Cinéma et pandémie : le Louxor, presque centenaire et pressé de rouvrir

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Cinéma et pandémie : le Louxor, presque centenaire et pressé de rouvrir

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La volumineuse grande salle historique du Louxor, la salle “Youssef Chahine”, privée de films et de spectateurs depuis fin octobre 2020.
La volumineuse grande salle historique du Louxor, la salle “Youssef Chahine”, privée de films et de spectateurs depuis fin octobre 2020.
© Radio France - Benoît Grossin

Reportage. Un an après le premier confinement, les salles obscures restent privées de public, sans aucune visibilité sur une date de réouverture. Coup de projecteur sur un emblématique cinéma parisien, au pied du métro Barbès : le Louxor. Un cinéma populaire, fréquenté par des cinéphiles et des scolaires.

Après une brève période de réouverture, pendant l’été et au début de l’automne 2020, aucune échéance n’est encore fixée pour le retour des spectateurs devant un grand écran. Les salles de cinéma bénéficient depuis l’an dernier d’importantes aides de l’État, suffisantes pour permettre au Louxor, dans l'Est parisien, de ne pas être déficitaire.

Sans aucune activité possible depuis fin octobre, les grilles restent cadenassées à l’entrée du bâtiment au style Art déco néo-égyptien, rénové en 2013 et dont l’architecture antique et la façade de mosaïques multicolores détonnent dans le populaire quartier de Barbès. 

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Comme tous les autres lieux culturels, le singulier et légendaire palace des années folles - classé monument historique - garde ses portes fermées, en raison du maintien des mesures gouvernementales pour limiter les risques de propagation du Covid-19 et de ses variants.  

Avec sa grande salle "égyptienne" unique en France, le Louxor, un des plus vieux cinémas de la capitale, est un lieu de vie, avec 250 000 entrées par an, un lieu de passage de publics très divers qui ne demande qu’à pouvoir rouvrir ses portes, presque cent ans après son inauguration, le 6 octobre 1921

“Un cinéma dans un quartier très particulier et très ancré dans ce quartier” : Emmanuel Papillon, le directeur du Louxor Palais du cinéma, à Barbès.

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A l’entrée du Louxor, son directeur Emmanuel Papillon, sur le perron fermé au public par de grandes grilles cadenassées, espère une réouverture des cinémas d’ici la fin du mois d’avril.
A l’entrée du Louxor, son directeur Emmanuel Papillon, sur le perron fermé au public par de grandes grilles cadenassées, espère une réouverture des cinémas d’ici la fin du mois d’avril.
© Radio France - Benoît Grossin

Au Louxor, "Il n’y a aujourd’hui que des fantômes !"

Il est 15 heures, dans la salle " Youssef Chahine", la salle historique de 340 places, la plus grande des trois salles du Louxor. Le directeur Emmanuel Papillon soupire : 

C’est toujours étrange de rentrer dans cette salle quand il n’y a pas de public. D’habitude, à cette heure-là, une séance est en cours. Il n’y a pas plus bête et idiot qu’un cinéma vide ! Il n’y a pas plus triste qu’un cinéma fermé ! Un cinéma, c’est fait pour accueillir du public, c’est fait pour projeter des films. On a hâte que cela reprenne ! Le Louxor fonctionne normalement de 9h30 jusqu’à minuit, 365 jours par an. Et là, à part nous deux, il n’y a personne ! Aujourd’hui, il n’y a que des fantômes qui attendent le film qui ne vient pas. Cette situation que je trouvais au début de la crise, surréaliste et grotesque, elle est aujourd’hui frustrante, terrible voire dramatique. On se pose la question : est-ce qu’un jour ça va reprendre ? 

