Des films hollywoodiens aux indie movies, le cinéma américain semble totalement codifié, obéissant à des enjeux économiques contraignant les formes esthétiques et narratives. Peut-il encore exister aux États-Unis une approche artisanale de la création cinématographique ?
> Réécouter la séance : PODCAST ACID POP - CINÉMA AMÉRICAIN : RESTE-T-IL ENCORE DES ARTISANS ?
LE CINÉMA US ARTISANAL : QUELLE PLACE POUR UNE EXPRESSION ARTISTIQUE ?
Pris dans une nécessité de faire des chiffres, le cinéma aux USA est souvent lié aux moyens financiers. Cependant, il existe aussi un cinéma, dit "indépendant", qui tente de s'écarter de ces contraintes. C'est ainsi que le nouvel Hollywood est apparu au fil du temps avec des cinéastes comme Scorsese, Friedkin, Hal Hasby, puis le cinéma "indé" des années 80/90 avec Soderbergh, Tarantino et quelques films cultes comme Reservoir Dogs, Sexe, mensonge et vidéo, Clerks...
Mais le cinéma est aussi aux USA un outil politique, autant sur le plan national qu'international. Les canons de production produisent donc une uniformisation esthétique, qu'elle soit visuelle ou narrative. Et de là, découle une difficulté pour les auteurs de s'inventer une cinématographie qui leur soit propre et qui permettrait à l'œuvre d'émerger, de sortir du statut de simple produit commercial et de simple divertissement.
En passant par un temps de recherche et de création, le cinéma artisanal contient, à l'inverse du produit industriel, ce sens d'œuvre unique.
L'ARTISANAT DU CINÉMA AMÉRICAIN : UNE PRATIQUE
L'artisanat est avant tout une pratique, pouvant passer par une esthétique visuelle et sonore particulière ou bien par des outils cinématographiques différents comme la caméra DV ou l'Iphone. La frontière entre films indépendants et "gros films" est poreuse. The Blair Witch Project (inspiré lui-même de Massacre à la tronçonneuse et de Cannibal Holocaust), s'est construit autour de l'idée de faire un film d'horreur sans argent et ne travaille que le hors-champ et l'ironie dramatique. En utilisant la mini DV, et surtout la caméra subjective, l'idée est de restituer de manière visuelle un réalisme quasi documentaire sur un récit fantastique. On retrouve également cet usage technique dans des films comme Tangerine tourné avec des Iphones. Il en résulte une énergie singulière qui se dégage par son format, sa colorimétrie très saturée, très chaude.
Toi, moi et les autres de Miranda July, plus expérimental, est un autre exemple d'artisanat esthétique. L'idée du film est de travailler l'étrange avec des moyens simples, d'aller creuser dans l'art plastique par petites touches pour donner à une séquence des émotions qui dépassent l'enjeu narratif.
On retrouve aussi ce travail dans l'expression d'un cinéma d'auteur qui s'efforce de revisiter avec originalité un certain ancrage social, un espace, comme c'est le cas de Gus van Sant qui reprend les codes des films amateurs de skateurs.
Le travail de direction d'acteurs est également un lieu où l'auteur peut expérimenter. Alors qu'il existe des écoles et des méthodes qui fabriquent de façon quasi industrielle des actrices et acteurs (méthode Actor Studio), le cinéma indépendant tente de sortir d'un jeu codifié et performatif en saisissant l'instant présent. La cinéaste Kelly Reichardt, par exemple, ne travaille qu'avec ses amis, une méthode de travail peu courante aux États-Unis.
On retrouve, dans cette même démarche, le cinéaste Judd Appatow qui travaille toujours avec les mêmes comédiens. Réécrivant sans cesse les séquences pour trouver une force comique, le cinéaste fait rejouer jusqu'à épuisement ses comédiens afin de trouver les bonnes répliques, un naturel langagier, un rythme singulier.
C'est également par le récit que l'auteur peut s'émanciper des canons hollywoodiens. Cannibal Holocaust, dans le cinéma de genre, tentait de faire croire à un documentaire, ou bien Paranormal Activity, se construisait comme un simple bout à bout de rushes. Le récit labyrinthique de Inland Empire de David Lynch brise quant à lui le schéma narratif en s'appuyant sur une démarche sensorielle.
La fiction est souvent liée à l'imagination et la non-fiction à des éléments purement factuels. Ce sont deux méthodes différentes pour parvenir à certaines vérités et le film se construit parfois moins comme un récit que comme un méta-commentaire, réfléchissant sur la façon dont se construit une histoire en fonction des techniques employées.
La Dernière piste de Kelly Reichardt relate le parcours sans fin de trois familles de fermiers perdues dans un désert de l'Oregon au XIXème siècle. Le souci d'efficacité narrative et rythmique est ici abandonné au profit d'un certain éloge de la lenteur, du retour au point de départ narratif dont jamais le film ne s'éloigne. Le récit est circulaire, sans résolution, ouvert sur lui-même ou encore enfermé dans sa proposition initiale : « tourner en rond ».
L'ARTISANAT COMME REDÉFINITION DU CINÉMA D'AUTEUR ?
Si l'on prend l'artisanat au sens d'un artiste-artisan qui fabrique une pièce unique, alors la notion d'artisanat dans le cinéma américain semble plus juste que le terme d'indépendant pour parler d'une politique d'auteur. Cette expression redéfinit les frontières. Il existe des exemples de films "indé" où la mise en scène et le scénario sont d'un grand classicisme hollywoodien sous apparence de film d'auteur. Et de la même manière, il existe dans les films mieux produits, mainstream, de l'artisanat.
Extraits utilisés
- Duel, Steven Spielberg (1973)
- Paranoid Park, Gus Van Sant (2007)
- 40 ans : Mode d'emploi, Judd Apatow (2013)
- La Dernière piste, Kelly Reichardt (2011)
- Moi, toi et tous les autres, Miranda July (2005)