion Antonescu, entre 1940 à 1944. Pour retrouver le Parti national libéral au pouvoir, il faut revenir dans les années trente. L'électorat du PNL a l'impression qu'il représente la Roumanie qui a ressuscité, que la démocratie a failli mourir.
Le Parti National Libéral est né en 1875. Il représente la tradition de la Roumanie démocratique. Et le PNL est au cœur de l'actualité du pays, puisque le Président de la République, Klaus Iohannis (issu de la minorité saxonne, d'origine allemande, en Transylvanie) et Ludovic Orban, le Premier ministre (magyar), en sont donc issus.
Une troisième voie ?
Mais la Roumanie s’affranchira peut-être des deux "anciens" partis. Un nouveau mouvement trouve un large public chez les jeunes de la capitale, pro-européens, libéraux (donc pas liés au communisme) et écologistes : l’Union Sauvez la Roumanie (USR). Ce parti fait un malheur dans Bucarest.
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L’USR a été fondé en 2016 par un mathématicien francophone, Nicuşor Dan. A Bucarest, il a présenté aux municipales Clotilde Armand, une Française mariée en 1997 avec un chercheur en mathématiques roumain qui a raté de peu la mairie du premier arrondissement. Elle a fait l’École centrale de Paris, le MIT, elle a travaillé à Airbus, à GDF-Suez, à Egis, une société d'ingénierie… Un CV à des années-lumière des préoccupations des Roumains des petites villes. Mais c'est une vérité de la Roumanie de 2020. Clotilde Armand, désormais eurodéputée roumaine sous l'étiquette centriste de Renew Europe, incarne peut-être l'avenir de Bucarest et, ensuite, de la Roumanie.
Avec la collaboration d'Eric Chaverou