Lieu de passage, lieu de convergence de publics très divers, le Louxor, dans un quartier populaire et cosmopolite, se trouve à quelques mètres du métro Barbès.
Lieu de passage, lieu de convergence de publics très divers, le Louxor, dans un quartier populaire et cosmopolite, se trouve à quelques mètres du métro Barbès.
© Radio France - Benoît Grossin

La grande salle du Louxor n’est pas très importante quant au nombre possible de spectateurs, avec 342 fauteuils, mais son volume est impressionnant, avec deux balcons et treize mètres entre le sol et le plafond. Peu de choses ont changé, depuis la réouverture du cinéma en 2013, après sa rénovation, précise Emmanuel Papillon :

On est quasiment dans le volume de la grande époque. A son ouverture en octobre 1921, il y avait 1 321 places, dans cette salle. Le Louxor était ce qu’on appelait un Palais du cinéma et il y en avait une multitude pendant les années folles, entre la place Clichy et le boulevard Barbès. Le Louxor est avec Le Grand Rex un des derniers survivants à Paris de ce "cinéma plus grand que nature". La façade a été classée par Jack Lang monument historique en 1981. La fosse d’orchestre est restée à l’identique, tout comme les têtes de pharaons, les fresques, les mosaïques, les hiéroglyphes au plafond. Cette décoration particulière est proche de celle d’origine. On est presque dans un film de Cecil B. De Mille quand on vient au Louxor. Comme un décor de cinéma, comme un décor de péplum, c’est une salle atypique, unique en France et peut-être même unique dans le monde, avec un très fort cachet et une longue histoire. Sous le mode "d’égyptomanie", il en existe en revanche de très nombreuses à l’étranger. Il y a bien sûr le Grauman’s Egyptian theatre, le cinéma historique d’Hollywood Boulevard, à Los Angeles, et on en compte aussi au Canada, en Argentine, etc.

“Avec ses têtes de pharaons, ses fresques, ses mosaïques... comme un décor de cinéma, comme un décor de péplum, c’est une salle atypique, unique en France” : Emmanuel Papillon, directeur du Louxor.
“Avec ses têtes de pharaons, ses fresques, ses mosaïques... comme un décor de cinéma, comme un décor de péplum, c’est une salle atypique, unique en France” : Emmanuel Papillon, directeur du Louxor.
© Radio France - Benoît Grossin

Au Louxor, "l’impact de la crise est conséquent"

Même si la création cinématographique est la plus directement touchée par la pandémie, pour Emmanuel Papillon, l’équipe du Louxor traverse aussi une très mauvaise période : 

Ce sont ceux qui fabriquent les films qui vivent aujourd’hui le plus durement la crise, en ne pouvant pas créer ou montrer leurs œuvres. Nous, nous ne sommes que des passeurs, en exposant les films. Mais il vrai que c’est pénible aussi pour les quinze membres de l’équipe du Louxor de ne pas pouvoir travailler, depuis des mois. Chacun d’entre nous vit d’un point de vue personnel une grande frustration, à être si longuement privé de ce lien essentiel avec le public. Ce public qu’on ne voit pas. C’est la chose la plus consternante de la Terre d’avoir un lieu pour accueillir des spectateurs et de ne pas pouvoir les recevoir.  

L’impact financier de la crise sanitaire est conséquent, reconnait Emmanuel Papillon, mais sans mettre en péril le Louxor, grâce au soutien de l’État :

Nous avons été fortement aidés. Plusieurs dispositifs en faveur des cinémas ont été mis en action tant et si bien que la situation du Louxor est certes préoccupante, mais pas catastrophique. Nous bénéficions du chômage partiel. La partie salaire est assurée, autrement dit le gros des charges est accompagné par les mesures de soutien. Nous avons aussi des aides de la ville de Paris et de la région Ile-de-France qui nous ont permis de tenir, en 2020. La question maintenant, c’est : comment ça va se passer à la reprise, quand les charges seront de retour ? Est-ce que les spectateurs seront au rendez-vous ? Moi, j’y crois très fort, après cette longue période devant les écrans, ordinateur ou télé, je pense que les gens auront envie de revenir en salle et de retrouver un lien social important. C’est totalement vital.

Les charges fixes, couvertes jusqu’à présent par les aides, sont très importantes au Louxor, un grand bâtiment de 2 200 m2 qui nécessite un entretien d’autant plus soutenu que les matériaux sont fragiles, souligne Emmanuel Papillon :

Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de public qu’il n’y a pas d’entretien et beaucoup de frais. Le Louxor n’est pas un lieu comme les autres. L’architecte Philippe Pumain, chargé de la restauration du cinéma, pour retrouver le Louxor dans sa version de 1921, l’a assurée, selon des procédés qui nécessitent un suivi très particulier. Un système très technique de chauffage et de refroidissement, une thermofrigopompe, avec un système de géothermie, réclame aussi une importante maintenance. Et puis il y a toujours des frais d’électricité, d’assurance, de sécurité. Heureusement, nous avons bénéficié jusqu’à présent du fonds de solidarité pour assurer toutes ces dépenses.

Plan large
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Le Louxor, "lieu de tous les publics"

Carrefour historique de combines en tout genre, à commencer par le trafic de cigarettes jusque devant le cinéma, Barbès est un lieu très vivant de Paris, populaire et cosmopolite du 18e. Cet arrondissement très peuplé, avec quelque 220 000 habitants d’une grande diversité, aux conditions sociales très difficiles ou au contraire élevées, donne au Louxor sa spécificité, pour son directeur Emmanuel Papillon :

Nous avons absolument tous ces publics, dans nos salles. L’ensemble des écoles de la Goutte d’or, quartier historiquement pauvre, viennent normalement en journée, pour des séances, en semaine et le Louxor est fréquenté en même temps aussi des cinéphiles. Nous en sommes heureux. Le Louxor est dans un quartier très particulier et très ancré dans ce quartier. Il faut savoir que pour les scolaires, cela représente 40 000 entrées par an ! Et pour les cinéphiles, ce sont souvent des jeunes qui habitent à proximité, des étudiants notamment qui, pour des raisons économiques, se logent traditionnellement dans les 18e et 19e arrondissements, où les loyers sont moins chers. La petite terrasse du bar du Louxor, au troisième étage, est en l’occurrence aussi pour eux, un lieu très convoité l’été.

Le Louxor appartient à la ville de Paris qui a été promotrice de sa restauration, avant sa réouverture en 2013. C’est dans le cadre d’une délégation de service public que l’équipe dirigeante doit répondre à un cahier des charges, qui préconise justement un travail en direction des jeunes publics. Les enfants des nombreuses écoles du quartier, selon Emmanuel Papillon, ne pouvaient pas aller au cinéma avant, parce que le MK2 Quai de Seine ou le Cinéma des cinéastes étaient trop loin pour eux. 

Partenaire de plusieurs festivals, comme le Maghreb des films et le Panorama des cinémas du Maghreb et du Moyen-Orient, le Louxor est orienté vers les cinémas du sud au sens large : cinémas maghrébin, d’Égypte, d’Asie, avec la participation fréquente de réalisateurs pour présenter leurs films dans les salles, y compris à la veille du deuxième confinement, souligne Emmanuel Papillon :  

Maïwenn était venue fin octobre pour ADN. Je la remercie d’avoir honoré ce rendez-vous et je trouve ça très très fort par rapport au public, alors qu’elle savait très bien que son film allait disparaître des écrans le lendemain, avoir une durée de vie très courte et donc malheureusement une carrière cabossée à cause du confinement. 

Le Louxor, lieu de convergence à Barbès, accueille habituellement aussi des cours de danse, dans son salon au deuxième étage : tango, le mercredi, et danse orientale le jeudi. Pour Emmanuel Papillon, "c’est un moyen pour les gens du quartier de se retrouver, en profitant du cinéma, par un autre biais que le cinéma en salle. Le salon est aussi le reste du temps un lieu de rencontre des cinéphiles ou de couples d’amoureux..." 

“On se retrouve, on se donne rendez-vous à la terrasse du Louxor après son travail ou après ses études... et ça, je pense que ça manque à beaucoup de nos spectateurs” : Emmanuel Papillon, le directeur du Louxor.
“On se retrouve, on se donne rendez-vous à la terrasse du Louxor après son travail ou après ses études... et ça, je pense que ça manque à beaucoup de nos spectateurs” : Emmanuel Papillon, le directeur du Louxor.
© Radio France - Benoît Grossin

Au Louxor, "injuste que nous n’ayons pas d’échéance !"

Les habitués du cinéma ont manifesté leur envie pressante de revoir des films sur grand écran en envoyant des messages de soutien, notamment pendant le premier confinement. La fidélité au Louxor passe aussi par l'association Les amis du Louxor, très active pour raconter son histoire et promouvoir la salle et ses animations, dans le quartier. Mais pour le directeur Emmanuel Papillon, ce sont les cartes d’abonnés qui prouvent encore plus concrètement l’attachement des spectateurs :  

Les cartes de cinq ou dix places représentent 20% de notre fréquentation. Les gens qui les achètent ne peuvent se rendre qu’au Louxor. Ce sont des gens qui nous font confiance et qui ont un lien privilégié avec nous. Il y a un public de fidèles. Et ce public me dit souvent qu’avant la réouverture du Louxor en 2013, il n’allait au cinéma qu’une fois par mois, contre trois à quatre fois par mois, voire plus aujourd’hui hors confinement. Dans ce quartier très dense, beaucoup de gens viennent à pied, de chez eux jusque dans nos salles.  

Comme toutes ses consœurs et tous ses confrères, Emmanuel Papillon regrette que les salles obscures restent fermées, malgré toutes les mesures de précaution qui ont été prises et expérimentées, à l’issue du premier confinement. Avec beaucoup d’impatience, il milite au sein du Scare, syndicat des cinémas d'art et d'essai, dont le Louxor est membre, pour obtenir enfin un calendrier du ministère de la Culture :  

Dans l’exploitation, dans les salles de cinéma, nous avons été les bons élèves, voire les trop bons élèves, entre les deux confinements, entre juin et octobre 2020. Assez vite, nous avions retrouvé un rythme de croisière tout à fait acceptable jusqu’à dépasser, sur une semaine, les chiffres de 2019, malgré toutes les contraintes, à commencer par le couvre-feu fixé alors à 21 heures. Les protocoles sanitaires avaient été tenus, sur les moitiés de capacité dans les salles, leur nettoyage, un travail sur les climatisations... Nous savons accueillir du public dans les conditions difficiles d’une pandémie comme aujourd’hui et je trouve donc injuste que nous n’ayons pas d’échéance pour la réouverture. Il faudrait que d’ici fin avril, le Louxor et tous les cinémas de France puissent retrouver leur public. 

Les derniers ciné-concerts du Louxor, avant la première fermeture des cinémas, entre mars et juin 2020, en raison de la crise du Covid-19.
Les derniers ciné-concerts du Louxor, avant la première fermeture des cinémas, entre mars et juin 2020, en raison de la crise du Covid-19.
- Louxor Palais du cinéma

Le public du Louxor est privé depuis plus de quatre mois aussi des séances spéciales, ciné-club ou ciné-concert le dimanche matin, de projection de films du répertoire et de rétrospectives. Emmanuel Papillon espère pouvoir organiser un hommage à Maurice Pialat, cet été :  

Nous allons déployer au Louxor ce que nous faisions avant, mais sans doute avec plus de force et plus de conviction encore, puisque cela fait maintenant un an que nous rongeons notre frein. Je pense que la réouverture de tous les cinémas va correspondre à un renouveau, une nouvelle fraicheur du regard et de l’envie de faire des choses. Je pense que les gens du quartier vont être très contents de revenir au Louxor parce que c’est un cinéma qui leur appartient. Et j’ai aussi très confiance dans l’intelligence du public et dans son envie de profiter collectivement, dans un groupe, de ce moment très particulier qu’est une séance de cinéma et qu’aucun portail de VOD ne peut recréer. 

Le Journal de l'histoire
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